Men (2022) de Alex Garland
3ème long métrage de Alex Garland après le très réussi "Ex machina" (2014) et le moins bon "Annihilition" (2017). Rappelons tout de même que ce cinéaste était avant tout romancier, dont deux oeuvres ont d'ailleurs été adaptées par Danny Boyle avec "La Plage" (1998) et "Sunshine" (2007). D'ailleurs ce n'est sans doute pas un hasard de retrouver à la production Andrew MacDonald, petit-fils de l'éminent réalisateur Emeric Pressburger, et surtout producteur fidèle de Danny Boyle depuis "Petits Meurtres entre Amis" (1995) et donc presque logiquement devenu celui de Alex Garland dès son premier film. Le réalisateur-scénariste quitte cette fois la SF pour le genre horrifique tout en explorant encore ses sujets de prédilection comme la fécondité, l'isolement ou encore l'omniprésence de la nature... Après le suicide inexpliqué de son ex-mari Harper décide de partir s'isoler dans la campagne britannique, au sein d'un immense propriété au milieu des bois. Elle y fait des rencontres étranges mais bientôt elle se sent épiée et poursuivie par une présence mystérieuse provenant des bois environnants. Elle découvre bientôt que plusieurs hommes du village ont le même visage, elle s'interroge aussi, peut-être y-a-t-il un lien avec la mort violente de son ex ou est-ce juste ses souvenirs douloureux qui nourrissent ses peurs ?!...
/image%2F0935117%2F20220609%2Fob_510f61_4890195.jpg)
Harper est incarnée par la belle et talentueuse Jessie Buckley révélation de "Wild Rose" (2018) de Tom Harper (un signe !), et vue depuis entre autre dans "Judy" (2019) de Rupert Goold, "Miss Revolution" (2020) de Philippe Lowthorpe et "Un Espion Ordinaire" (2021) de Dominic Cooke. Les hommes du village sont tous incarnés par Rory Kinnear surtout connu comme l'agent Bill Tanner dans la saga 007 (2008-2021) alias Daniel Craig mais vu aussi dans "Imitation Game" (2014) de Morten Tyldum ou "À Ceux qui nous ont Offensés" (2016) de Adam Smith. Citons ensuite Gayle Rankin aperçue dans "The Greatest Showman" (2018) de Michael Gracey et "The Climb" (2020) de Michael Angelo Covino, Sonoya Mizuno qui retrouve le cinéaste après "Ex Machina" et "Annihilation" et vue également dans "La La Land" (2016) de Damien Chazelle et "Crazy Rich Asians" (2018) de Jon M. Chu, et enfin Paapa Essiedu acteur inconnu surtout aperçu dans diverses séries TV outre Manche... Le sujet est affirmé d'entrer, les violences conjugales, sujet ô combien d'actualité ! Même si d'emblée on s'étonne que la victime déclare qu'un seul coup de trop a été asséner alors qu'un homme violent de façon récurrente et habituelle aurait eu une portée plus pregnante et probante, d'autant plus quand le soucis de la culpabilité est vis à vis de la mort du conjoint repoussant de fait la violence originelle en second plan. Harper/Buckley s'exile donc pour quelques jours afin de se ressourcer, de réfléchir, d'éviter de culpabiliser, se préparer à continuer de vivre. Elle a choisi un manoir magnifique (propriété sublime dans le Gloucestershire), perdu dans la campagne, véritable Eden d'espérance. Très vite pourtant, les habitants du village semblent tous plus ou moins bizarres, certains menaçants, d'autres moins, tous sont une facette de la virilité et/ou du machisme, symbole du patriarcat, le propriétaire, le policier, le barman, le sale garnement et même un prêtre... Et oui n'oublions pas le poids de la religion dans la soumission de la femme ! D'autant plus pernicieux que les cauchemars et souvenirs douloureux de Harper se mêle à des visions d'un mysticisme païen qui font appel aux mythes et légendes autour de la Sheela-na-Gig (Tout savoir ICI !) et de l'Homme Vert (Tout savoir ICI !).
/image%2F0935117%2F20220609%2Fob_37ccb4_men-alex-garland-696x365.jpg)
La religion est une tromperie qui renvoie à sa place la femme entre fonction de fécondité et source de viol(ence). Le réalisateur impose une atmosphère malaisante que la fantaisie du "propriétaire rustique" ne fait qu'accentuer. Les cauchemars et les pensées de Harper s'invitent comme des conséquences de sa culpabilité, et semblent ne faire qu'écho aux métaphores plus ou moins subtils comme les graines, tunnels, et autres symboles "maternels". Pourtant le cinéaste use des trucs habituels inhérents au genre horrifiques (porte qui grince, poignée actionnée discrètement, ombre et lumière...) sans en abuser insistant plutôt sur les harcèlements psychopathes des habitants et qui renvoie à sa peur du mari disparu. Dans le genre Alex Garland est entre "The Witch" (2016) de Robert Eggers et "Mother !" (2017) de Darren Aronofsky mais avec un écrin champêtre qui reste comme un cocon protecteur, dense et calfeutré, signe qu'un espoir de rédemption est possible. Tout s'imbrique, les agressions plus ou moins directes aux souvenirs en passant par les totems païens cités plus haut, en passant par une nature luxuriante et foisonnante de toute beauté jusqu'à cette ultime partie où la fécondité s'impose de façon frontale, où le sang renvoie à la féminité dans une séquence qui frôle le grotesque (trop longue, trop insistante) pour une conclusion attendue, celle d'une histoire de souffrance psychologique et émotionnelle et du chemin de croix qui ramène à la vie. Il faut saluer les perfomances, parfois ingrates, de Rory Kinnear et de l'émouvante mais combattive Jessie Buckley qui souffre mais ne se pose jamais en victime fragile. Alex Garland signe un drame psycho-horrifique imaginatif aussi terrifiant que beau qui pêche par quelques facilités et un passage qui ne méritait pas autant d'insistance. Un film à ne pas conseiller aux âmes sensibles, mais un film à voir.
Note :