2001 : l'Odyssée de l'Espace (1968) de Stanley Kubrick
Alors que son dernier film "Docteur Folamour" (1964) vient de sortir dans les salles obscures, Stanley Kubrick rencontre au Plaza Hotel de New-York le romancier Arthur C. Clarke pour discuter d'un projet en commun. Le cinéaste veut s'attaquer au genre de la Science-Fiction mais éviter à tous prix le style de la série B alors en vogue dans la SF. Les deux artistes ont pris comme base de travail les nouvelles "La Sentinelle" (1948) et "À l'Aube de l'Histoire" (1953) de Clarke. Chacun ayant sa spécialité, il a été décidé que le scénario serait écrit en parallèle du roman, chacun enrichissant l'autre. Bien que co-écrit ensemble, le romancier conserve la paternité officielle du roman et le cinéaste celui du scénario. Le livre et le roman sortent donc logiquement tous les deux en 1968 après près de 4 ans de travail, dont un tournage qui a débuté dès 1965. Le film est construit et pensé de façon a désarçonné volontairement le public ce qui est évidemment risqué ce qui a donné des sueurs froides à la MGM qui avait octroyé à Kubrick une liberté artistique totale faisant explosé le budget prévu de 6 millions de dollars à 12 pour 60% dédié aux Effets Spéciaux. Mais la MGM sera récompensé puisque malgré un accueil public et critique mitigé au départ le film va devenir un succès du box-office avec plus de 3,2 millions d'entrées France, plus de 56 millions de dollars au box-office Monde pour devenir finalement le plus gros succès 1968 sur le sol américain. En prime le film obtient l'Oscar des meilleurs Effets Spéciaux et, surtout, va devenir un des films les plus mythiques du Septième Art. Le film est toujours classé parmi les plus grands tops du cinéma. Le succès est tel d'ailleurs que Arthur C. Clarke écrira trois suites (1982, 1988 et 1997) dont un film sur le second opus "2010 : l'Année du Premier Contact" (1984) de Peter Hyams. Notons qu'il existe deux versions, une dite version originale de 156mn et une dite version définitive de 149mn... Il y a des millions d'années, des singes luttent et découvrent un monolithe noir qui ne semble pas à sa place dans ce désert africain. Cet objet mystérieux inspire au chef des singes un geste décisif comme un premier pas vers l'humanité. En 1999, on découvre un monolithe sur la Lune, il est ensuite décidé d'un voyage vers Jupiter pour tenter de comprendre...
Le premier astronaute qui va sur la Lune est incarné par William Sylvester vu aperçu auparavant dans des films comme "Donnez-nous Aujourd'hui" (1949) de Edward Dmytryk, "Meurtres sans Empreintes" (1954) de Terence Fisher et "Un traître à Scotland Yard" (1961) de Cliff Owen. Les deux autres qui vont partir pour Jupiter sont joués par Gary Lockwood vu dans "L'Homme aux Colts d'Or" (1959) de Edward Dmytryk, "La Fièvre dans le Sang" (1961) de Elia Kazan et "Model Shop" (1969) de Jacques Demy, puis Keir Dullea vu dans "Bunny Lake a Disparu" (1965) de Otto Preminger, "Le Diable dans la Tête" (1972) de Sergio Sollima ou "Raisons d'Etat" (2007) de et avec Robert de Niro et qui retrouvera dans "Jeanne, Papesse du Diable" (1972) de Michael Anderson son partenaire Robert Beatty qui est sans doute celui qui a la carrière la plus intéressante avec notamment "Huit Heures de Sursis" (1947) de Carol Reed, "Capitaine sans Peur" (1951) de Raoul Walsh, "Le Carnaval des Dieux" (1957) de Richard Brooks, "Quand les Aigles Attaquent" (1968) de Brian G. Hutton, il retrouvera aussi dans "Quand la Panthère Rose s'emmêle" (1976) de Blake Edwards son partenaire Leonard Rossiter vu dans "Oliver !" (1968) de Carol Reed et qui retrouvera Kubrick pour "Barry Lyndon" (1975). Citons ensuite Margaret Tyzack remarquée dans les séries TV "La Dynastie des Forsyte" (1967), qui retrouvera Kubrick également dans "Orange Mécanique" (1971) et dont on peut citer les films "La Putain du Roi" (1990) de Alex Corti ou "Match Point" (2005) de Woody Allen, Sean Sullivan vu plus tard dans "L'Argent de la banque" (1978) de Daryl Duke et "Dead Zone" (1983) de David Cronenberg, Ann Gillis vue dans "Beau Geste" (1939) de William A. Wellman ou "L'Etrangère" (1940) de Anatole Litvak, John Ashley vu dans "À l'Heure Zéro" (1957) de Hall Bartlett, "La Fille de Frankenstein" (1958) de Richard E. Cunha et "Le plus Sauvage d'entre Tous" (1963) de Martin Ritt, Ed Bishop vu chez 007 avec son partenaire William Syvester dans "On ne Vit que Deux Fois" (1967) de Lewis Gilbert puis revu dans "Les Diamants sont Éternels" (1971) de Guy Hamilton, citons aussi Vivian Kubrick fille du réalisateur qui joue la fille du Dr Floyd/Sylvester et n'oublions pas Douglas Rain qui prête sa voix au fameux HAL 9000 et qui sera ainsi choisi comme un clin d'oeil pour "Woody et les Robots" (1973) de et avec Woody Allen... L'ordinateur qui est un personnage à part entière est sans doute l'Intelligence Artificielle la plus connue du cinéma et qui est auréolé d'une légende ou rumeur sur son nom ; en effet, certains y ont vu dans HAL une référence à la société IBM (suffit de reculer d'une lettre !) qui était alors précurseur dans l'informatique et qui travaillait sur le film mais si cette anecdote a pollué des décennies de cinéphilie il faut préciser que Arthur C. Clarke lui-même a démenti clairement ce point. Par là même, HAL (CARL 500 en V.F.) chante la chanson "Daisy" qui est une référence à la première chanson engrangée par un ordinateur, malheureusement ce qui est subitement gâché en V.F. puisqu'en français la chanson est remplacée par "Au Clair de la Lune" ce qui retire toute signification.
Connu pour son côté pointilleux ou méticuleux, Kubrick met tout en oeuvre pour que son film soit le plus authentique possible et notamment sur la précision scientifique car le réalisateur redoute surtout que son film soit jugé aussi conventionnel que les films de SF de série B habituellement produit à Hollywood. Kubrick engage une armée de spécialistes et de conseillers sur des domaines aussi pointus que la biostase, l'astronautique, l'intelligence artificielle et extraterrestre (?!) ou même la paléontologie... etc... ajoutés aux Effets Spéciaux gérés par 25 spécialistes le budget va ainsi doublé ! Dans sa volonté de s'éloigner des poncifs du genre SF alors en vogue, le réalisateur choisit un style expérimental avec une forte économie de dialogues pour préférer une narration musicale aussi inspirée que flamboyante ; par exemple le réalisateur choisit la valse Beau Danube Bleu de Johan Strauss pour symboliser la rotation des satellites ou Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss pour marquer le concept philosophique nietschéen du "surhomme". La musique classique ainsi mise sur les images sublimes de l'espace et/ou de l'idée même de l'infini donne une ampleur unique et inédite mais aussi une atmosphère aussi épique que mystérieuse. Le film interroge par son semblant de fouilli ou de flou et chacun peu donc y interpréter les questions qu'il veut et surtout qu'il ressent. Le film aborde ou peut faire aborder des sujets aussi éternels qu'universels que l'intelligence artificielle alors émergente, l'existence extraterrestre, le mystère "insondable" de l'univers, mais on y décèle aussi une certaine mélancolie, pour ne pas dire un pessimisme qui dénote alors avec son époque où la conquête de l'espace est alors surtout empreint d'un optimisme certain depuis Gagarine en 1961. Il y a bien quelques maladresses et/ou incohérences comme des fumées ou gaz qui ne réagiraient pas ainsi dans l'espace ou l'apesanteur pas toujours usitée à bon escient.
Mais n'oublions pas que le film date des années 65-68 et qu'il reste impressionnant d'un point de vue technique. À la fois philosophique, onirique, mystique le film est une expérience aussi psychédélique que sérieuse qui laisse le spectateur à ses réflexions et finalement ses réponses. Si certains, comme la revue The New Leader en 1968 y voyait "une histoire de dieux sans queue ni tête" il faut pourtant rappeler que ni Kubrick ni Clarke voulait une histoire académique et linéaire d'ailleurs le romancier Arthur C. Clarke dira : "Si vous dîtes que vous avez compris 2001, c'est que nous avons échoué, car nous voulions que le film pose plus de questions qu'il ne donne de réponses." Depuis plus des décennies chacun y va donc de ses hypothèses et autres suppositions comme un poème cosmique. Parmi les interprétations on peut citer deux déclarations de Kubrick, celle où il dit avoir été influencé par le film "En Route vers les Etoiles" (1958) de Pavel Klouchantsev, celle en 1980 d'un entretien téléphonique pour un documentaire japonais qui ne verra jamais le jour, où Kubrick explique la dernière scène qui voit Bowman emprisonné dans un environnement reconstitué pour qu'il accepte plus aisément son enfermement jusqu'à son acceptation avant d'être libérer pour revenir en tant que nouvelle étape dans l'évolution humaine. Kubrick pousse le genre SF hors des bases alimentaires façon pop corn pour ouvrir des perspectives inédites et infinies et ouvre la voie à un éventail de possibilités tout aussi infinies que les générations futures n'omettront pas de suivre. Le tournage a également permit des avancées techniques inouïes. Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke signent à eux deux un chef d'oeuvre aux multiples niveaux de lecture, un voyage sensoriel unique et original à voir, à revoir et à conseiller. Chef d'oeuvre artistique dans le sens le plus noble du terme.
Note :