Piccolo Corpo (2022) de Laura Samani

par Selenie  -  25 Février 2022, 16:00  -  #Critiques de films

Après son court métrage "La Santa Che Dorme", en V.F. "Le Saint-Endormi" (2016)  remarqué à la Cinéfondation du Festival de Cannnes et multi-primé dans divers festivals depuis la réalisatrice italienne Laura Samani présente son premier long métrage dont elle eu l'idée en découvrant un sanctuaire à Trava dans le nord-est de l'Italie, un sanctuaire singulier où jusqu'au 19ème siècle, les gens venaient pour obtenir un miracle qui permettait aux enfants mort-nés de revenir à la vie le temps d'un souffle. La réalisatrice précise : "De tels miracles permettaient le baptême de ces enfants mort-nés, sinon condamnés à être enterrés sans sépulture chrétienne, comme on enterre les chats. Sans baptême, il leur était impossible de recevoir un prénom ; leur âme était condamnée à errer éternellement dans les Limbes. Ce genre de lieux, appelés à répit ou sanctuaire du souffle ou de la trêve, existaient partout dans les Alpes (en France on en comptait presque deux cents). Il est surprenant que leur histoire soit pratiquement inconnue malgré l'importance du phénomène. L'histoire de ces miracles s'est frayée un chemin dans un coin de mon esprit et s'y est ancrée." La cinéaste a co-écrit son scénario avec Marco Borromei scénariste du film "Duale" (2016) de Gianluca Santoni, puis Elisa Dondi scénariste des films "Né Legerre né Scrivere (2016) Edoardo Ferraro et "Sweet Dreams" (2013) de Gianluca Santoni, deux scénaristes qu'elle retrouve après son court métrage "Le Saint-Endormi" (2016)...

1900, en Italie, Agata accouche d'un bébé mort-né. Dévastée, son deuil est d'autant plus dur qu'elle sait que son âme est condamné à errer dans les Limbes. Mais il existerait un sanctuaire dans les montagnes qui redonne vie le temps d'un souffle afin de pouvoir ensuite être baptisé et ainsi sauver son âme. Agata décide d'entreprendre ce périple et rencontre Lynx qui lui propose de l'aider à accomplir cette quête du miracle... Agata est incarnée par Celeste Cescutti dans son premier rôle pour le cinéma. Lynx est joué par Ondina Quadri vu dans les films "Arianna" (2015) de Carlo Lavagna, "Capri-Revolution" (2018) de Mario Martone et "Nuits Magiques" (2022) de Paolo Virzi... Précisons que dans la grande majorité des cas ce sont les hommes qui effectuaient le voyage, dans le film c'est pourtant une femme, la réalisatrice-scénariste explique : "Evidemment, les femmes qui venaient d'accoucher étaient encore alitées, mais je ne pouvais passer sous silence l'attente impuissante qu'elles devaient traverser. (...) La première question que j'ai posée aux co-auteurs, Elisa Dondi et marco Borromei, qui ont accompagné mon périple commencé avec La Santa Che Dorme, était : qu'arrive-t-il à la femme dans son lit ? Et si, au contraire, c'était elle qui décidait d'entreprendre ce voyage ? Nous avons ainsi commencé avec seulement deux certitudes : elle, c'est Agata, et il s'agit de sa première grossesse." Le film débute logiquement avec un accouchement qu'on sait déjà dramatique mais sans tomber dans l'hystérie ou le pathos. Agata est à l'image de son village, à la fois forte et austère, digne et fataliste mais la foi a des frontières poreuses bien indéfinissables et savoir que son bébé va errer dans les Limbes selon sa religion est une chose insupportable pour elle, la fatalité n'est finalement pas pour elle quoi qu'en dise son époux.

Le naturalisme de la réalisation est judicieusement instauré pour doucement nous emmener dans un road movie champêtre, une aventure et une quête quasi mystique qui nous parle d'émancipation féminine sans insister sur une quelconque morale, de féminité ou non sans être trop explicatif qui nous parle aussi et surtout de maternité sans être trop démonstratif, de foi sans dénoncer ou désigner du doigt... La réalisatrice-scénariste raconte un périple simple et brute, sans prendre le spectateur pour un néophyte qu'il faudrait prendre par la main. Entre Pier Paolo Pasolini et Nuri Bilge Ceylan (réalisateur entre autre de "Winter Sleep" en 2014) la cinéaste nous emmène sur les chemins tortueux de l'âme, entre fable ésotérique et chronique sociale pour obtenir un miracle qui est par définition trop rare pour y croire. Dans cette histoire se mêle un passé et un présent bientôt révolu (brigandage, dialectes,...) et une modernité très actuelle (ambivalence des sexes, émancipation féminine, tolérance...) qui donne une universalité forte à ces destins perdus mais pleins d'espérance. En cela cette fin à la fois merveilleuse et tragique s'inscrit alors pleinement dans notre société. Il y a bien des passages un peu maladroit (bébé tête nue puis soudain chevelue, boîte maltraitée mais "contenu" intact, vu la durée du voyage question de la décomposition ?!...) mais cela reste des détails car n'influant pas l'évolution du récit. Laura Samini signe un beau film, émouvant et subtil, avec en prime des paysages absolument somptueux. A conseiller et à voir.  

 

Note :      

 

14/20
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