La Veuve Couderc (1971) de Pierre Granier-Deferre
Lorsque le réalisateur Pierre Granier-Deferre se lance dans ce projet il est alors au sommet enchaînant les chefs d'oeuvres de sa carrière, soit ses quatre meilleurs films sur ses 26 longs métrages, entre "La Horse" (1970) et "Le Train" (1973) il signe aussi "Le Chat" (1971) où il a pour actrice une certaine Simone Signoret qui la comble : "Elle est une immense actrice avec une étonnante dimension humaine. De plus, elle est femme, femme comme je l'entends. Elle est coquette dans le bon sens du terme. Elle est drôle et passionnée." Le réalisateur propose alors aussitôt à l'actrice le rôle principal d'un projet qu'il tente de monter depuis des années, l'adaptation du roman "La Veuve Couderc" (1942) de Georges Simenon, auteur prolifique aux 500 millions de livre vendus et sans doute celui qui a été le plus adapté par le cinéma français ce qui fait de ce film l'un des 187 films basés sur un livre de Simenon. Le scénario est signé de Pascal Jardin pour l'une de leur sept collaborations entre "La Horse" (1970) et "Le Toubib" (1979). Le film reçoit un joli succès avec 2 millions d'entrées France, qui ironie du sort, fera mieux que "Le Chat" sortit la même année avec "seulement" 1 million d'entrées France... Jean vient de passer cinq ans en prison pour meurtre. Désormais libre et sans attache il croise dans un bus une femme d'âge mûre, veuve dite Tati Couderc, une paysanne qui lui propose du travail en échange du gîte et du couvert. Mais très vite une relation intime s'installe. Leur vie est routinière et sans passion mais un jour Jean croise une jeune voisine, Félicie, qui le trouble et provoque la jalousie de Tati...
Le rôle titre est donc logiquement incarnée par la star Simone Signoret juste après "Le Chat" (1971) d'un réalisateur qu'elle retrouvera encore plus tard dans "L'Etoile du Nord" (1982), et retrouve après "Les Amours Célèbres" (1961) de Michel Boisrond et "Paris Brûle-t-il ?" (1966) de René Clément sans avoir pour autant de scènes communes, son partenaire Alain Delon qui apparaît cette même année dans "L'Assassinat de Trotsky" (1971) de Joseph Losey et "Soleil Rouge" (1971) de Terence Young, les deux acteurs s'entendent si bien qu'ils se retrouvent aussitôt après dans "Les Granges Brûlées" (1973) de Jean Chapot, Delon retrouvera aussi son réalisateur dans "La Race des Seigneurs" (1974) et "Le Toubib" (1979), il retrouve et retrouvera entre "Le Guépard" (1963) de Luchino Visconti et "Zorro" (1975) de Duccio Tessari le jolie Félicie alias Ottavia Piccolo vue entre autre dans "Mademoiselle de Maupin" (1966) de Mauro Bolognini et ensuite dans "mado" (1976) de Claude Sautet ou "La Famille" (1987) de Ettore Scola. Citons ensuite Jean Tissier grand acteur au plus de 250 rôles entre "Madame Sans-Gêne" (1924) de Léonce Perret et "Sex-Shop" (1972) de Claude Berri, Monique Chaumette vue dans "Compartiments Tueurs" (1965) et "L'Aveu" (1969) tous deux de Costa-Gravas ainsi que dans plusieurs films avec son époux Philippe Noiret, l'humoriste Boby Lapointe vu juste avant dans "Les Choses de la Vie" (1970) et "Max et les Ferrailleurs" (1971) tous deux de Claude Sautet, Pierre Collet qui retrouve Alain Delon après "Le Chemin des Ecoliers" (1959) de Michel Boisrond, "Mélodie en Sous-Sol" (1962) de Henri Verneuil, "Le Cercle Rouge" (1970) de Jean-Pierre Melville et plus tard "Deux Hommes dans la Ville" (1973) de José Giovanni, et retrouve aussi dans "Le Train" (1973) son réalisateur et une grande partie du casting dont François Valorbe, Jean-Pierre Castaldi, Robert Favart, André Rouyer qui sont quasi tous également dans d'autres films comme "L'Attentat" (1972) et "R.A.S." (1973) tous deux de Yves Boisset... Été 1934, un homme, Jean se rend utile dans la ferme de la Veuve Couderc dite Tati qui est en conflit avec sa belle-famille pour vendre la ferme. L'entente se complique encore quand, malgré une liaison de confort entre Jean et Tati Couderc, Jean se laisse séduire par Félicie la nièce de Tati et dont les parents tentent d'exproprier Tati Couderc de sa maison. Dans un premier temps on remarque surtout le village rural, dont on peut admirer le pont-levis de Cheuge qui n'est pas un paramètre anodin dans le récit, on perçoit les moeurs avant aussi de percevoir un contexte social et politique.
En effet, le scénario est intelligent et nous fait croire à une histoire d'amour parasitée par la jalousie entre un homme dans la force de l'âge, un fugitif, et une veuve qui travaille encore dur dans sa ferme qui n'est pas vraiment la sienne aux yeux de la loi. Mais le scénario se lit surtout entre les lignes, facilement quand il aborde le sujet de la vieillesse (source de la jalousie), sujet délicat et personnel quand on pense justement à Simone Signoret qui a alors 50 ans et connaît une vieillissement prématuré depuis des années déjà, de façon plus subtil quand le film dénonce la montée du fascisme (la Croix de Feu) et l'antisémitisme alors que, rappelons-le Hitler est au pouvoir depuis 1933. Granier-Deferre se distingue ainsi de Simenon (notamment Jean tue la Veuve à coup de marteau dans le roman !) en ajoutant des paramètres et un environnement plus denses et complexes, autour des préjugés, des rumeurs, des convenances qui sont toujours exacerbés dans de petites communautés, allant jusqu'à ce dernier texte de fin qui ne manque pas de nihilisme : "En 1922, Jean Lavigne, fils du physicien Etienne Lavigne, avait abattu, au cours d'une réception officielle, deux hautes personnalités. Au Président du tribunal qui lui demandait les raisons de son acte, il avait répondu : j'en avais assez." La chasse à l'homme finale est sans doute un peu longue, peut-être même maladroite dans les dernières secondes, mais Pierre Granier-Deferre signe un drame touchant et plus profond qu'il y paraît avec deux acteurs d'exceptions en prime.
Note :