La Légende du Roi Crabe (2022) de Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis

par Selenie  -  29 Septembre 2022, 17:11  -  #Critiques de films

Premier long métrage de fiction pour les deux cinéastes italiens Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis qui sont amis depuis l'adolescence. Ils ont déjà signé plusieurs plusieurs films documentaires, d'abord séparément puis deux en communs avec "Belva Nera" (2013) et "Il Solengo" (2015). Alessio Rigo de Righi précise sur leur première collaboration : "C'est Matteo qui nous a conduits vers Vejano. Il connaissait Ercolino, un romain installé là-bas depuis plusieurs années et qui possède un gîte au beau milieu d'un domaine où se réunissent régulièrement des chasseurs de la zone pour manger, boire et raconter des histoires locales. L'une de ces légendes, celle d'un panthère qui terrorisait le village, nous a donné l'idée de Belva Nera. Pendant le tournage, les chasseurs nous ont raconté une autre légende, et nous avons alors réalisé une deuxième documentaire : Il Solengo. Cette fois encore, durant la réalisation du film, nous avons entendu une autre légende : l'histoire de Luciano, le héros de la Légende du Roi Crabe." Les deux cinéastes co-réalisent et co-signent le scenario, en collaboration avec Tommaso Bertani leur producteur de "Il Solengo"... De nos jours, de vieux chasseurs se remémorent la légende de Luciano. Par des chants traditionnels ils ravivent ainsi le destin de Luciano, ivrogne pourtant nanti, qui s'oppose avec entêtement au prince de la province qui refusent désormais que les éleveurs passent par son domaine. Mais tandis qu'il tombe amoureux, ses ennemis vont se servir de sa romance pour le piéger. Plus tard, on retrouve Luciano en exil en Argentine, où accompagné de pirates il part en quête d'un trésor aidé par les sens d'un crabe...

Le rôle titre de Luciano est incarné par un acteur inconnu, Gabriele Silli, ami des deux cinéastes qui est en ville un artiste plasticien romain : "Gabriele a des traits de caractère proches du personnage, c'est pour cette raison que nous avons pensé à lui." Il tombe amoureux de Maria Alexandra Lungu, actrice révélée dans le film "Les Merveilles" (2014) de Alice Rohrwacher mais qu'on n'avait pas revu depuis. Citons ensuite les acteurs Jorge Prado vu entre autre dans "La Peste" (1992) de Luis Puenzo, "La Fé del Volcan" (2001) de Ana Poliak, "La Reconstrution" (2013) de Juan Taratuto ou "La Flor" (2018) de Mariano Llinas, Dario Levy vu dans "Domingo de Ramos" (2010) et "The Fisherman" (2017) tous deux de José Glusman, Mariano Arce vu dans "Jauja" (2014) de Lisandro Alonso puis Daniel Tur aperçu dans "Cruzaron el Disco" (2005) de Fernando Cricenti. Et enfin n'oublions pas les plus petits rôles dont les chasseurs avec Ercole Colnago, Severino Sperandio, Bruno Di Giovanni, Pietro de Nella, Domenico Chozzi, Claudio Castori... Outre les légendes de ces chasseurs les deux cinéastes ont effectué de nombreuses recherches, sur Luciano mais aussi sur les animaux : "Nous avons trouvé plusieurs homonymes parmi les immigrants italiens en Argentine : l'un d'entre eux pourrait être Luciano. Nous nous sommes à notre tour rendus en Terre de Feu, pour effectuer des repérages. Nous avons découvert un univers riche de récits et d'aventures invraisemblables d'italiens émigrés. Nous voulions que, dans la partie argentine, l'histoire de Luciano fasse écho à tous ces mythes issus de la culture de l'émigration." Idem donc pour les animaux, après la panthère et le sanglier de leurs documentaires, voici donc le choix singulier du crabe : "C'est une idée qui est née avec le film. Nous l'avons inventé. Il n'y a pas vraiment d'explication au choix du crabe. Il est vrai qu'en Argentine nous avons entendu un grand nombre d'histoire avec des animaux. Mais le crabe que Luciano utilise pour s'orienter en Terre de Feu n'en fait pas partie. Il s'agit simplement pour nous d'un élément surréel et magique." Le film raconte donc en fait deux légendes en une, Luciano en Italie, et Luciano et le roi crabe. D'ailleurs précisons que le titre film en V.O. est "Re Granchio" ce qui signifie en italien "Crabe Royal". Le film débute comme un documentaire sur de vieux chasseurs qui perpétuent la transmission orale et chantante des légendes traditionnelles. Puis on plonge plusieurs décennies avant, Luciano est un ivrogne, un boit sans soif qui serait un SDF aujourd'hui si son père n'avait pas le statut enviable de médecin de la province.

Alcoolique mais aux sens révolutionnaires et anarchiques affûtés, il a une obsession, celle de rouvrir la porte de la propriété du Prince qui refuse désormais que les troupeaux traversent son domaine, tout en séduisant la fille d'un éleveur qui ne voit pas d'un bon oeil que cette dernière s'entiche d'un bon à rien. Luciano n'a effectivement pas l'apanage de la confiance, et le père de la fille n'espérerait évidemment pas un tel parti pour son enfant. La bonhommie et cette liberté permet une certaine empathie pour Luciano, mais on ne comprend jamais pourquoi un fils de médecin, nanti donc, serait devenu un clochard éthylo-suicidaire ?! Sa quête pour une porte, symbole d'un emprisonnement, est intéressante mais jamais vraiment exploitée surtout quand on vient la rencontre avec le Prince. Et enfin arrive une incohérence étrange, où comment comprendre le lien peu probant entre causes et conséquences du feu de la porte ?! La seconde partie en Argentine, on retrouve Luciano, sans doute des mois voir des années après son départ en exil. Il semble moins alcoolique, plus aventurier, et même qui aurait renier ce qu'il était et ce dont en quoi il croyait. Un film moins drame historique et plus chronique d'aventure ésotérique. On passe de la campagne italienne aux terres sauvages de la Terre de Feu. Une chasse au trésor dont on ne sera rien, ni de ses origines ni de sa finalité. Une quête qui semble surtout pour Luciano être une quête de soi, une sorte de quête initiatique pour se retrouver ou tenter de s'ouvrir de nouveaux horizons. Ce qui n'est pas aisé, ni aussi loin du monde, ni accompagné de pirates forcément peu enclin à l'honnêteté ou à la solidarité. Cette partie renvoie comme un écho au film "Jauja" cité plus haut. Sur le fond rien n'est bien compréhensible et/ou linéaire. La boussole de cette troupe s'avère être un gros crabe rouge, dont on ne sait pas grand chose ce qui, effectivement, ajoute une dimension mystique et surréaliste à l'aventure. Les deux histoires ont sur le fond pas grand chose à raconter ou à dire. Mais on adore la façon d'utiliser les chants folkloriques qui content les légendes, on adore cette réunion de vieux chasseurs qui octroie au film une authenticité saisissante tout en instaurant une mythologie palpable. On aime le style du film, oscillant constamment entre docu-fiction et fable ésotérique, avec ce rythme lancinant qui s'avère parfaitement raccord avec le style de vie de Luciano, sorte de roi des clochards. Les réalisateurs subliment les décors (1ère partie) et les paysages (2nde partie) offrant ainsi presque deux films en un, passant d'une histoire terre à terre tragique à une quête surréaliste. Un film qui ne peut laisse indifférent mais pas forcément abordable pour tous. Un film d'auteurs singulier, assez envoûtant, inspiré et inspirant qui a eu du mal à trouver son public malheureusement avec moins de 10000 entrées France. Néanmoins, un film assez différent et original pour le conseiller, à voir ne serait-ce pour prouver et montrer qu'il y a autre chose que les soupes des grosses productions. Un très bon moment.

 

Note :      

 

14/20
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