Clara Sola (2022) de Nathalie Alvarez Mesén

par Selenie  -  9 Juin 2022, 08:36  -  #Critiques de films

Premier long métrage pour la réalisatrice-scénariste suédo-costa-ricaine Nathalie Alvarez Mesén après plusieurs courts dont "Inte Bla" (2011), "Letting Go" (2016) ou "Submerged" (2018). Alors que la cinéaste a surtout tourné dans son pays d'adoption la Suède ou aux Etats-Unis, pour son film elle a décidé de revenir au Costa Rica pour sa première oeuvre dans sa langue maternelle. Elle précise : "Même si le film est situé dan sun lieu fictif qui se rapporte esthétiquement à de nombreux endroits en Amérique latine (et comme je suis aussi suédoise, nous y avons même ajouté quelques touches scandinaves discrètes ça et là), c'est aussi très costaricain." Elle a co-signé le scénario avec Maria Camila Arias, connue pour son travail sur le très beau "Les Oiseaux de Passage" (2018) de Cristina Gallego et Ciro Guerra. La cinéaste dit s'être aussi inspiré de sa propre famille nombreuse et composée essentiellement de femmes... Dans un village reculé du Costa Rica, une femme de 40 ans renfermée sur elle-même vit sous l'influence et le contrôle de sa mère, matriarche spirituelle et religieuse de la communauté. Mais petit à petit elle va vouloir s'émanciper des conventions qu'on lui a inculquées et imposées et va s'éveiller par elle-même aux sens... 

Le casting est essentiellement composé d'inconnus et/ou d'amateurs avec quatre rôles principaux incarnés par Wendy Chinchilla Araya pour la femme de 40 ans, Flor Maria Vargas Chaves pour la mère, Daniel Castaneda Rincon pour l'homme et enfin la toute jeune Ana Julia Poras Espinoza... On suit une "vieille fille" de 40 ans qui semble n'avoir jamais eu en main son destin, obéïssant au doigt et à l'oeil à sa mère aussi dévôte qu'intolérante, une mère qu'on devine avoir due gagner en autorité chamanique par le biais de sa fille qui aurait vu la Vierge Marie un jour et qui aurait un don de guérisseuse depuis. Une "vieille fille" de 40 ans dont la virginité assure la vérité de "Sainte Clara" et qu'il faut donc sauvegarder coûte que coûte quitte à organiser la vie familiale comme une prison pour Clara, la protégeant des tentations sexuelles et donc des hommes. Mais Clara à une nièce de 15 ans, qui elle profite de son éveil à la sexualité sans sourciller et qui soudain, réveille aussi les désirs et les envies enfouis de Clara. C'est le début de la fin. On décèle au début que les dons de Clara semblent toute la vie de sa mère alors que la principale intéressée ne semble pas y croire plus que ça, voir ne semble jamais l'avoir touchée et/ou intéressée (?!) Est-ce un réel don ou du charlatanisme ?! En tous cas deux lignes de dessinent au départ, la foi de la mère est si extrême qu'elle refuse de faire opérer Clara d'une scoliose très handicapante et qu'elle a fait de sa fille une prisonnière de sa propre secte, l'autre est que Clara s'est façonnée une vie isolée et intime en contact direct avec la faune et la flore environnante. Deux lignes qui vont se mouvoir vis à vis des désirs charnels qui chamboulent de plus en plus Clara, pauvre témoin des aventures sexuelles de sa jeune nièce. La religion est une prison, la frustration sexuelle la symbolique d'une privation de liberté. La force du film est d'allié un réalisme docu-fiction à un onirisme bucolique autour d'un drame déchirant, voir terrifiant.

Dans sa partie drame fantastique on pense pour une partie à "Carrie au Bal du Diable" (1976) de Brian De Palma, et même un peu à "The Witch" (2016) de Robert Eggers, alors que le reste s'inscrit dans le cinéma social inhérent à l'Amérique Latine et au surréalisme onirique à la façon de Apichatpong Weerasethakul. On sent que Clara n'attendait qu'un déclic pour s'éveiller à sa propre liberté, et que finalement cette liberté jusque là en sommeil forcé n'arrive que par la jeunesse de sa nièce. Une liberté emprisonnée par une mère aveugle et finalement peu aimante car trop engoncée dans une vie qui tient avant tout au statut de sa fille "sainte". Une liberté qui touche pourtant à tout ce qui fait la personnalité de Clara, et qu'il aura fallu 40 ans pour qu'elle puisse oser y goûter ; liberté sexuelle, liberté de penser, liberté de parler, liberté de dire, liberté d'agir, liberté de choisir et même liberté de croire ou pas ! Clara n'aura été jusque là qu'une chose appartenant corps et âmes à sa mère et c'est ce qui rend cette histoire effrayante et triste, mais c'est ce qui rend aussi la fin si belle et si poétique. Malgré tout on reste un peu perplexe, voir aussi frustré que l'a été Clara, à savoir où se place la religion vis à vis des "pouvoirs" de Clara et vice versa ?! Par là même, la scoliose de Clara est-elle réelle ou pas ?! Cette scoliose est-elle un simple prétexte ou un paramètre sous-exploité ?! Le film est assez fascinant mais s'éparpille peut-être un peu trop, ou au contraire n'ose pas assez. Nathalie Alvarez Mesén signe un drame aux multiples niveau de lecture, passionnant mais aussi un peu fouilli dans le sens où à force d'aborder trop de sujets on prend le risque de n'en approfondir aucun. Néanmoins, le film est tragiquement beau, il ne manque ni de grâce ni de réflexion ce qui est déjà une grande et indéniable qualité. À voir et à conseiller.

 

Note :                

13/20
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