Casino Royale (2006) de Martin Campbell
Ce 21ème film de la saga officielle produite par EON Productions est une nouvelle page qui se tourne. Malgré les succès des quatre précédents films avec Pierce Brosnan dans le rôle-titre les producteurs Barbara Broccoli et Michael G. Wilson ont décidé assez brusquement d'annoncer à l'acteur qu'il ne continuait pas avec lui. En effet, les fans avaient mal pris le fait que Roger Moore avait continué malgré son âge et ils ne souhaitaient pas réitérer ce risque avec un Brosnan qui atteint les 50 ans. Mais aussi et surtout, la MGM avait pu racheté les droits pour la seule oeuvre de Ian Fleming qui n'était pas dans l'escarcelle de EON Productions, à savoir "Casino Royale" (1953) qui a donné un téléfilm (1954) et surtout le film éponyme (1967) hors série officielle. Etant donné que ce roman est chronologiquement le premier de James Bond il semblait logique de rajeunir le héros. De nombreux acteurs célèbres ont été envisagé pour reprendre le rôle de 007 (Henry Cavill, Hugh Jackman, Orlando Bloom ou même Christian Bale) pour finalement choisir un acteur plus méconnu, Daniel Craig (38 ans en 2006) qui tournait depuis des années mais que personne avait semblé remarqué malgré d'excellentes performances passées. Le projet avait été un temps dans les mains d'un certain Quentin Tarantino mais sa personnalité et le style ne puvait convenir à la machine bien huilée de la saga. Les producteurs ont donc refait appel à Martin Campbell qui avait relancé la franchise avec succès grâce à "Goldeneye" (1995). Au scénario, le duo Neal Purvis-Robert Wade reprend du service après "Le Monde ne Suffit Pas" (1999) de Michael Apted et "Meurs un Autre Jour" (2002) de Lee Tamahori, mais cette fois il collabrore avec le nouveau chouchou de Hollywood, Paul Haggis qui a signé "Collision" (2004) de lui-même et "Million Dollars Baby" (2004) de Clint Eastwood. D'emblée, pour le première fois depuis "Au Service Secret de sa Majesté" (1969) de Peter Hunt, il est question de créer un film à suite directe ce qui est rendu possible et logique en repartant avec le roman originel... James Bond vient d'obtenir le statut élitiste de double 00 au MI6. Après une erreur en mission qui crée un incident diplomatique majeur, Bond est mis en vacances mais le MI6 suit son agent de loin, constatant qu'il poursuit néanmoins sa mission en retrouvant un certain millionnaire nommé Le Chiffre...
Il s'agit donc du premier Bond incarné par l'acteur Daniel Craig remarqué déjà par les cinéphiles dans "Les Sentiers de la Perdition" (2002) de Sam Mendes, "Layer Cake" (2004) de Matthew Vaughn et "Munich" (2005) de Steven Spielberg. Ce renouvellement importe une remise à jour de l'équipe du MI6, ou presque, puisque qu'on ne voit cette fois ni Q ni Moneypenny mais qu'on retrouve M incarnée par Judi Dench, cette dernière étant l'unqiue star au générique. En effet, les autres sont des acteurs plus ou moins connus alors mais c'est avec le succès de ce nouveau James Bond qu'ils vont atteindre un nouveau statut. Chez les méchants on retrouve donc Mads Mikkelsen vu dans les géniaux "Pusher" (1996) et "Pusher 2" (2004) de Nicolas Winding Refn, le frenchy Simon Abkarian qui avait déjà joué hors de nos frontières dans "La Vérité sur Charlie" (2003) de Jonathan Demme. Un allié et futur ami interprété par Jeffrey Wright vu dans "Basquiat" (1996) de Julian Schnabel et "Syriana" (2005) de Stephen Gaghan, puis l'italien Giancarlo Giannini vu dans "Hannibal" (2001) de Ridley Scott et "Man on Fire" (2004) de Tony Scott, ainsi que Isaac de Bankolé vu dans le chef d'oeuvre "Ghost Dog" (1999) de Jim Jarmush et "Manderlay" (2005) de Lars Von Trier. Sans oublier évidemment les James Bond Girls, deux brunes, jouées par Caterina Murino italienne dont la plastique a à peine relevé le niveau des nanards français "L'Enquête Corse" (2004) de Alain Berberian et "Les Bronzés 3" (2006) de Patrice Leconte, et surtout la classieuse et sublime française Eva Green révélée dans "The Dreamers" (2003) de Bernardo Bertolucci et "Kingdom of Heaven" (2005) de Ridley Scott. La musique est signée pour la quatrème fois consécutive par David Arnold, la chanson du générique est "You Know My Name" chantée par Chris Cornell (leader de Soundgarden et Pearljam)... La volonté de tourner une page est particulièrement flagrante dès les premières minutes du film avec un pré-générique en noir et blanc inédit. Ainsi nous est présenté le nouveau 007, un agent moins beau que ses prédécesseurs, au visage moins lisse, plus buriné, blond de surcroît, qui annonce un espion dont l'animalité est flagrante tout en instillant l'existence d'une fêlure. Par là, on repense à Timothy Dalton et ses films "Tuer n'est pas Jouer" (1987) et "Permis de Tuer" (1989) tous deux de John Glen qui avaient tenté une approche similaire. D'ailleurs rappelons que cette nouvelle tentative avait été accueilli plutôt froidement en 2006, la grande majorité des critiques comme du public criant à la trahison avant la sortie du film se prononçant surtout sur un Daniel Craig qui ne serait pas le bon choix ; pas assez classe, trop blond... etc... Bref, comme d'habitude, la majorité avait tort, la preuve cette même majorité accourra bientôt dans les salles. La véritable force et nouveauté du film (quoi que on peut revenir à Timothy Dalton !) est de faire de ce James Bond une brute à sang froid mais à l'intelligence affûté (même dans une poursuite façon yamakasi !) tout en décelant en filigrane des failles psychologiques comme d'autant de cicatrices de l'âme.
Les méchants sont enfin charismatiques (Brosnan avait souvent droit à son alter ego malheureusement), même dans les seconds couteaux. Par contre, si les Bond Girls sont belles et glamours on peut regretter qu'elles ne soient pas plus "fortes" avec des rôles plus étoffées. Le scénario reste un des meilleurs de la saga, un vrai suspens (pour un Bond !) et un twist efficace font la différence. On peut trouver l'interlude romantique un peu long mais il s'avère nécessaire si on veut croire un temps soit peu à l'idylle (une première depuis 1969) même si ça reste un "rapide". Cet intermède permet également de poser le récit, de ne pas tomber dans le démonstratif pyrotechnique à tout prix. Il existe bien quelques passages invraisemblables ou tirés par les cheveux (trouver l'homme en question avec l'heure ok mais aussi via la caméra précise ?! "Tortures boursières" sans aucune séquelle ?!) mais on prend plaisir à voir évoluer un Bond sûr de lui, égocentrique mais si faillible qu'il en reste avant tout humain, et donc intéressant ce qui change profondément d'un Pierce Brosnan. Certaines séquences sont marquantes, le parkour façon yamakasi à Madagascar est impressionnant et le final à Venise est particulièrement tragique (humainement mais fait aussi écho au drame d'une Venise condamnée). La partie poker est évidemment la colonne vertébrale du film, si on peut trouver que la partie se joue un peu trop auto-centré sur le duo (les autres joueurs sont vraiment accessoires !) le face à face reste prenant grâce à des rebondissements parfaitement intégrés. Enfin ils ont compris ! Enfin les producteurs sont revenus à un James Bond plus moderne, plus humain, moins vertueux, et surtout le scénario est une belle innovation comparée au canevas habituel ; en effet, jamais on avait eu un Bond avec un fond psychologique aussi fouillé tout en suivant une aventure bondienne par essence. On remarque une fois de plus que la musique thématique signée Monty Norman et John Barry est absente (David Arnold y est décidément allergique !), mais, cette fois, elle survient tout à fait logiquement quand Bond devient enfin le 007 tant attendu, à la fois icônique et légitime : "Mon nom est Bond, James Bond" ...
Note :
Pour info bonus, Note de mon fils de 11 ans :