Le Dernier Duel (2021) de Ridley Scott
Nouveau film (et déjà 26ème !) du grand Ridley Scott auquel on doit, rappelons-le, quelques chefs d'oeuves comme "Alien le Huitième Passager" (1979) et "Blade Runner" (1982). Cette fois le cinéaste revient à un genre qu'il connaît déjà bien, le film historique et même médiéval puisqu'il a déjà abordé la période avec l'excellent "Kingdom of Heaven" (2005) et le plus discutable "Robin des Bois" (2010). Donc après les Croisades et une légende voici que le réalisateur anglo-américain s'intéresse à une affaire judiciaire française qui date de la fin du 14ème siècle, à à savoir l'affaire du dernier duel judiciaire opposant Jean de Carrouges à Jacques Le Gris (Tout savoir ICI !). Le film est adapté du livre "Le Dernier Duel : Paris, 29 décembre 1386" (2004) de Eric Jager, universitaire américain qui aurait effectué 10 ans de recherches pour toucher au plus près des faits. Pour ce film Ridley Scott retrouve un certain Matt Damon après "Seul sur Mars" (2015), mais cette fois la star est aussi producteur-scénariste en duo avec son ami Ben Affleck ; les deux hommes collaborent ainsi à leur 11ème film depuis "Jusqu'au Bout du Rêve" (1989) de Phil Alden Robinson, que ce soit en tant qu'acteur -scénariste comme sur "Will Hunting" (1997) de Gus Van Sant, ou simplement en guest-stars sur des films comme "Dogma" (1999) et le plus récent étant "Jay &Bob contre-attaquent... encore" (2020) tous deux de Kevin Smith. Les deux amis sont donc particulièrement impliqués sur ce projet dont le scénario sur lequel ils sont rejoint au scénario de Nicole Holofcener surtout connue pour ses propres films comme "Lovely & Amazing" (2001) et "All About Albert" (2013)... 29 décembre 1386, un duel judiciaire devant dieu va avoir lieu suite à une accusation d'adultère. Marguerite de Carrouges accuse Jacques le Gris de viol, mais n'ayant aucune preuve autre que la parole, jean de Carrouges porte l'affaire devant le Roi Charles VI. Nous suivons d'abord la version de Jean de Carrouges à partir de 1370, puis celle de Jacques le Gris, puis enfin celle de Marguerite de Carrouges à partir de son mariage avec son futur époux en 1380...
Jean de Carrouges est incarné par Matt Damon qui retrouve la France après "Stillwater" (2021) de Thomas McCarthy, son épouse est quant à elle est interprétée par Jodie Comer tout juste révélée par le très bon "Free Guy" (2021) de Shawn Levy mais elle avait eu un petit rôle dans "Star Wars IX : l'Ascension de Skywalker" (2019) de J.J. Abrams après lequel elle retrouve donc Adam Driver alias Jacques Le Gris après l'avoir vu récemment dans "Annette" (2021) de Leos Carax et en attendant qu'il retrouve Ridley Scott dans le prochain "House of Gucci" (2021). Le comte Pierre d'Alençon est incarné par Ben Affleck vu dernièrement dans le "Zack Snyder's Justice League" (2021). Citons Harriet Walter une habituée des films en costumes comme "Raison et Sentiments" (1995) de Ang Lee ou "Chéri" (2009) de Stephen Frears, Nathaniel Parker frère de Oliver Parker pour qui il a joué plusieurs fois dont "Othello" (1995) et "St Trinian's" (2007),Michael McElhatton qui retrouve le Moyen-Âge après la série TV "Game of Thrones" (2012-2016) et le film "Le Roi Arthur : la Légende d'Arthur" (2017) de Guy Ritchie, le roi Charles VI est joué par Alex Lawther vu dans "Les Traducteurs" (2020) de Régis Roinsard et "The French Dispatch" (2021) de Wes Anderson, Sam Hazeldine qui retrouve Matt Damon après "Monuments Men" (2014) de George Clooney, à l'instar de Marton Csokas qui retrouve l'acteur après "La Mort dans la Peau" (2004) de Paul Greengrass et qui retrouve Ridley Scott après "Kingdom of Heaven" (2005), comme Zeljko Ivanek qui retrouve Scott après "Lame de Fond" (1996), "Hannibal" (2001), "La Chute du Faucon Noir" (2001) et retrouve Ben Affleck après "Argo" (2012)... La scène d'ouverture est magnifique, d'ores et déjà funeste dans une atmosphère de tragédie grecque qui impose le style du film à venir. Ensuite, si le procédé peut paraître un brin lourd il faut avouer qu'au vu du contexte singulier de l'affaire le châpitrage vis à vis des trois points de vue des principaux protagonistes est aussi judicieux que nécessaire pour comprendre les tenants et aboutissants car il ne faut jamais oublié qu'on se situe en 1380-1386 et non pas en 2021 même si le lien existe. Ainsi on comprend vite que le viol est une étincelle qui met le feu au poudre mais il s'agit d'un feu qui se consumait déjà depuis des années. Le récit nous emmène alors sur plusieurs voies dont le viol n'est qu'une porte vers une "solution" définitive. D'abord on s'interroge sur Jean de Carrouges/Damon, est-ce qu'il se sert des confidences de son épouse par simple vengeance ?! ou tout simplement par orgueil et pour une question d'honneur ?! Est-ce tout ça à la fois ?! Ensuite Jacques le Gris/Driver est-il un ambitieux aux dents longues prêt à tout ?! Ou est-il le dindon de la farce ?! Marguerite de Carrouges est-elle l'épouse fidèle bafouée ou est-elle une mante religieuse qui cache bien son jeu ?! On pourrait même s'interroger sur la veuve Carrouges, mère de Jean, qui agit plutôt de façon suspecte le jour de l'agression, ainsi aurait-elle pu pousser au crime pour une question de maternité ?!
Toutes ses questions s'avèrent passionnantes, se cumulent, se bousculent, mais s'unissent et se lient aussi telle une pieuvre ou il n'est pas aisé de différencier vices et vertus, et surtout difficile de différencier adultère et viol (toujours dans un médiéval !). Mais si on est impressionné et emporté par les émotions comme les interrogations on constate pourtant 2-3 points qui peuvent laisser perlexes. Par exemple, et surtout, les deux versions du "viol" sont tout de même très similaires, pourtant la première serait consentie, et non la seconde alors que les différences sont tout de même légères, ou bien est-ce notre oeil très 2021 qui est très ou trop subjectif ?! En tous cas les femmes d'aujourd'hui risquent fort d'être froissées par la version "consentie" ! Mais il ne fait aucun doute que les trois récits forment un triumvirat qui ne peut que faire écho à notre époque contemporaine récente et que le film ne peut que pousser à la réflexion. C'est un point fort non négligeable même si, répétons-le, les faits restent ancrés dans une époque lointaine ! Ainsi le film oscille toujours entre les versions et jamais le réalisateur ne choisit son camps pourtant il est aujourd'hui clair que Jacques le Gris était coupable (d'ailleurs comment croire que Marguerite puisse risquer la mort pour un mensonge qui ne lui apporte rien ?!) alors que le film semble nuancé fortement ce point. Ridley Scott ne signe pas un film médiéval au souffle épique, aux batailles dantesques, mais il signe plutôt un mélo judiciaire au contexte politico-social non négligeable (nous sommes dans la guerre de 100 ans ! société patriarcale surpuissante) dont les points de vue sont multiples car n'omettons pas les jugements et commérages (regards en second plan ! surtout des épouses) des autres personnages. Le film est très dense de par la multitudes d'informations qui nous parviennent et surtout qui nous bousculent constamment, la violence physique est brutale et frontale mais elle fait écho également à une violence plus psychologique qui reste omniprésente (les mesquineries, les regards, la belle-mère, le favoritisme... etc...) le tout dans une reconstitution historique remarquable jusque dans les détails (trous de respiration du heaume, arrière-plan sur le travail des serfs, réalisme du "confort" noble qui restait spartiate... etc...) avec une mise en valeur des décors de Dordogne magnifique. On peut sur ces points saluer le travail de Directeur Photo Dariusz Wolsko (5ème film avec le réalisateur) puis du Chef décorateur Arthur Max (13ème film depuis "Gladiator" en 2000). Rarement un film n'avait été aussi loin et aussi près d'une réalité historique. Certains points de détails nous interrogent sur leur véracité (le caractère de Jean de Carrouges notamment, et surtout sur la façon de mourir dans le duel) mais cela reste des détails qui demeurent parfaitement vraisemblables ce qui ne gâchent donc pas la sensation générale. Par contre, on peut toutefois trouver que le duel final manque de neutralité (comment savoir les derniers mots de Jacques le Gris ?!), un peu d'esbroufe dans ce final, surtout qu'on aurait aimé finir sur le visage de Marguerite à la fin du duel plutôt que de rajouter une dernière scène gratuite et superflue. En prime saluons un casting prestigieux qui sont tous impeccables : Matt Damon en nobliaux rustre et aigri de jalousie et de fierté blessée est impressionnant, Adam Driver s'avère d'un charisme tout en subtilité jouant un coup la victime malgré lui un coup la pire vipère, puis n'oublions pas la sublime Jodie Comer grande révélation jouant également à merveille de ses charmes dont on ne sait jamais si ils sont vénéneux ou pas ! En conclusion, ce film est un grand film, d'une intelligence de fond bluffante même si on est un peu perturbé par la similarité des versions du viol, le rapport à l'actualité féministe d'aujourd'hui est intéressante, et on ne peut qu'être ébloui par la qualité des décors/costumes qui permettent une immersion d'autant plus probante. Sans doute le meilleur film du réalisateur depuis "American Gangster" (2007).
Note :