Billie Holliday, une Affaire d'Etat (2021) de Lee Daniels
En attendant le biopic sur Aretha Franklin, voici celui "non-officiel" d'une autre légende du Jazz vocal, à savoir Billie Holliday (Tout savoir ICI !) qui est tourné vis à vis de ses addictions, autour de sa chanson phare "Strange Fruit" (Tout savoir ICI !) et de sa persécution par le FBI. En effet, le film est adapté de la partie nommée "Black Hand" du livre "Chasing the Scream : the First and Last Days of the War on Drugs" (2015) de Johann Hari Best Seller mis en avant par le New-York Times. Un scénario signé de Suzan-Lori Parks, première femme afro-américaine lauréate du Prix Pulitzer pour son oeuvre théâtrale "Topdog/Underdog". On est donc pas étonné que cette histoire ait intéressé Lee Daniels, réalisateur des films "Precious" (2009), "Paperboy" (2012) et de "Le Majordome" (2013). Précisons que Billie Holliday avait déjà connu un biopic, "Lady Sings the Blues" (1972) de Sidney J. Furie avec Diana Ross, mais comme l'indique Andra Day, nouvelle interprète de la jazzwoman, c'était un film trop contextualisé : "J'étais fascinée par ce film et par la performance de Diana Ross, mais il avait été fait au début des années 70, alors que J. Edgar Hoover et Harry J. Anslinger étaient encore au pouvoir, que Louis McKay était encore en vie et même conseiller technique de ce film. Il y avait beaucoup de choses sur la vie de Billie Holliday que nous étions pas autorisés à connaître (...)"... Et n'oublions pas que ce film sort peu de temps après l'excellent documentaire "Billie" (2020) de James Erskine...
1939, Billie Holliday chante pour la première fois la chanson "Strange Fruit", qui sort de son répertoire habituelle, et qui va faire scandale au point qu'elle est souvent censurée. La chanteuse se bat pour chanter sa chanson ce qui pousse le FBI à la placer sous surveillance, puis à devenir une simple cible. Fin des années 40, un agent afro-américain est choisi pour infiltrer le cercle proche de la star alors que Bille Holliday plonge dans la drogue et l'alcool... Dans le rôle titre, c'est Andra Day, chanteuse repérée par Stevie Wonder en 2015 inconnue sur grand écran à l'exception d'une apparition dans le film "Marshall" (2017) de Reginald Hudlin. L'agent infiltré est incarné par Trevante Rhodes révélé par "Moonlight" (2016) de Barry Jenkins et vu depuis dans des films comme "The Predator" (2018) de Shane Black et "Bird Box" (2018) de Susanne Bier. Parmi le cercle intime de la star citons Dana Gourrier vue dans "Django Unchained" (2012) et "Les Huit Salopards" (2015) tous deux de Quentin Tarantino et qui retrouve Lee Daniels après "Le Majordome", Da'Vine Joy Randolph vu récemment dans "Dolemite is my Name" (2019) de Craig Brewer et "Kajillionnaire" (2020) de Miranda July, Tyler James Williams vu dans "Dear White People" (2014) de Justin Simien et "Detroit" (2017) de Kathryn Bigelow, puis Natasha Lyonne connue pour la série TV "Orange is the New Black" (2013-2019) et un petit rôle dans "Ad Astra" (2019) de James Gray. Côté FBI citons aussi le patron joué par Garrett Hedlund vu dans "Mudbound" (2017) de Dee Rees et "Triple Frontière" (2019) de J.C. Chandor, et un second agent joué par Evan Ross aperçu dans le dyptique "Hunger Games : La Révolte" (2014-2015) de Francis Lawrence et qui n'est autre que le fils de la star Diana Ross... Le film déroule le cahier des charges du biopic vite fait bien fait, avec une période large (ici début des années 40 à sa mort) mais avec des flash-backs rapides pour esquisser une enfance peu réjouissante. Le soucis premier reste le point de vue choisit, à savoir la "persécution" par le FBI qui serait la conséquence du racisme du chef du Bureau des narcotiques (Anslinger qui aurait près de 70 ans à la mort de Billie Holliday, je dis ça, je dis rien) et surtout de la chanson phare "Strange Fruit". Rappelons donc que cette chanson parle des lynchages racistes subis par les afro-américains essentiellement dans les états sudistes. Si on ne nie pas une certaine censure autour de cette chanson ce n'est pas d'un ordre direct mais des décisions plus ou moins lâches de la diffuser ou non, et si on ne nie pas l'oppression du FBI il faut rappeler que le FBI de J. Edgar Hoover surveillait toutes et tous et que Billie Holliday n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. D'ailleurs, on pourrait même se dire qu'elle était une cible mineure sa chanson étant censurée sans effort du FBI, tandis que ses addictions à la drogue et à l'alcool discréditait la star et facilitait tranquillement le travail du FBI qui aura bien plus de difficultés avec Malcolm X, Martin Luther King voir même des stars d'autres domaines. Quand Andra Day critique (voir plus haut) le film de 72 on trouve tout aussi dommageable le personnage de Jimmy Fletcher, agent afro-américain infiltré, qui est complètement fictif ! Ce choix impose une ligne directrice pour accentuer une terrible persécution au lieu d'une surveillance appuyée et donc sur ce point le film joue la propagande plus que de relater les faits. C'est le gros défaut du film.
Heureusement, le film a d'autres qualités, et la première reste la performance habitée de Andra Day dont l'affiche la plus éditée (elle en gros plan) façon Frida Khalo ne lui rend pas hommage. L'actrice qui devait d'abord chanter en play-back a finalement assumée et chantée elle-même incarnant d'autant plus Bille Holliday jusque dans son intimité. Andra Day est l'atout majeur du film. En prime, forcément une B.O. qui ravira les fans de jazz et de la chanteuse. L'autre bon point est de rappeler que certaines chansons marquent l'Histoire et "Strange Fruit" demeure un exemple mythique de par l'interprétation de Billie Holliday ; une chanson dure dont on peut rappeler un passage :
"Scène pastorale du vaillant sud :
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Un parfum de magnolia doux et frais,
Puis l'odeur soudaine d'une chair qui brûle."
Quand on voit l'inspiration Andra Day, une jolie reconstitution, quelques passages qui ne manquent pas de grâce on est d'autant plus frustré du parti pris qui est de monter en épingle cet acharnement du FBI fantasmé via un agent infiltré qui n'a jamais existé, mais aussi de faire croire que Billie Holliday était un modèle de lutte pour les droits civiques. D'ailleurs, cet engagement de Billie Holliday dans le film se résume à quelques minutes où elle désire chanter "Strange Fruit", sans pour autant se battre pour cela, ni pour autant montrer un éventuel discours dans ses dialogues ou actions. Finalement le réalisateur Lee Daniels s'est attaqué à une légende du Jazz en voulant en faire une icône de la lutte contre la ségrégation : "Quand on évoque les grandes figures du mouvement des droits civiques, on pense à Rosa Parks ou à Martin Luther King, ou encore, en étant un peu plus subversif, à Malcolm X. Ce n'est pas Billie Holliday qui vous vient à l'esprit. On songe à elle comme à une chanteuse, une chanteuse de jazz toxicomane." On ne peut pas mieux dire en effet, et la vraie déception c'est que son film n'arrange rien. Dommage... Reste un destin déchirant, un talent unique, du jazz sublime et une réincarnation de la chanteuse qui vaut le détour.
Note :