Mort de Jean-Jacques Beineix
Après les américains Peter Bogdanovich et Sidney Poitier, voici que la foudre s'abat aussi sur le cinéma hexagonal avec la disparition du réalisateur français Jean-Jacques Beineix ce 13 janvier 2022 à l'âge de 75 ans.
Né en 1946 à Paris d'un père directeur de compagnie d'assurance, il effectue une scolarité normale en passant par le lycée Carnot puis le lycée Condorcet avant de poursuivre des études de médecine après son bac. Mais il abandonne ses études après les événements de Mai 1968 et tente des études de cinéma en passant le concours d'entrée à l'IDHEC (ex-Fémis) mais échoue.
Néanmoins, il parvient à se faire engager comme deuxième assistant sur la série TV "Les Saintes Chéries" (1969) auprès du réalisateur Jean Becker. Il devient premier assistant et débute sur les plateaux de cinéma sur le tournage du film "La Course du Lièvre à Travers les Champs" (1971) de René Clément. Il poursuit et apprend notamment et surtout auprès de Claude Zidi avec ses comédies à succès "La Course à l'Echalotte" (1975), "L'Aile ou la Cuisse" (1976) et "L'Animal" (1977).
Le pied à l'étrier il réalise alors son premier court métrage "Le Chien de M. Michel" (1977) puis s'attaque ensuite à son premier long métrage avec "Diva" (1980 - ci-dessous) adapté du roman éponyme (1979) de Daniel Odier alias Delacorta, avec à l'affiche les acteurs Richard Borhinger, Gérard Darmon et Dominique Pinon qui sont pour la première fois dans les rôles principaux. Le film connaît d'abord un succès d'estime avec 300000 entrées France au box-office mais partage surtout la critique surtout le la question de l'esthétisme du film dont certains reprochent la type "clip publicitaire" alors en vogue. Néanmoins le film est primé aux Césars avec pas moins de 4 statuettes pour la meilleure première oeuvre, musique, photographie et son. Un bonheur inespéré qui permet au film de ressortir en salles et d'engranger plus de 2 millions d'entrées supplémentaires !
Le réalisateur voit alors les choses en grand et se lance dans un projet plus ambitieux et va tourner dans les mythiques studios de Cinecitta à Rome "La Lune dans le Caniveau" (1983) sur lequel le réalisateur déclare en conférence de presse "faire un film à la manière de "Les Enfants du Paradis" (1945) de Marcel Carné. Le casting est à l'image de l'ambition annoncée avec les stars Gérard Depardieu et Nastassja Kinski. Mais cette fois le public ne suit pas et le film est un échec malgré un César des meilleurs décors en lot de consolation.
Il crée sa propre société de production en 1984, Cargo Films, afin de préserver son indépendance artistique. Le premier film produit par Cargo Films et Beinex est logiquement son troisième long métrage, "37°2 le Matin" (1986 - ci-dessous) dont le titre ferait référence à la température normale d'une femme enceinte au réveil. Pour ce film Beinex retrouve Gérard Darmon pour ma 2nde fois, Dominique Pinon pour la 4ème fois, on y reconnaît la future star Vincent Lindon, tandis que le couple d'amants passionnés est incarné par Jean-Hugues Anglade tout juste remarqué dans "Subway" (1985) de Luc Besson et une certaine Béatrice Dalle, révélation du film et star instantanée. Cette fois le film reçoit un accueil unanime, et si les prix ne suivent pas forcément (nominations outre-Atlantique pour le meilleur film étranger par exemple, nominations dans les 8 catégories majeures au César pour une seule statuette de la meilleure affiche, prix uniquement remis entre 1986 et 1990) le film est un succès en salle et demeure le plus gros succès de Beinex et entre à la postérité comme un film culte.
Il réalise ensuite le film "Roselyne et les Lions" (1989) sur un jeune couple qui ambitionne de devenir dresseurs de lion. Le film est un échec cuisant qui aura aussi des conséquences sur la carrière de ses deux acteurs principaux, Gérard Sandoz n'aura pas d'avenir dans le métier, tandis que Isabelle Pasco fera illusion peu d'années.
Pour son 5ème film, le réalisateur retrouve Jacques Frogeas, son co-scénariste sur "Roselyne er les Lions", et réalise un film d'après un scénario de ce dernier ce qui fait qu'il s'agit du premier film réalisé par Beinex dont il n'est pas non plus le scénariste. Le titre du film "IP5" (1992 - ci-dessous) signifie "Ile aux Pachidermes" et le 5 fait référence à son 5ème film. Cette histoire suit le parcours initiatique de deux jeunes qui rencontre un vieux routard énigmatique. Un des jeunes est incarné par Olivier Martinez encore méconnu, on reconnaît Géraldine Pailhas nouvelle révélation du cinéma français et surtout le vieux routard est incarné par Yves Montand dont c'est le dernier film, mort durant le tournage d'in infractus. Ironie du sort, son personnage meurt également d'un infarctus, mais une polémique accuse Beineix de ne pas avoir ménagé l'acteur. Une rumeur qui pénalise sans doute la promotion du film qui reste un échec au box-office avec néanmoins plus de 850000 entrées France.
Cet échec est un tournant, Beineix délaisse la fiction et se focalise désormais sur le documentaire, toujours via sa société Cargo Films, et multiplie notamment les associations avec des institutions comme le CNES ou le CNRS. Il signe par exemple les films documentaires "Les Enfants de Roumanie" (1992), "Place Clichy sans Complexe" (1994) ou encore "Assigné à résidence" (1997).
Après près de 10 ans d'absence, le réalisateur revient à la fiction avec "Mortel Transfert" (2001 - ci-dessous) un projet personnel sur un psychanalyste qui se réveille durant sa séance et constate la mort de sa patiente. En désaccord avec ses financiers le cinéaste est obligé de participer personnellement à 90%, malheureusement le film est un échec cuisant qui lui coûte cher. Ce sera son dernier film de fiction.
Il revient alors au documentaire. D'abord en réalisant "Loft Paradoxe" (2002), puis surtout en produisant ceux des autres. Il signe personnellement son dernier documentaire avec "Les Gaulois au-delà du Mythe" (2012).
Entre temps il multiplie les expériences. Ainsi il écrit la bande dessinée "L'Affaire du Siècle" (2004-2006) avec Bruno de Dieuleveult au dessin. Et surtout il écrit ses mémoires, le premier tome "Les Chantiers de la Gloire : Mémoires" (2006) dont le titre est un hommage au film "Les Sentiers de la Gloire" (1957) de Stanley Kubrick.
Il met en scène son unique pièce de théâtre, "Kiki de Montparnasse" (2015-2016), préside le 29ème Festival International du Film de Tokyo 2016, puis écrit son unique roman "Toboggan" (2020). Il fait parler de lui brièvement en critiquant l'intervention de l'actrice Adèle Haenel lors de la victoire de Roman Polanski à la Remise des Césars 2020.
Jean-Jacques Beineix aurait refusé plusieurs projets hollywoodiens notamment "Le Nom de la Rose" (1986) de Jean-Jacques Annaud (pourquoi pas ?!), "Alien 3" (1992) de David Fincher (on y croit pas un instant) ou "Evita" (1996) de Alan Parker (mouais...). Par contre il semblerait plus certain qu'il a été envisagé pour ce qui sera "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" (1998) de Jeremiah S. Chechik ça n'aurait pas pu être pire !). Tandis que Beinex a envisagé d'adapter un prix Goncourt 2013 mais qu'il n'arrivera pas à financer, ce projet sera finalement le succès "Au Revoir Là-Haut" (2017) de et avec Albert Dupontel.
Jean-Jacques Beineix aura marqué les années 80 avec 2 films cultes, et entre donc logiquement au Panthéon du cinéma français. Il reste pourtant un cinéaste peu populaire, voir même méconnu suite aux échecs douloureux de ses autres projets pour lesquels il avait sans doute une ambition trop démesurée...
Jean-Jacques Beineix est mort ce jeudi 13 jenvier 2022 à l'âge de 75 ans des suites d'une leucémie.