Leïla et ses Frères (2022) de Saeed Roustaee
3ème long métrage du réalisateur iranien Saeed Roustaee après "Life and a Day" (2016) et surtout après le très remarqué "La Loi de Téhéran" (2021). Le cinéaste aborde de nouveau la thématique familiale comme il l'explique : "Pour moi la famille est un thème central, ce dès mes courts métrages. Leila et ses frères n'est donc pas à mes yeux une mise à jour mais une continuité. Je pense d'ailleurs que si l'environnement est le même, il y a beaucoup de différences avec Life and a Day que ce soit en termes de narration, de forme mais aussi de personnages. Notamment autour du père, qui était une figure absente jusque-là de mon cinéma." En outre le cinéaste ajoute une dimension sociale en s'inspirant de l'appauvrissement massif en Iran et notamment à Téhéran. Saeed Roustaee signe le scénario en collaboration avec Azad Jafarian qui avait déjà travaillé sur "A Propos d'Elly" (2009) de Asghar Farhadi... En Iran la famille de Leïla est touchée de plein fouet par la crise économique et cela crée des tensions intra-familiaux. Leila a alors une idée : acheter une boutique ensemble chacun y mettant ses économies mais il leur manque un peu de capital. Au même moment, à la surprise générale, leur père Esmail promet une importante somme d'argent à sa communauté en espérant devenir le Parrain, haute distinction de la tradition persane. Mais entre cette nouvelle, la mauvaise santé du patriarche et les ennuis financiers des uns et des autres, la famille est au bord de l'implosion...
Leila est incarnée par Taraneh Allidousti, actrice fétiche de Asghar Farhadi dans "Les Enfants de Belle Ville" (2004), "La Fête du Feu" (2006), "A Propos d'Elly" (2009) et "Le Client" (2016). Les parents sont interprétés par Saeed Poursamimi vu dans "Capitaine Khorshid" (1987) de Nasser Taghvai, "Del Shodegan" (1992) de Ali Hatami ou encore "The Rules of the Game" (2007) de Ahmad Reza Mo'tamed, puis Nayereh Farahani vue dans "Eynak" (1987) de Kambuzia Partovi et "Niloofar" (2008) de Sabine El Gemayel. Les frères sont joués par quatre acteurs qui retrouvent Saeed Roustaee après "La Loi de Téhéran" (2021), Mohammad Ali Mohammadi qui était aussi dans "Life and a Day" (2016) à l'instar de Navid Mohammadzadeh vu dans "Asphyxie" (2017) de Fereydoun Jeyrani et "L'Indien" (2019) de Nima Javidi, Payman Maadi acteur vu chez Asghar Farhadi dans "A Propos d'Elly" (2009) retrouvant ainsi sa partenaire Taraneh Allidousti puis dans "Une Séparation" (2011), vu également en France dans "Police" (2020) de Anne Fontaine et retrouvant après "Tales" (2014) de Rakhshan Banietemad son confrère Farhad Aslani lui-même retrouvant Nayereh Farahani après "Le Foulard Bleu" (1995) de Rakhshan Banietemad... Libération est cité sur l'affiche avec "Une fresque qui tient de Tolstoï et du Parrain", une tagline qui tient du coup du pub plutôt qu'un avis objectif. Si on peut débattre sur Tolstoï on est très loin de la trilogie du Parrain ne serait-ce parce qu'il n'est pas question de mafia ou même de crime organisé, juste d'une tragédie familiale, une fresque qui suit la famille modeste et malchanceuse (sensation aggravée par un logement très petit et austère) qui tente plus ou moins de tenir une place dans la vaste famille éloignée du patriarche et qui tente de sortir la tête de l'eau tout simplement. Le cinéaste lorgne plus du côté du ciné italien du néo-réalisme et social entre De Sica et Fellini.
Après des années de malchance et de coups du destin, mais aussi par les conséquences d'un père qui cherche une place d'honneur au sein de sa famille une femme, une soeur, va tenter de montrer le chemin d'une solution pour que ses frères puissent s'offrir un avenir. Le salut vient donc d'une femme, qui se sert de son intelligence pour contrer sa position fragile dans une société misogyne et patriarcale. Si gérer quatre frères très différents n'est pas facile, il va s'avérer que le père bien que vieillissant est plus têtu qu'une mule et, surtout, pourrait être qualifier de "trop bon trop con" (comme on dit) ou en tous cas d'une naïveté dangereuse pour les siens. Par cette chronique familiale on plonge aussi dans les traditions iraniennes, où les convenances, us et coutumes sont un fardeau pour beaucoup. Mais outre le contexte particulier en Iran (social mais aussi géo-politique) il y a aussi le passé intra-familial qui reste un peu trop dans l'ombre ; en effet, on ne sait pas grand chose des décennies précédentes, les frustrations, les regrets, ou les rancoeurs sont violentes mais sont aussi parfois mystérieuses et/ou peu compréhensibles à ce niveau. Ainsi la soeur semble haïr ses parents et restent très froides avec certains de ses frères à l'exception de 1-2 scènes. Les frères sont très et trop différents, aussi bien physiquement que dans leur quotidien, une fratrie qui tient plus du panel caricatural à laquelle on a du mal à croire au début du film. Après son thriller persan, le réalisateur signe une tragédie persane ample et riche de nuances et même si on se dit que la durée du film est sans doute excessive les 3h passent vite et de façon très fluide. Il manque surtout un peu d'empathie pour ces personnages (soeur trop radicale, certains frères benêts... etc...) pour qu'on soit vraiment touché même si certains passages sont très réussis notamment vers la fin. En conclusion, le réalisateur-scénariste réussi une fois de plus un très bon film, prenant par la forme, intelligent sur le fond. A conseiller.
Note :