Les Nuits de Mashhad (2022) de Ali Abbasi

par Selenie  -  21 Juillet 2022, 09:10  -  #Critiques de films

Après "Shelley" (2016) et un très bon et singulier "Border" (2018) voici le troisième film du réalisateur iranien Ali Abbasi sur un fait divers qui s'est déroulé en 2000-2001 en Iran, où un maçon bon père de famille surnommé l'Araignée a assassiné une quinzaine de prostituées pour "débarrasser la ville saint de Mashhad de la débauche". Le cinéaste précises : "J'avais encore des attaches en Iran, mais en 2001 j'étais en train de m'installer en Europe pour y faire des études. Et puis, il y a eu les attentats du 11 septembre et, auparavant, la folie meurtrière et l'arrestation de Saeed. Je n'étais pas tellement intéressé par l'affaire des meurtres qui s'étaient produits un an plus tôt car le phénomène des tueurs en série n'est pas rare en Iran. J'ai commencé à m'intéresser à l'affaire lorsqu'on s'est mis à considérer Saeed comme un héros - et qu'on a raconté qu'il accomplissait son devoir religieux en assassinant des prostituées dans les rues de Mashhad." Le réalisateur a définitivement voulu porter à l'écran cette histoire après avoir vu le documentaire "And Along Came a Spider" (2002) de Maziar Bahari (disponible sur Youtube ICI !), le cinéaste rajoute : "Je m'attendais à une sorte de Buffalo Bill, le tueur du Silence des Agneaux. Mais Saeed était charismatique et donnait le sentiment d'être naïf ou innocent. Comme il n'avait pas du tout l'habitude des médias, il a fait des déclarations devant la caméra qui allaient à l'encontre de ses intérêts. Pour autant, il avait l'air heureux et semblait s'être pardonné ses crimes. Ce n'était pas un type manipulateur et il dégageait une certaine honnêteté. Non pas que je l'appréciais ou que j'approuvais ses actes, mais cela rendait son histoire et son personnage plus complexes que je l'imaginais." Ali Abassi co-signe le scéanrio avec un inconnu, Afshin Kamran Bahrami. Le film a été présenté au dernier Festival de Cannes 2022 où l'actrice principale a reçu lr Prix d'interprétation féminine... 

Iran en 2001, une journaliste de Téhéran se rend à la ville sainte de Mashhad afin d'enquêter sur les meurtres de plusieurs prostituées. Elle plonge dans les bas-fonds de la ville alors que les autorités ne semblent pas franchement investis à retrouver le ou les coupables... La journaliste est interprétée par Zahra Amir Ebrahimi vue entre autre dans "Shirin" (2008) de Abbas Kiasrostami, "Téhéran Tabou" (2017) de Ali Soozandeh, puis en France dans "Damien veut changer le Monde" (2019) de Xavier de Choudens et "Les Survivants" (2022) de Guillaume Renusson. Le tueur est incarné par Mehdi Bajestani grand acteur de théâtre très connu en Iran ayant peu tourné pour les écrans outre le court métrage "Thirteen" (2003) de Vahid Rahbani, le long "There are Things you don't Know" (2010) de Fardin Saheb-Zamani et deux série TV "Davaran" (2013) et "Whisper" (2018). La plupart des acteurs ne sont pas connus hors de leurs frontières. Citons Arash Ashtiani vu avant dans le court métrage "The Tunnel" (2021) de et avec lui-même, Forouzan Jamshidnejad vue dans le film "Mitra" (2021) de Kaweh Modiri, Sara Fazilat aperçue dans la série TV "Rosa : WEdding Plannause" (2015-2016), Nima Akbarpour vu dans "Real-Time Combat" (2020) de et avec lui-même, Firouz Agheli vu dans "Namo" (2020) de Nader Saievar, puis enfin n'oublions pas celles qui tournent surtout en France avec Sina Parvaneh vue dans le court métrage "Nocturnes" (2018) de Hélène Rastegar, Ariane Naziri aperçue dans le film "Les Sandales Blanches" (2021) de Christian Faure et Alice Rahimi aperçue dans quelques séries TV comme "Section de Recherche" (2006-2022) et surtout vue dans le film "Le Sel des Larmes" (2020)  de Philippe Garrel... Vis à vis de la véracité des faits, le réalisateur-scénariste précise : "Au fil du temps, jeme suis autorisé à m'éloigner des faits parce que j'avais le sentiment que cette affaire ne concernait pas uniquement Saeed - elle parlait de misogynie. Le personnage de Rahimi est devenu aussi important que celui de Saeed. D'un point de vue dramaturgique;, il semblait logique que leurs trajectoires se croisent." Par là même, si l'héroïne journaliste est fictionnelle elle renvoie à la journaliste qiu apparaît justement dans le documentaire cité plus haut comme le précise le cinéaste : "Bien qu'elle soit originaire de Mashhad, elle n'a pas enquêté sur les meurtres. Elle a publié un excellent article sur l'exécution de l'assassin qui m'a inspiré. Elle a notamment écrit que ses dernières paroles ont été "ça ne devait pas se passer comme ça", suggérant qu'il avait passé un accord avec le gouvernement." La première chose qui importe pourtant dans le film reste justement la ville de Mashhad qui intrigue forcément et, en tant qu'occidentaux, on a peut-être du mal à imaginer autant de prostituées dans une ville saint musulmane : "La prostitution est endémique : il est inutile de se rendre dans un quartier en particulier, les prostituées s'affichent partout, aux yeux de tous, y compris près de la mosquée. Je pense que la prostitution est tolérée parce qu'il s'agit d'un secteur économique qui fait partie de l'activité "touristique" de la ville. Du coup, la police ferme les yeux sur ce phénomène."

Néanmoins, le cinéaste a dû tourner en Jordanie après avoir envisagé les lieux mêmes, puis la Turquie mais ces deux pays imposent trop de censure. On le comprend d'autant plus que le réalisateur ose montrer des scènes qui restent "classiques" pour un occidental, mais qu'on imagine forcément choquantes ou sacrilèges pour un pays aussi islamique que l'Iran. On pense à des passages de meurtres en gros plan, à une scène d'amour plutôt crue pour un film moyen-oriental ou même une certaine idée de la corruption. Notons la sublime affiche du film, une des plus originales et une des plus belles de l'année ! Si l'héroïne est bien une journaliste elle n'est pourtant qu'une facette du récit, en effet  le scénario met en parallèle l'enquête de la journaliste et le quotidien du tueur en série qui nous est divulgué dès les premières minutes. Pour la journaliste, il y a évidemment toute la difficulté de faire son travail dans une société aussi patriarcale, misogyne et finalement d'une hypocrisie infecte, d'autant plus quand les victimes sont des prostituées dont tout le monde se fout. Pour le tueur, ce qui compte c'est de montrer un homme "normal", aimant sa femme et ses enfants, travaillant dur chaque jour mais dont la foi a ébranlé l'esprit. Le réalisateur déclare : "Ce film n'aborde pas la dimension énigmatique d'un tueur en série, mais la banalité de l'existence de Saeed, garçon frustre et sans relief. Pour moi, c'est plus intéressant qu'un personnage mythique à la Buffalo Bill." On rejoint le cinéaste sur ce point, ce point, l'homme est sans envergure, il est juste un terroriste des bas fonds d'une ville, un parmi tant d'autres qui s'attaquent aux cibles les plus faciles de sa communauté. Le parallèle entre la journaliste et la position des prostituées est le plus intéressant, car la journaliste connaît des situations qui la place en symbole des femmes iraniennes, et finalement elle est souvent en position de soumission qui fait écho aux prostituées. L'autre point de vue, reste la dimension judiciaire où le tueur devient le héros d'un pays islamique, un héros gênant pour le gouvernement mais un héros dont le profil démontre un pays qui fait forcément peur. Ali Abbasi signe un thriller dans la veine d'un "Zodiac" (2007) de David Fincher mais avec toute la dimension islamique inhérente à l'Iran ce qui donne aussi un drame social qui n'est pas anodin. 

 

Note :      

 

15/20
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
D
Bonjour Selenie, c'est un film riche, poignant et passionnant. Les scènes d'assassinats sont terribles. Un grand film. Bonne après-midi.
Répondre