Mélodie en sous-sol (1963) de Henri Verneuil
À l'origine le projet est une idée du fameux scénariste-dialoguiste Michel Audiard, soit adapter le roman "The Big Grab" (1960) de John Trinian, auteur qui fera l'acteur-scénariste d'après son autre roman "Scratch of Thief" (1961) pour le film "Les Tueurs de San Francisco" (1964) de Ralph Nelson. Audiard en parle à Jacques Bar, grand producteur qui travaille essentiellement avec Bourvil, Fernandel et Jean Gabin. Ainsi, tout logiquement le duo Audiard-Bar propose la réalisation à Henri Verneuil et le rôle principal à Gabin, les quatre hommes se connaissant très bien et ayant déjà offert plusieurs films à succès. Verneuil et Audiard avait un autre projet au préalable avec Gabin, un film d'aventures exotiques mais Gabin était alors réfractaire à tourner hors de France ce qui a permis de lancer ce film de braquage. Le scénario est donc signé de Audiard avec aussi Albert Simonnin, les deux hommes ayant déjà travaillé avec Gabin sur "Le Cave se rebiffe" (1961) de Gilles Grangier. Malgré une équipe qui se connaît bien, il va y avoir une première complication avec le choix de second acteur, la production franco-italienne et avec le studio américain MGM voulait Jean-Louis Trintignant mais un certain Alain Delon veut le rôle, tout juste devenu star l'acteur constate que son "concurrent" Jean-Paul Belmondo vient de connaître un gros succès avec Gabin dans "Un Singe en Hiver" (1962) de Verneuil aussi, et l'ambitieux jeune acteur désire améliorer sa côte de popularité en France. Pour montrer sa volonté et assurer le rôle Delon accepte de tourner sans cachet, en échange des droits du film pour le Japon, l'URSS et l'Argentine. Bon calcul, ce qui fera dire à Gain que Delon a finalement gagné 10 fois plus que lui ! Sur le tournage, des tensions ont existé entre Delon et Verneuil, puis plus étonnamment entre Gabin et son ami Audiard dont la fâcherie durera jusqu'à leur retrouvaille pour "Le Pacha" (1968) de Georges Lautner encore avec le duo de scénaristes Simonnin-Audiard qui s'entendent eux à merveille, et signeront entre temps "Les Tontons Flingueurs" (1963) et "Les Bons Vivants" (1965) tous deux de Georges Lautner, "La Métamorphose des Cloportes" (1965) de Pierre Granier-Deferre et "Tendre Voyou" (1966) de Jean Becker. Néanmoins, les soucis relationnels ne gâche pas la qualité du film qui reçoit un accueil critique excellent et un large succès au box-office avec plus de 3,5 millions d'entrées France, et qui fonctionne très bien en Europe et au Japon qui permet à Delon d'asseoir son statut... Malfrats à l'ancienne, Charles sort après des années de prison et ne reconnaît plus son quartier quand il rentre chez lui où l'a attendu son épouse. Malgré tout, il décide d'un dernier coup magistral, braquer un casino sur le Côte d'Azur. Il fait appel à un jeune voyou qu'il a connu en prison, Francis, et propose à son beau-frère Louis de participer. La préparation est minutieuse, et le casse se déroule a priori sans incident...
Monsieur Charles est donc incarné par le monstre sacré Jean Gabin qui retrouve et retrouvera ses scénaristes, réalisateur et producteur dans plusieurs films, et surtout, rencontre un jeune loup nommé Alain Delon qu'il retrouvera dans "Le Clan des Siciliens" (1969) de Henri Verneuil puis dans "Deux Hommes dans la Ville" (1973) de Jose Giovanni qui avait écrit le précédent, Delon qui venait de devenir une star avec entre autre "Plein Soleil" (1960) de René Clément, "Rocco et ses Frères" (1960) et Le Guépard" (1963) tous deux de Luchino Visconti. Pour l'épouse de monsieur Charles, c'est Gabin qui impose Viviane Romance qu'il retrouve ainsi après les chefs d'oeuvres "La Bandera" (1935) et "La Belle Equipe" (1936) tous deux de Julien Duvivier mais qui est devenue has been et qui ne tournera plus qu'un film avec "Nada" (1974) de Claude Chabrol. Citons ensuite Maurice Biraud vu dans "Un Taxi pour Tobrouk" (1960) de Denys de La Patellière ou "Le Septième Juré" (1962) de Georges Lautner et retrouve Gabin et cie après "Le Cave se Rebiffe" (1961) de Gilles Grangier, la jolie Dora Doll qui retrouve aussi Gabin après "Touchez pas au Grisbi" (1954) de Jacques Becker et "French Cancan" (1955) de Jean Renoir, retrouvant également après ce premier "... Grisbi" l'actrice Dominique Davray vue dans "Casque d'Or" (1952) de Jacques Becker ou "Notre-Dame de Paris" (1956) de Jean Delannoy et retrouve de son côté après "Cléo de 5 à 7" (1962) de Agnès Varda son partenaire José Luis de Vilallonga vu dans "Les Amants" (1958) de Louis Malle ou "Diamants sur Canapé" (1961) de Blake Edwards et retrouvera son réalisateur dans "Le Casse" (1971). Citons encore Claude Cerval vu dans "le Beau Serge" (1958) et "Les Cousins" (19598) tous deux de Claude Chabrol et retrouve après "Classes tous Risques" (1960) de Claude Sautet sa partenaire Laure Paillette apparue dans "Paradis Perdu" (1939) de Abel Gance, "Tirez sur le Pianiste" (1959) ou "Les 400 Coups" (1959) tous deux de François Truffaut après lequel, il retrouve Henri Virlogneux vu dans "Un Nommé La Rocca" (1961) de Jean Becker et "Le Vice et la Vertu" (1963) de Roger Vadim après lequel il retrouve Henri Attal particulièrement prolifique avec une dizaine de films cette même année dont "Les Vierges" (1963) de Jean-Pierre Mocky ou "Landru" (1963) de Chabrol, à l'instar de 12 films de Michel Magne dont aussi "Le Vice et la Vertu" (1963), mais aussi et surtout "Les Tontons Flingueurs" (1963) de Georges Lautner, Anne-marie Coffinet aperçue dans "Les Tricheurs" (1958) de Marcel Carné ou "Les Dimanches de Ville d'Avray" (1962) de Serge Bourguignon et qui retrouve aussi l'équipe de "Un Singe en Hiver" (1962), Jean Carmet vu auparavant dans "Les Trois Mousquetaires" (1961) de Bernard Borderie ou "La Belle Américaine" (1961) de Robert Dhéry, puis enfin n'oublions pas Rita Cadillac, première vedette du Crazy Horse dont les deux apparitions marquantes sur grand écran se résume à la doublure "fesse" de Suzy Delair dans "Gervaise" (1956) de René Clément et la Monique qui chante "Mon Gars" dans le chef d'oeuvre "Le Bateau" (1981) de Wolfgang Petersen...
Le film a la particularité d'être très fidèle au livre, ce qui est rare chez Michel Audiard qui impose son style de façon plus forte d'habitude. Ainsi le scénariste n'a modifié, apporté ou retouché que 25 répliques, mais elles sont les plus savoureuses ce qu'a pu constater la MGM qui avait émis des doutes, trouvant qu'elle avait payé cher pour si peu. Comme toujours le travail de Audiard est impeccable et apporte une valeur ajoutée indéniable sur les dialogues et sert une fois de plus à merveille ses acteurs. Deux acteurs qui offrent la rencontre entre deux monstres sacrés, l'ancienne génération adoube la nouvelle avec respectivement Jean gabin et Alain Delon, comme le Vieux l'avait fait avec Belmondo juste avant dans le succès "Un singe en hiver" (1961). Entouré d'un casting prestigieux de gueules bien connues du cinéma hexagonal, Henri Verneuil (assisté des futurs grands Claude Pinoteau et Costa Gravas) signe là un petit chef d'oeuvre du polar à la française. Un scénario merveilleusement bien écrit où on suit le plan méticuleux de ce qui doit être le braquage parfait, avec classe et sans violence. Le noir et blanc élégant sied idéalement l'atmosphère un peu détachée d'un récit qui se déroule sous le soleil de la côte d'azur. Verneuil signe une mise en scène tout aussi élégante, qui prend son temps, et qui met en perspective deux générations dont les questions de respect créent un décalage universel. En prime des répliques cultes, et des scènes d'anthologie dont une mémorable scène de drague où Francis/Delon prend un vent pour sans doute la seule fois de sa vie, et surtout le sublime final qui fait écho à celui de "L'Ultime Razzia" (1956) de Stanley Kubrick. Un grand film à voir absolument.
Note :