As Bestas (2022) de Rodrigo Sorogoyen
Après le drame "Madre" (2019) le réalisateur espagnol revient à ses premières amours avec un nouveau thriller comme les excellents "Que Dios nos Perdones" (2016) et "El Reino" (2018). Cette fois dans une co-production franco-espagnole et dans dans une histoire tournée en langue française, castillane et galicienne. Sur ce projet le cinéaste déclare dans une note d'intention : "Ce que je trouve intéressant dans la justice, c'est qu'elle n'est pas incontestable. Elle est relative. En fonction du point de vue qu'on adopte pour raconter une histoire, on peut avoir une certaine conception de ce qui est juste ou, à l'inverse, en avoir radicalement différente. Avec Isabel Pena, ma co-scénariste, on aime placer le spectateur (c'est-à-dire nous-mêmes) à la place de l'autre, dans la situation la plus inattendue. Quand nous créons des personnages, nous nous obligeons à les comprendre." Rodrigo Sorogoyen co-signe donc le scénario avec Isabel Pena, fidèle collaboratrice depuis le film "Stockholm" (2013)... Antoine et Olga, un couple de français sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice qui se meurt. Ils vivent de peu dans leur ferme et restaurent des maisons abandonnées espérant sans trop y croire un repeuplement du village. Heureux désormais depuis des années tout s'effrite soudain quand arrive un grave conflit avec leurs voisins. Alors que tout était idyllique, la tension monte...
Le couple de français est incarné par Marina Foïs dans son premier film étranger, qui renoue avec le thriller après "Polisse" (2011) de Maïwenn et surtout "Irréprochable" (2016) de Sébastien Marnier tout en continuant à alterner les genres comme récemment avec "La Fracture" (2021) de Catherine Corsini et le succulent "Barbaque" (2021) de et avec Fabrice Eboué, puis par Denis Ménochet en salles actuellement dans "Peter Von Kant" (2022) de François Ozon, mais aussi acteur international depuis "Inglourious Basterds" (2009) de Quentin Tarantino vu depuis dans des films hors France aussi divers que "Assassin's Creed" (2016) de Justin Kurzel, "Marie Madeleine" (2018) de Garth Davis ou "Désigné Coupable" (2021) de Kevin MacDonald. Chez les frenchy citons leur film interprétée par Marie Colomb aperçue dans les films "Vaurien" (2020) de Peter Dourountziz et "Les Magnétiques" (2021) de Vincent Cardona. Les deux frères voisins sont joués par Luis Zahera qui retrouve Sorogoyen après "Que Dios nos Perdones" (2016) et "El Reino" (2018), vu également dans des films comme "Capitaine Alatriste" (2006) de Agustin Dias Yanes, "Cellule 911" (2010) de Daniel Monzon ou "Fou de Toi" (2021) de Dani de la Orden, puis Diego Anido vu dans "Pedro e o Capitan" (2009) de Pablo Iglesias et "Trote" (2018) de Xacio Bano... Le film débute avec une scène à la fois belle et tviolente où les aloitadores affrontent un cheval sauvage pour l'immobiliser et pouvoir lui couper la crinière, qui s'avère être un acte de soin et non pas une agression. Une scène symbolique que le réalisateur explique : "L'ordre naît du chaos, puis redevient chaos, avec un autre cheval. C'est une magnifique métaphore qui permet d'ouvrir le film." L'histoire se déroule dans un monde rural en déclin, un monde rude et rustique, presque anachronique, la technologie est rare et reste obsolète (ordi des années 80/90, smartphone inutile...), et su le réalisateur précisent "Deux frères en colère contre le monde. La réalité de leur combat comme celle des étrangers." on constate vite que le fait que le couple soit français et donc étranger n'est qu'un paramètre très secondaire. Ils seraient catalans ou andalous en Galicie, le soucis serait le même. L'écologie devient ici un facteur capitaliste extrême et presque antinomique et fait se confronter deux visions du monde, deux castes différentes. Le thriller psychologique se met en place doucement mais on devine que les coups bas avaient commencé avant le début du film. Le harcèlement est l'arme la plus efficace dans une guerre de voisinage.
Les deux voisin s'en prennent au français comme des gosses le feraient envers un camarade obèse ou roux, deux voisins qui sont effectivement comme des gamins, immatures et donc potentiellement dangereux. Dans une contrée un peu réculée, hors du monde, le thriller psychologique sur le fond se fait aussi western dans la forme. Il y a les grands espaces, les fermes comme des ranchs, le fusil, la rudesse du travail, les conditions difficiles, le shérif qui est trop loin... etc... Pendant près de 1h30 la tension monte subrepticement, l'angoisse s'instille lancinante et insidieuse et comme toujours les soupçons ne sont jamais des preuves. Le réalisateur soigne sa photographie, offre un suspense qui reste en filigrane mais qui tisse sa toile de façon méthodique, et on s'attend alors à un dénouement tragique façon "Les Chiens de Paille" (1972) de Sam Peckinpah. Malheureusement, un rebondissement survient, plus ou moins attendu mais qui arrive peut-être trop vite, et sans doute avec une dernière partie un peu longue. On s'aperçoit que la fille est un personnage sous-exploité voir superflu, on aurait donc pu gagner 20mn et ce, même si l'actrice joue merveilleusement bien et offre de belles émotions mère-fille. Mais la fin est surtout longue car on sait déjà ce qui va arriver, étirer au maximum ne sert à rien et on s'agace un peu. Dommage, car pendant 1h30 on était dans du très haut de gamme, tandis que la dernière partie. Par contre on salue le magnifique casting, Ménochet en géant d'argile est grandiose, mais c'est Marina Foïs qui impressionne même si elle est un peu effacée dans la première partie (d'ailleurs pourquoi la vidéo la gêne tant ?!), et enfin les deux voisins espagnols joués par deux acteurs investis aussi pathétiques qu'effrayants . En conclusion, Rodrigo Sorogoyen signe une fois de plus un thriller socialo-écolo subtil et puissant, malin et prenant qui mérite le détour. Il manque le haut du panier par une dernière partie qui tarde à conclure alors que tout est joué, mais ça reste à voir et à conseiller.
Note :