Call Me By Your Name (2018) de Luca Guadagnino.
Le réalisateur italien qui s'était fait connaitre dans le monde avec "Melissa P." (2006) revient avec un film qu'il considère comme le troisième volet d'une trilogie, il s'explique : "Alors que dans les deux premiers volets (...), le désir était associé à la possession, au regret, au mépris et au besoin d'émancipation, j'ai voulu l'explorer ici à travers le prisme d'une idylle de jeunesse."... Donc après "Amore" (2009) et "A Bigger Splash" (2015) Luca Guadagnino offre un amour de jeunesse et de vacances à l'italienne. Pour ce film il s'est associé avec une agréable surprise à James Ivory, réalisateur avant tout de grands classiques comme "Chambre avec Vue" (1986), "Les Vestiges du Jour" (1993) et "La Coupe d'Or" (2000) et dont on avait plus parlé depuis son dernier film "La Comtesse Blanche" (2004). Ivory signe là le scénario du film. L'association entre le british Ivory et l'italien Guadagnino n'est pourtant pas sans filiation, la précision de l'un n'a d'égal que l'élégance de l'autre. Le scénario est adapté du roman éponyme (2007) de André Aciman et le projet de film date de cette époque mais les aléas des calendriers respectifs repoussèrent le film pendant des années. On est en été 1983 et on suit ainsi Elio 17 ans, fils d'érudits qui accueillent Oliver un étudiant américain pour l'été...
Elio est incarné par le franco-américain Timothée Chalamet, une des grandes révélations du moment actuellement en salle dans un autre film, "Lady Bird" (2018) de Greta Gerwig et bientôt dans un registre plus musclé avec "Hostiles" (2018) de Scott Cooper. Oliver est interprété par le déjà connu Armie Hammer qui change également de registre après le fun Gun Fight de "Free Fire" (2017) de Ben Wheatley. Les personnages sont à l'image du casting, international et polyglotte, c'est ainsi que les parents de Elio sont joués par l'américain Michael Stuhlbarg, un second couteau à la filmo dingue avec dernièrement "Pentagon Papers" (2018) de Steven Spileberg et "La Forme de l'Eau" (2018) de Guillermo Del Toro, et par la française Amira Casar. Les frenchies sont d'ailleurs à l'honneur avec les jeunes Esther Garrel et Victoire du Bois. Si on compare au roman, trois modifications ont été apportées au scénario. D'abord l'histoire se déroule normalement sur la Riviera de Ligurie alors qu'ici on est en Lombardie (région du réalisateur). Ensuite le fait que le roman est en flash-back et le film non, il n'use pas non plus d'une voix-off qui était initialement prévue. Puis enfin l'érotisme dans le roman est beaucoup plus profond et décrit. Le cinéaste avoue surtout avoir voulu aussi rendre hommage à ses réalisateurs favoris que sont Jean Renoir, Jacques Rivette, Eric Rohmer et Bernardo Bertolucci. Les relations entre les personnages et notamment chez les jeunes s'en ressentent mais aussi dans l'esthétique du film. D'ailleurs Guadagnino a fait appel au directeur photo attitré de Apichatpong Weerasethakul, Sayombhu Mukdeeprom qui a donc travaillé sur "Oncle Boonmee" (2010).
Le réalisateur signe un film de toute beauté, mettant en valeur la Lombardie sans pour autant faire carte postale, restant centré sur ses personnages - à contrario de "A Bigger Splash" qui lui faisait trop carte postale. La réussite du film réside dans la justesse et la subtilité avec lesquelles le cinéaste aborde le sujet de l'homosexualité, dans le même temps le contact avec Oliver et Elio se fait à l'identique, touchant et sensible. C'est d'autant plus délicat que les deux personnages sont très différents sans pour autant trop appuyer sur les détails. Elio est physiquement frêle et peu viril, il est mature, cultivé, intelligent, gentil mais reste fragile en amour et maladroit pour le sexe. Oliver est déjà un homme expérimenté, tout aussi intelligent loin du stéréotype de l'américain moyen, il est aussi sensible même s'il gère mieux ses émotions. Pas de règlement de compte, pas de niaiseries dans les relations adolescentes, pas d'adultes réacs, mais des personnes belles et heureuses qui vivent leurs vacances au mieux à une époque où il ne devait pas être si simple de comprendre. D'ailleurs les parents de Elio sont l'archétype des intellos en avance sur leur temps, le père offrant ainsi la scène la plus émotive du film. De là à comprendre que les intellos friqués sont plus compréhensifs que les autres il n'y aurait qu'un pas... Mais ce n'est pas le sujet, il en faut pas que ce soit ce sujet. Luca Guadagnino signe un film magnifique, beau à regarder et d'une intelligente bienveillance sur le fond. Si le jeune Chalamet fait beaucoup parler de lui en ce moment, il ne faut pas oublier un excellent Armie Hammer et un big bonus pour Michael Stuhlbarg qui joue un papa formidable. Un petit bémol pour la durée du film, 10-15mn en moins n'auraient pas été une mauvaise chose. Un film à voir et à conseiller en tous cas.
Note :