La Dernière Reine (2023) de Damien Ounouri et Adila Bendimerad
Voilà un film qui donne envie, où comment le cinéma algérien peut se donner les moyens d'exister avec des projets ambitieux. Cette production franco-algérienne (mais à majorité algérienne) est celui de deux réalisateurs-scénaristes, le franco-algérien Damien Ounouri auquel on doit le film "Fidaï" (2014) puis l'algérienne Adila Bendimerad, productrice de "Les Jours d'Avant" (2014) de Karim Moussaoui, et qui collabore avec son partenaire depuis leur court métrage "Kindil El Bahr" (2016). Il s'agit donc de leur premier long métrage ensemble, la cinéaste se gardant aussi le rôle principal. Le duo a eu l'idée du film grâce à un livre sur les personnages célèbres de l'Algérie, ils ont ainsi découvert la Reine Zaphira (Tout savoir ICI !) qui reste pourtant une légende même si on a cru un temps qu'elle avait réellement existé. Adila Bendimerad précise : "Très vite je me suis aperçue que ce personnage fut contesté puis soutenu à travers les siècles par historiens et chroniqueurs. A chaque fois qu'il est question d'elle, il y a un immense désir mêlé d'une remise en question de son existence. Je me suis intéressé à ce "noeud" comme possibilité de faire surgir la question de l'effacement des femmes dans l'Histoire et la force d'évocation de la légende à une époque cruciale et jamais représentée de l'Histoire d'Alger." Cependant, si la cinéaste suppose un "effacement" il faut rappeler que c'est désormais connue que Zaphira tient plus de personnage légendaire qu'historique. La cinéaste rajoute : "Une nécessité politique et poétique, pour l'Algérie mais aussi pour le monde. Il y a eu et il y a encore en Algérie des moyens énormes pour faire des films et des statues de glorification de héros nationaux. En résultent des oeuvres qui sont en majorité écrasantes, masculines et surtout où les héros sont déshumanisés à force de vouloir en faire des héros consensuels."...
Alger en 1516, le roi Salim Toumi a dû faire alliance avec l'Espagne des Rois Catholiques à qui il verse un tribut. Mais le peuple gronde, les seigneurs sont divisés et finalement il est choisi de se battre et de bouter les espagnols de leur pays. Le roi n'a d'autres choix que de s'allier au corsaire Aroudj Barberousse libérateur de nombreuses autres cités musulmanes. Sa réputation n'est plus à faire. Mais quand Salim Toumi est retrouvé assassiné, une de ses épouses, Zaphira mère d'un fils légitime, décide rester au lieu de fuir tandis que Barberousse prend possession de Alger. Mais pour asseoir son pouvoir et être lui-même légitime il décide de prendre pour épouse Zaphira mais cette dernière n'est pas si docile que ça... Donc le rôle titre est assumé par la réalisatrice-scénariste du film Adila Bendimerad qui est aussi actrice, vue dans "Normal !" (2012) et "Les Terrasses" (2015) tous deux de Merzak Allouache, "Still Burning" (2016) de Georges Hachem et "Parkour" (2019) de Zohra Zamoum. Le roi Salim Toumi est interprété par Tahar Zaoui vu dans "Chronique de mon Village" (2016) de Karim Traïdia, Barberousse est joué par l'acteur français (né à Rennes) Dali Benssalah remarqué dans "Mourir peut Attendre" (2021) de Cary Joji Fukunaga, puis vu entre autre dans "La Ligne" (2022) de Ursula Meier, "Athena" (2022) de Romain Gavras ou "Je verrai Toujours vos Visages" (2023) de Jeanne Herry. Citons la Reine Chegga épouse "officielle" du roi interprétée par Imen Noel connue en Algérie essentiellement pour des séries TV, puis n'oublions pas l'autre frenchy, alias Astrid jouée par Nadia Tereszkiewicz vu dernièrement dans "Les Amandiers" (2022) de Valeria Bruni-Tedeschi ou "Mon Crime" (2023) de François Ozon. Dans des rôles secondaires, citons Tenou Khilouli, Meriem Medjkane, Houria Bahloul, Souad Sebki, Ahmed Zitouni... Le film débute de façon judicieuse marquant le paradoxe d'une époque entre le sang de la guerre et le luxe calme et volupté du sérail. Aussitôt on est plutôt impressionné par le visuel et les moyens d'une telle production inédite issue d'un pays comme l'Algérie. Même si on se doute que le budget n'est ni celui d'un blockbuster hollywoodien ou même d'une superproduction hexagonale comme d'ailleurs le tout récent "Les Trois Mousquetaires : D'Artagnan" (2023) de Martin Bourboulon. On est d'autant plus bluffé par les qualités de la reconstitution historique.
Le film a été tourné en Algérie avec en grande majorité des sites et autres éléments issus de l'Algérie : "On a tenu à montrer ce qui nous restait. Il y a eu énormément de recherches iconographiques dans les musées et les livres, beaucoup d'éléments inspirés par les récits de voyageurs au Maghreb, au Moyen-Orient, à Alger notamment, sur les matériaux employés, bois, tissus, pigments, peintures..." Notons que la direction artistique a été confié à un certain Feriel Gasmi Issiakhem dont c'est le premier film, c'est d'autant plus remarquable. Le scénario est passionnant, et si Zaphira n'a pas existé le contexte géo-politique autour est véridique (et pas que, le bras en métal de Barberousse est aussi véridique) et il ne demeure pas moins que les coulisses d'Alger en cette année 1516 étaient assurément tout aussi nébuleuses et complexes. Cette histoire permet un joli et puissant portrait de femmes à une époque et dans une société où elles n'avaient pas grand mot à dire. On pense beaucoup à Céopâtre, qui serait perdue dans les méandres shakespearienne du Maghreb. On est moins séduit par les scènes de batailles, trop elliptiques et trop découpées il y manque autant de fluidité que d'ampleur. Il manque aussi des dialogues moins communs, entre autre pour donner de la densité aux complots et autres intrigues politiques. Mais le scénario est dense, avec des personnages solides et parfaitement incarnés. Les deux réalisateurs-scénaristes ont réussi un pari audacieux, se réappropriant avec talent un pan d'Histoire méconnu ce qui est prometteur pour leur prochain film. Une fresque historico-romanesque à conseiller et à voir.
Note :