Le cinéma de Stéphane Brizé

par Selenie  -  17 Octobre 2012, 15:00  -  #Le cinéma par thèmes

Après la bio du réalisateur Stéphane Brizé nous allons nous attarder sur ses cinq longs-métrages... Analyse, critiques et avis personnel de Selenie...

 

Précision importante : les notes cinépshère et presse viennent (moyenne) des sites Allociné, Senscritique et IMDB.

 

En 1998 Stéphane Brizé se lance sur son premier long métrage avec sa complice Florence Vignon avec qui il a déjà travaillé sur le moyen-métyrage "L'oeil qui traine" (1996).

http://a69.g.akamai.net/n/69/10688/v1/img5.allocine.fr/acmedia/medias/nmedia/18/69/18/88/19172652.jpg  http://www.scenarioaulongcourt.com/2010/2012/bios/img/vignon_florence.jpg

Leur méthode est peaufinée et se perfectionne donc avec "Le bleu des villes" (1998)... Ensemble ils se mettent d'accord sur la trame générale, les personnages, rédige un synopsis et un séquencier détaillé. Stéphane Brizé écris les dialogues seul avant que Florence Vignon reprenne l'ensemble pour confirmer ou non, se repassant à multiples reprises le texte jusqu'à ce que le résultat final soit en adéquation avec les deux personnalités des co-scénaristes.

 

Le soin apporté à l'écriture impose un choix important, à savoir qu'ils choisissent d'avantager le scénario aux effets d'une mise en scène ; une vraie qualité d'écriture dans le fond plutôt qu'une esbrouffe stylisée dans la forme.

"Le bleu des villes" (1998)...

synopsis : Solange et son ami Patrick menent une vie tranquille en province. L'amie d'enfance de Solange, Mylene, devenue presentatrice meteo, est de passage pour dedicacer sa biographie. Elle lui consacre une soiree. Un diner, un verre en boite, quelques confidences. Mylene repartie, Solange realise qu'elle est passee a cote de ses reves. Elle s'imaginait chanteuse, elle est contractuelle. Son costume de scene c'est un uniforme, son public des automobilistes qui l'insultent. Changer de vie, est-ce encore possible ?

 

Le Bleu des villes  http://static.programme-tv.net/var/p/240x/204/2043583-1.jpg

La première scène du film est une scène à la fois ridicule et pathétique (un mot qui reviendra) : une pervenche qui escalade un camion tant bien que mal pour y glisser le timbre-amende... Une scène qui évoque la bêtise d'un système comme une prologue de ce qui va suivre.

 

Stéphane Brizé ancre pourtant son histoire dans un réalisme de tous les instants, on suit la souffrance d'une fonctionnaire haïe par le conducteur, qui s'aperçoit que sa vie n'est peut-être pas celle dont elle a rêvé... Mais son questionnement n'est dû qu'à sa rencontre avec une amie d'enfance devenue vedette de la télévision, on constate donc que c'est avant tout une sorte de jalousie, d'envie, de se comparer à un idéal pourtant pathétique ; comme par procuration la pervenche se dit qu'elle aussi elle pourrait avoir son quart d'heure de gloire.

 

Plusieurs scènes démontre le côté compassion amère du quotidien de Solange... une collègue vexée de ne pas être élue fonctionnaire de l'année, la pétition pour le papier toilette...

http://static-boutique.francetv.com/media/catalog/product/cache/1/image/9df78eab33525d08d6e5fb8d27136e95/0/3/03_1.jpg 

Comme le précisa Florence Vignon dans un entretien pour Télérama : "cela peut sembler un peu cruel ou méprisant, mais c'est la vie qui est comme ça. Flaubert n'a pas le cynisme des gens, il a le cynisme de la vie."... D'ailleurs une scène du film est directement inspirée de "Madame Bovary", la scène où la jeune pervenche observe, froide presque sans estime, son époux qui mastique des crêpes au jambon surgelées.

 

Le mot pathétique semble être le mot juste, pas entièrement dans la sens péjoratif mais dans le sens humain, du rêve... Car le film parle avant tout d'une seule et même question : que deviennent nos rêves d'enfant ?

 

Ce premier film pose également une base essentielle dans la filmographie de Stéphane Brizé à savoir le manque de communication... Le dialogue au sein du couple de Solange est clairement sans chaleur, victime d'un quotidien routinier.

 

Un premier film auquel il manque juste d'effet plus appuyé, aller plus à fond dans la dramaturgie due à ce "cynisme compassionnel". Un premier film prometteur de toute façon...

 

Le film fait un peu moins de 100000 entrées France, un joli succès pour un premier film d'auteur.

 

Note cinésphère :  ★★★     Note presse pro :   ★★★½     Note Selenie :    4,5 ★★★

 

"Entre adultes" (2004)...

synopsis : 6 hommes et 6 femmes, 12 adultes, s'aiment, se mentent, se manipulent, se trompent, se confient et se quittent. La vie...

 

Entre adulteshttp://www.avcesar.com/source/software/dvd/111/image_2.jpg

Ce film a été proposé à Stéphane Brizé par la région Centre Val de Loire de tourner un film avec des comédiens professionnels (6 hommes + 6 femmes) ayant uniquement une expérience théâtrale. Deux caméras vidéos, un micro et 10 jours de tournage sur les méandres des relations extra-conjugales de plusieurs couples. Comme ses autres films, Stéphane Brizé s'est approprié le projet en s'investissant à tous les niveaux et en premier lieu pour le scénario.

 

On pense à "La ronde" (1950) de Max Ophüls version froide et aseptisée mais aussi hyper réaliste et moderne. En fait le film manque d'une dimension plus charnelle, le côté théâtral est omniprésent et réprime le minimum de chaleur et d'énergie qu'un tel thème impose. Il y a une absence totale de glamour et surtout de séduction.

http://www.avcesar.com/source/software/dvd/111/image_3.jpg 

Pourtant Stéphane Brizé n'est pas totalement dans perdu, il y a toujours cette obsession du "vrai", ce manque de communication entre les êtres, ce style épurée qui va se magnifier avec le temps et l'expérience.

 

Il est surprenant de remarquer que plusieurs personnes (Valérie Sarabadjian aux décors, Anne Klotz au montage ou encore Miléna Poylo à la production...) de l'équipe technique de "Le bleu des villes" suivront Stéphane Brizé sur tous ses prochaines films sauf... sur "Entre adultes"... Y-a-t-il eu cause à effet ?!

 

Le film fait environ 47000 entrées France, un échec pourtant produit par un réalisateur reconnu, Claude Lelouch.

 

Note cinésphère :  ★★     Note presse pro :   ★★★     Note Selenie :    4,5 ★★

 

"Je ne suis pas là pour être aimé" (2004)...

synopsis : 50 ans, huissier de justice, le coeur et le sourire fatigués, Jean-Claude Delsart a depuis longtemps abandonné l'idée que la vie pouvait lui offrir des cadeaux. Jusqu'au jour où il s'autorise à pousser la porte d'un cours de tango...

 

Je ne suis pas là pour être aiméhttp://img222.imageshack.us/img222/1882/patrickchesnais8oy.jpg

Son troisième film (dans l'ordre de tournage) est celui pour lequel il retrouve l'essentiel de son équipe du film "Le bleu des villes" après l'échec de "Entre adultes". Ce film est un tournant important dans la carrière de Stéphane Brizé, autant "Entre adultes" a du apporter son lot d'expérience autant ce film-ci est celui où le réalisateur-scénariste va imposer plus sûrement son style propre.

 

Après le métier de pervenche voici celui de huissier, une autre profession franchement peu aimé du public. Dans la même approche le mot pathétique revient hanté le film. Comme dans "Le bleu des villes" une des premières scènes impose cette sensation, celle du cocktail de bienvenue au cabinet avec champagne et cacahuète, ambiance mal à l'aise et non-dits place le spectateur dans une position aussi inconfortable que les personnages.

http://cdn-premiere.ladmedia.fr/var/premiere/storage/images/cinema/photos-film/photos-acteur/je-ne-suis-pas-la-pour-etre-aime/je-ne-suis-pas-la-pour-etre-aime-20056/42881517-1-fre-FR/JE-NE-SUIS-PAS-LA-POUR-ETRE-AIME-2005_portrait_w858.jpg 

Comme dans "Le bleu des villes" on retrouve également ce manque de communication dans le couple, un dialogue de sourd s'instaure entre les fiancées, l'un n'étant pas à l'écoute de l'autre. 

 

Dans "le bleu des villes" Solange trompait son époux avec le chant alors qu'ici Françoise s'interroge sur son avenir avec son fiancé dans les bras dansants de Jean-Claude, Huissier de son état, réservé et grincheux.

 

Le côté pathétique est mieux distillé dans ce film car les personnages, malgré leur incertitude sont plus touchants, l'attirance entre des "coeurs simples" auxquels les spectateurs peuvent mieux s'identifier que les bobos habituels de la plupart des productions françaises... Des "héros" de tous les jours en somme...

 

Le film est aussi celui où Stéphane Brizé impose un style qui se perfectionnera encore. Jeu de regards, silence, non-dits ou maladresse dans les dialogues, on touche à chaque fois à la justesse des sentiments.

 

Cette fois le côté pathétique est l'anti-thèse de la beauté des liens qui naissent entre l'huissier et la fiancée. Stéphane Brizé  fait ses gammes sur des airs de tango...

 

Le film fait 284000 entrées France et s'affirme comme un vrai succès public et critique.

 

Note cinésphère :  ★★★     Note presse pro :   ★★★★     Note Selenie :    4,5 ★★★

 

"Mademoiselle Chambon" (2009)...

synopsis : Jean est quelqu'un de bien : un bon maçon, un bon fils, un bon père et un bon mari. Et dans son quotidien sans heurt, entre famille et travail, il croise la route de Mademoiselle Chambon, l'institutrice de son fils. Il est un homme de peu de mots, elle vient d'un monde différent. Ils vont être dépassés par l'évidence des sentiments.

 

 

Toujours dans l'évolution, la progression, la remise en question aussi, sans aucun doute, Stéphane Brizé pousse son style encore plus loin avec ce quatrième long métrage.

 

Il délaisse les professions "antipathiques" (huissier et pervenche) pour un simple maçon, ouvrier terre à terre et populaire par excellence mais toujours hors catégorie bobos donc. Ce film confirme le soin apporté au choix du casting n'hésitant pas ici à réunir Vincent Lindon à Sandrine Kiberlain (ex conjoints) ; un choix qui s'avère judicieux, qui apporte une sorte de gêne embarassée qui donne un regain d'émotion lors des têtes à têtes.

 

Stéphane Brizé passe un cap évident avec ce film, assume son style de cinéma intimiste qui gagne en économie de dialogues, pour lequel les regards et les silences en disent aussi long voir plus que les mots et les phrases...  D'où la maladresse dans la scène où le maçon vient raconter son boulot en classe d'école ; un monologue, certe maladroit, qui n'apporte pas grand chose de plus au récit... Une erreur (petite) qu'il ne fera pas dans le prochain film.

 

 

Peu enclin aux envolées romanesques il ne manque pourtant pas d'un certain romantisme plus discret, sans être ni mièvre ni surréaliste bien au contraire. Il façonne au mieux l'écriture, s'améliore encore mais il améliore aussi sa mise en scène...  Sobre et discrète elle s'étoffe un peu plus se jouant notamment de l'espace temps et n'hésitant pas à utiliser les qualités du Scope.

 

Un film sur le thème de l'adultère, un thème qui s'impose là aussi comme un paramètre récurrent.

 

Le film fait plus de 527000 entrées, succès toujours en plein essor, un film multi-primé avec notamment le César de la Meilleure adaptation pour les complices Stéphane Brizé et Florence Vignon.

 

Note cinésphère :  ★★★     Note presse pro :   ★★★½     Note Selenie :    4,5 ★★★★

 

"Quelques heures de printemps" (2012)...

synopsis : A 48 ans, Alain Evrard est obligé de retourner habiter chez sa mère. Cohabitation forcée qui fait ressurgir toute la violence de leur relation passée. Il découvre alors que sa mère est condamnée par la maladie. Dans ces derniers mois de vie, seront-ils enfin capables de faire un pas l'un vers l'autre ?

 

 

Stéphane Brizé à son apogée ?! Aussi bien je n'en doute pas, en tous cas il sera difficile de faire mieux...

 

Toujours dans l'évolution et toujours dans la cohérence de son oeuvre... Après la pervenche et l'huissier, il y a eu le maçon et voici le routier... Mais là, dans ce dernier film Stéphane Brizé ajoute une certaine audace en abordant un fait d'actualité particulièrement brûlant, le suicide assisté (et par ricochet l'euthanasie).

 

Néanmoins j'insisterais sur le fait que c'est justement cette actualité qui a focalisé la presse professionnel sur ce paramètre, certe important, mais qui ne m'a jamais semblé être le véritable enjeu du film, Stéphane Brizé n'a jamais voulu en faire un cheval de bataille, ou un quelconque film militant. Le suicide assisté est juste un paramètre dramatique comme le fait que le routier sort de prison. Ni plus ni moins qu'un processus pour mener la dramaturgie.

 

Outre le thème préféré de toute la presse il me semble que le thème du film est le même qui définit le cinéma de Stéphane Brizé... La difficulté de communiquer tout simplement... Dans ce lien mère-fils rien n'est facile, elle seule, malade et qu'on devine presque honteuse voire se sentant coupable quelque part vis à vis d'un fils routier qui sort de 18 mois de prison et qui revient après des années de non-dits, de malentendus... Entre ingratitude maladroite et uen réinsertion mal assumée le lien maternelle est aussi fragile qu'inaliénable.

 

 

La mise en scène du réalisateur s'est encore affinée, le choix du plan-séquence comme autant d'actes est judicieux, poussant ainsi à l'extrême la sensation de vide affectif, cet amour-haine qui va jusqu'à exploser littéralement lors d'une  séquence d'une violence assez inouïe.

 

Tout ce qui fait le cinéma de Stéphane Brizé atteint dans ce film l'apothéose d'un auteur singulier. La mise en scène quasi clinique n'a d'égal que la rigueur qu'il apporte à son travail d'écriture et à la psychologie de ses personnages, jamais outrancier mais toujours, et de plus en plus juste.

 

Ce film est un chef d'oeuvre du genre, bouleversant et franchement difficile mais tout aussi beau, pure de tout jugement hâtif.

 

Le film a fait plus de 250000 entrées à ce jour. Un joli score qui n'est pourtant pas à la hauteur de cette claque, le suicide assisté et le bouche-à-oreille semblant s'être focalisé sur la dureté émotionnelle.

Note cinésphère :  ★★★½     Note presse pro :   ★★★½     Note Selenie :    4,5 ★★★★★

Conclusion 

Stéphane Brizé se donne comme référence Maurice Pialat mais je pense qu'il est franchement un auteur plus talentueux. A contrario de Pialat il offre un cinéma plus humain, moins aigri dans un style moins prétentieux.

http://www.les400coups.org/soirees/archives/grandes/12_08_30_brize.jpg 

Il se rapproche plus d'un Ingmar Bergman dont il est le plus proche au niveau des interrogations, des thèmes et des points de vue... A de moindres mesures on pourrait citer Aki Kaurismaki, Philippe Lioret (avec Vincent Lindon en point commun) et surtout Michael Haneke dont le film "Amour" risque de faire écho à "Quelques heure de printemps".

 

Stéphane Brizé est aujourd'hui une référence du cinéma intime français, qui fait l'économie des dialogues futiles pour aller à l'essentiel. Il cherche toujours à aller au bout de son raisonnement, de son objectif à tel point qu'il est un des rares cinéastes à éviter les plans de complaisance comme un plan de paysage entre deux scènes.

http://www.cine35.com/Photos/chambon_1.jpg

Un réalisateur pointilleux, qui sait ce qu'il veut, et qui après un dernier film de ce niveau fera en sorte de revenir avec un vrai projet aussi foudroyant.

 

 A SUIVRE  demain matin 18 octobre (pour son anniversaire !)  09h un entretien exclusif avec Stéphane Brizé !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :