Boulevard du Crépuscule (1951) de Billy Wilder.
"Boulevard du Crépuscule" ou comment dépeindre Hollywood au vitriol. Un monument du cinéma, par, pour et contre le cinéma qui, comble du hasard, sera le concurrent direct aux Oscars face à un autre chef d 'oeuvre, "Eve" (1950) de J.L.Mankiewicz qui raconte une autre facette sombre de Hollywood... "Sunset Boulevard" de son titre original est venu à Billy Wilder après s'être interrogé sur ce boulevard mythique de Hollywood où les villas somptueuses et éhontément luxueuses se sont multipliées à partir des années 20 quand le succès du cinéma s'est mondialisé avec des bénéfices hors normes. Par là même, Wilder s'est intéressé à ces stars du Muet qui sont devenues Has Been à l'avènement du parlant (Du muet au parlant !) mais qui sont toujours présentes dans leurs luxueuses demeures. Billy Wilder se demanda alors comment ses stars déchues passaient-elles leur temps, oubliées dans ses maisons immenses ?!... Wilder tourne le film entre "La Scandaleuse de Berlin" (1948) et "Le Gouffre aux Chimères" (1952). Il co-écrit le scénario de son projet avec D.M. Marshall Jr. et surtout avec Charles Brackett scénariste-producteur fidèle de Wilder jusqu'à ce dernier film ensemble. C'est avec ce dernier que Wilder signa le scénario de "Ninotshka" (1939) de Ernst Lubitsh avec une certaine Greta Garbo...
D'ailleurs, pour le rôle principal le cinéaste pensa à Garbo mais celle-ci, à la retraite depuis son dernier film "La Femme aux Deux Visages" (1940) de George Cukor, a préféré décliner. D'autres stars refusèrent le rôle comme Mae West ("trop jeune" !), Pola Negri (pas une has been selon elle !) et même Mary Pickford... Jusqu'à ce que George Cukor donna l'idée de Gloria Swanson. Finalement ce choix est aussi génial que terriblement juste puisque le personnage de Norma Desmond fait incroyablement écho au destin de Gloria Swanson elle-même. Cette dernière a été une des plus grandes stars du muet, et elle aussi eût des difficultés avec le Parlant , n'ayant tourné un seul film depuis 1934. Plusieurs clins d’œil et autres références de la star seront mis à dispositions du film comme le lien tangible avec le réalisateur Cecil B. De Mille, ses 10000 lettres de fans et ses propres photos personnelles exposées dans le manoir... etc... En 1975, Wilder confirmera la chose en disant de Gloria Swanson : "il y avait chez elle beaucoup de Norma vous savez."... Le nom même de Norma Desmond a été inspiré de l'affaire William Desmond Taylor assassiné en 1922 et dont son associée et amie, Mabel Normand a eu sa carrière détruite à la suite des scandales entourant l'affaire. Le cinéaste s'appliquera à ajouter un maximum de détails afin d'accentuer le réalisme du film. Le nom de l'héroïne bien sûr, le sunset boulevard aussi mais on peut citer l'utilisation des extérieurs du manoir qui appartenait à la femme du milliardaire John Paul Getty, aux références multiples allant de "Autant en emporte le vent" à Darryl F. Zanuck en passant par Rudolph Valentino et Tyrone Power, tournant également dans les vrais studios Paramount... Mais aussi au casting lui-même. Aux côtés de Swanson on a donc son majordome interprété par Erich Von Stroheim, si sa carrière d'acteur est toujours active, celle de réalisateur s'est éteinte dès 1933 car blacklisté à Hollywood en tant que réalisateur à cause de ses énormes dépassements de budget. Von Stroheim dirigea d'ailleurs Gloria Swanson dans "Queen Kelly" (1929). Le scénariste amant est joué par William Holden qui retrouvera Billy Wilder dans "Stalag 17" (1953), "Sabrina" (1954) et "Fedora" (1978), ce dernier film fera 30 ans après écho à "Sunset Boulevard". Nancy Olson joue une scénariste, et elle retrouvera Gloria Swanson dans son dernier film avec "747 en Péril" (1974) de Jack Smight. Toujours dans une volonté de véracité plusieurs grands noms apparaissent dans leur propre rôle dans le film dont le grand Cecil B. De Mille lui-même, filmé alors qu'il tourne sur le plateau de son film "Samson et Dalila" (1948). Mais on peut citer également Buster Keaton et Hedda Hopper célèbre commère des coulisses du star system.
Par peur de la censure (Code Hays oblige surtout, Maccarthysme en vogue en prime) et des réactions de Hollywood contre son film, Billy Wilder tourna avec le titre "A Can of Beans" ("Une Boîte de haricots") et dévoila son scénario que page après page aux pontes de la Paramount afin de sauvegarder au maximum son histoire. En effet, le film n'est pas tendre avec l'univers et les coulisses de Hollywood, particulièrement cynique (symbolisé par les répliques cinglantes de Gillis/Holden) il n'en demeure pas moins qu'on sent poindre une once de nostalgie (symbolisée par Desmond/Swanson et le côté reine déchue qui n'a pas vu venir sa fin inéluctable). En parallèle le magnifique travail sur les dialogues, de sourd pourrait-on dire tant la star ne semble pas comprendre les répliques pourtant cyniques et désenchantées de son amant scénariste. Wilder insiste sur le déclin de la star, et par ricochet, prévient Hollywood avec un film aux messages funestes. En effet le film débute par une découverte de cadavre, un narrateur mort, une maison immense décrépie hantée par une star déchue qui n'est pas sans rappeler effectivement Miss Havisham dans "Les Grandes Espérances" de Dickens... Le tout mis en photo par le Chef Opérateur John F. Seitz (aucun lien de parenté avec le réalisateur George B. Seitz) qui débuta en 1916, et fidèle de Wilder. Ce dernier, outre son travail sur le Noir et Blanc, est à l'origine du plan glaçant du cadavre dans la piscine. Les acteurs sont impeccables, et si Gloria Swanson n'a pas relancé sa carrière, il n'en demeure pas moins que sa performance lui a valu une nomination à l'Oscar (face à Bette Davis pour "Eve" !) et qui donnera raison à George Cukor qui avait prédit à la star que ce rôle le ferait passer à la postérité. Gloria Swanson est juste extraordinaire, dans un rôle miroir aussi bluffant que troublant avec, en bonus, une séquence "comique" inoubliable où elle imite Charlie Chaplin. Billy Wilder signe là un film d'une acuité sans fard sur le monde hollywoodien de son époque avec, mine de rien, une réflexion tout aussi lucide sur le monde des scénaristes. Un film immense à voir et à conseiller.
Note :