Que Dios Nos Perdone (2016) de Rodrigo Sorogoyen
Après son remarqué "Stockholm" (2013) le réalisateur espagnol revient avec un thriller, genre qui a alors le vent en poupe en Espagne avec quelques bijoux comme "La Isla Minima" (2015) et "L'Homme aux Mille Visages" (2017) de Alberto Rodriguez puis "La Colère d'un Homme Patient" (2017) de Raul Arevalo. Sorogoyen a voulu s'y accoler en affirmant qu'il voulait détourner les codes du genre : "Tout a déjà été fait dans le cinéma de genre. Le pervertir un peu me stimule et j'espère que cela a le même effet sur les spectateurs. 8 citas et Stockholm étaient des films qui suivaient des shémas pour mieux basculer dans des sentiers moins balisés dans leur seconde moitié. Ce principe est encore plus présent dans Que Dios Nos Perdone. C'est une sorte de motivation personnelle pour surprendre les gens... Même si je sais que je n'invente rien avec ces ruptures." Le cinéaste retrouve après son premier film sa scénariste Isabel Pena avec qui il écrira aussi ses prochains films... Eté 2011 à Madrid, alors que la canicule s'impose la ville est aussi en ébullition quelques jours avant la visite du Pape Benoît XVI. Le contexte géo-politique est alors tendu, c'est à ce moment que les policiers Alfaro et Velarde enquêtent sur des crimes qui semblent être l'oeuvre d'un serial killer. Mais les policiers ont aussi leur vice...
Les deux policiers sont incarnés par le très prolifiques Antonio de la Torre vu dans un grand nombre de grands films notamment chez Alex de la Iglesia et Pedro Almodovar, plus récemment vu dans "Une Vie Secrète" (2019) de Aitor Arregi, Jon Garano et Jose Mari Goenaga, en retrouvant Sorogoyen dans "El Reino" (2018) et surtout déjà rompu au genre puisque également en tête d'affiche dans "La Isla Minima" (2015) et "La Colère d'un Homme Patient" (2017), il retrouve aussi après "Ne Dis Rien" (2003) de Iciar Bollain et avant "Tiempo Despuès" (2018) de Jose Luis Cuerda son partenaire Roberto Alamo vu également dans "La Piel que Habito" (2011) de Pedro Almodovar et "La Gran Familia Espanola" (2013) de Daniel Sanchez Arevalo. Citons ensuite Javier Pereira vu dans "Les Disparus" (2008) de Paco Cabezas et qui retrouve Sorogoyen après le court "8 Citas de Peris" (2008) et "Stockholm", Luis Zahera vu dans "Cellule 211" (2010) de Daniel Monzon et qui retrouve Antonio de la Torre après "Invasion" (2012) de Daniel Calparsoro et "El Reino" de Sorogoyen, sur ce dernier retrouvant également la jolie Maria de Nati, José Luis Garcia Pérez vu dans "Reinas" (2005) de Manuel Gomez Pereira et "Un Novio para Yasmina" (2008) de Irene Cardona, Alfonso Bassave vu dans "Au Prix du Sang" (2011) de Roland Joffé et "Je t'Aime, Imbécile !" (2020) de Laura Mana, Raul Prieto qui retrouvera Sorogoyen après "Madre" (2021), puis enfin Maria Ballesteros vue dans "Princesas" (2005) de Fernando Leon de Aranoa et qui retrouvera ses partenaires principaux dans "Tiempo Despuès" (2018)... Le choix de situer l'histoire en août 2011 n'a rien d'anecdotique, elle correspond à la venue du Pape et donc à des manifestations sous le soleil dans le cadre sous effervescence des Journées Mondiales de la Jeunesse, donc dans un contexte sécuritaire et de paranoïa qui accentue toujours la peur et le stress, mais pas que comme l'explique le réalisateur-scénariste : "Nous avions vécu ce mois d'août si particulier, qui est devenu une expérience de vie par le chaos qui s'est alors emparé de Madrid, très inhabituel pour cette ville. Cette situation très singulière, voire, d'une certaine manière, historique, aura mis en lumière la transition entre la tradition d'une Espagne très catholique et l'apparition d'une nouvelle génération d'espagnols qui l'est beaucoup moins. C'était le cadre parfait pour notre histoire : la visite du Pape attendue par des fervents catholiques, une partie de la population de la ville contre cette venue, et la police au milieu. Il nous fournissait une dramaturgie parfaite autour d'un tueur commettant des actes atroces mais que la police ne pouvait pas ébruiter pour ne pas amplifier la polémique autour du séjour du Pape..."
On peut presque voir une anti-thèse à "Seven" (1996) de David Fincher, sous la pluie en proie à un serial killer singulier deux flics aux antipodes presque trop parfaits (jeune aux dents longs marié et un vieux briscard méticuleux), alors qu'à Madrid c'est canicule, le tueur est dans une mouvance plus psychiatriquement "commun", et surtout, surtout on a deux flics en proie à leur propre vice : la violence, comme l'explique le cinéaste : "La violence a été un sujet présent dès l'origine du film. Nous voulions aborder ses divers aspects : tant celle des hommes que celle des sociétés occidentales. Leur héritage hétéro-patriarcal fait qu'elle a toujours été pratiquée par des hommes. Il était donc fondamental qu'elle soit au coeur de Que Dios Nos Perdone". Cette exploration de la violence est le plus intéressant, avec le flic borderline habituel, mais aussi le patron qui à l'apanage de l'agression verbale inappropriée, ou encore la violence sous-jacente d'une pulsion frustrante du second policier. Toutes formes de violences donc parfaitement intégrées au récit mais dont les origines ne sont jamais abordées ; à contrario du tueur psychiatriquement expicable et donc tout aussi à contrario du tueur de "Seven". Pour les policiers sujets à des pulsions violentes, on peut ainsi s'étonner que les excès ne soient jamais mis en parallèle des conséquences d'un travail difficile et perturbant, d'ailleurs on peut y déceler un rapport avec l'application presque malsaine de Velarde/Torre a examiné les cadavres alors même qu'il n'est pas médecin légiste, ce qui par là même place le spectateur dans une situation désagréable et dérangeante. Précisons sur ce point que plusieurs passages ne sont pas à mettre devant les yeux des plus jeunes, le film a logiquement une interdiction pour les moins de 12 ans. Rodrigo Sorogoyen signe un thriller "sale" à tous les niveaux, montrant une facette d'un certain machisme ( qui a la plus grosse ?!) mais aussi une société qui ne fait rien pour changer les choses où les flics sont presque obligés de flirter avec la ligne jaune pour choper les cinglés en circulation... Un très bon moment même si on aurait aimé un peu plus de subtilité.
Note :