Peter Von Kant (2022) de François Ozon
Après une comédie dramatique somme toute assez classique avec "Tout s'est Bien Passé" (2021), François Ozon revient vers un des artistes qui le fascine depuis toujours. Ainsi pour son nouveau film adapte-t-il la pièce de théâtre "Les Larmes Amères de Petra Von Kant" (1971) de Rainer Werner Fassbinder que l'auteur a adapté lui-même dans le film éponyme (1972). Ozon avait déjà adapté le réalisateur avec un de ses premiers films avec "Gouttes d'Eau sur Pierres Brûlantes" (2000) tiré de la première pièce éponyme du cinéaste allemand (1965-1966). Pour cette adaptation en effet le réalisateur français modifie un peu l'oeuvre originelle, notamment de transposer l'histoire à des protagonistes masculins comme il s'en explique : "Juliane Lorenz, la denrière compagne de Fassbinder, a confirmé mon intuition : dans Les Larmes Amères de Petra Von Kant, Fassbonder a transposé son histoire amoureuse et malheureuse avec l'un de ses acteurs fétiches, Günther Kaufman, en une histoire d'amour lesbien entre une créatrice de mode et son modèle. Et le personnage de Karl (Marlène) serait inspiré de Peer Raben, compositeur de ses musiques de films, qui avait été aussi son assistant. À partir de là, la manière de revisiter ce texte était claire pour moi : transformer le personnage de Petra en homme, Peter Von Kant, et en faire un réalisateur. Ce qui me permettait de parler de Fassbinder - et par effet de miroir, aussi de moi. Il s'agissait de trahir Fassbinder pour mieux le retrouver et me retrouver moi-même dans une histoire universelle de passion amoureuse, plus que jamais d'actualité, interrogeant les rapports de domination, d'emprise et de soumission dans la création, le rapport muse/pygmalion..." Ozon a aussi simplifié des dialogues originaux souvent trop littéraire, ce qui serait expliqué par un Fassbinder de seulement 25 ans au début des années 70 et qui était semble-t-il très influencé par les films de Dougals Sirk. Pour ce nouveau projet, étant conscient du parti pris assez radical du film, François Ozon a décidé de auto-produire son film afin de n'avoir de compte à rendre à personne. (hormis Fassbinder peut-être !)...
Peter Von Kant est un célèbre réalisateur, et vit avec Karl son assistant qu'il se plaît à maltraiter. Par l'intermédiaire de Sidonie, une grande actrice, il fait la connaissance de Amir, jeune homme d'origine modeste à qui il propose de venir vivre chez lui et de l'aider à percer dans le monde du cinéma... Le rôle titre est incarné par Denis Ménochet qui a gagné une autre dimension depuis "Inglourious Basterds" (2009) de Quentin Tarantino, remarqué dans "Jusqu'à la Garde" (2017) de Xavier Legrand et qui retrouve Ozon après "Dans la Maison" (2012) et "Grâce à Dieu" (2018). Son assistant Karl est interprété par Stefan Crepon aperçu dans "Le Sel des Larmes" (2020) de Philippe Garrel et "Les Promesses" (2022) de Thomas Kruithof, le jeune Amir est joué par Khalil Gharbia dont c'est le premier rôle sur grand écran à l'exception du court métrage "Nattaget" (2020) de Jerry Carlsson, et vu dans les séries TV "Skam France" (2018) et "Les 7 Vies de Léa" (2022). La star Sidonie est incarnée par Isabelle Adjani, star devenue bien rare avec mois de 10 films ces 12 dernières années dont "Mammuth" (2010) des grolandais Delépine-Kervern, "Le Monde est à Toi" (2018) de Romain Gravas ou "Soeurs" (2020) de Yamina Benguigui. N'oublions pas un second rôle joué par une certaine Hanna Schygulla, qui nétait autre que la muse de Fassbinder dans pas moins de 20 films de "Le Bouc" (1969) à "Lili Marleen" (1981) en passant par "Les Larmes Amères de Petra Von Kant" (1972) où elle était Karin devenue Amir chez Ozon pour qui Hanna Schygulla a joué d'ailleurs dans "Tout s'est bien Passé" (2021), ce qui n'est sans doute pas anodin. Et enfin citons la jeune Aminthe Audiard aperçue dans "Paris-Willouby" (2016) de Quentin Reynaud et Arthur Delaire, puis dans la série TV "Balthazard" (2018-2020), mais qui est surtout bien née puisqu'elle est arrière-petite-fille de Michael Audiard, fille de l'écrivain Marcel Audiard qui est lui-même filleul du grand réalisateur Jacques Audiard... Pour l'anecdote, Ozon a eu bien des soucis pour trouver l'acteur idéal pour le personnage de Amir qui devait avoir entre 25-35 ans et être d'origine maghrébine : "Ils avaient peur de l'image que le rôle allait donner d'eux. Du coup, j'ai ouvert le casting à des comédiens plus jeunes, plus ouverts d'esprit. et tant mieux car cela m'a permis de jouer sur un côté plus innocent et moins viril du personnage."
Le film débute avec un style très seventies, un grand appartement, grande baie vitré qui pourrait faire pensée à une version loft de luxe de l'appartement de "Fenêtre sur Cours" (1954) de Alfred Hitchcock. Mais non, si Ozon affirme qu'il s'agit d'une nouvelle adaptation de la pièce de Fassbinder on comprend vite qu'en effet, il signe bel et bien une pièce de théâtre et non pas un film de cinéma. Ses modifications accessoires (cinéma plutôt que mode, amour soft) en font un remake insipide car nullement audacieux. On salue l'effort sur les décors et la lumière, un beau parallèle stylé avec Fassbinder mais sur le fond Ozon signe un remake sans âme ni chair. Un huis clos d'une théâtralité ennuyante et ennuyeuse, où Ozon n'ose jamais aller plus loin que la bien pensance. C'est lisse et fade malgré des acteurs investis (malgré des rôles féminins très sous-exploitées) et quelques passages assez hypnotisant. Comme si Ozon aimait Fassbinder sans oser le montrer. Toute la psychologie et l'amour de l'original perd ici sa substance. Au final un exercice de style faineant, qui aurait sans doute plus de force sur les planches puisque Ozon ne s'est pas franchement appliqué à faire du cinéma. Dommage...
Note :