Albatros (2021) de Xavier Beauvois
Un joli titre pour un drame, un titre à ne pas confondre avec le film "L'Albatros" (1971) de Jean-Pierre Mocky et qui fait forcément écho avec l'un des plus beau poème de Charles Baudelaire mais le rapport s'arrête là. En effet le réalisateur-scénariste Xavier Beauvois qui habite en Normandie a été inspiré d'abord par un article de la revue Society sur un agriculteur acculé qui sur un coup de désespoir fonce sur des gendarmes venus l'aider et qui ont dû lui tirer dessus. L'idée est donc de montrer la facette de l'agriculteur déprimé, et en face des gendarmes dont on banalise ou caricature le travail alors qu'ils sont beaucoup plus polyvalent que ça. Le cinéaste précise : "J'ai transposé ça à Etretat où les gendarmes sont mes potes. Je connais aussi des agriculteurs du coin, on sait ce qu'ils gagnent. En France, il y a 3000 fermes à vendre, un suicide par jour... Les agriculteurs laitiers travaillent à perte. Je les vois bosser autour de ma maison, ils se lèvent tôt, finissent tard, n'ont ni vacances, ni week-ends. La Normandie paraît riche mais c'est une fausse image." Idem il rajoute : "Je montre que les gendarmes ne sont pas là uniquement pour punir, mais aussi et surtout pour protéger. dans le travail des gendarmes, il y a une dimension d'assistance sociale. Ce qui m'a étonné en observant leur quotidien, c'est la délation ! Ils reçoivent très souvent des lettres de dénonciations anonymes : "machin roule sans permis... Untel n'a pas d'assurance... etc." C'est dément ! Les gendarmes n'aiment pas trop ça." Xavier Beauvois co-signe le scénario avec sa conjointe Marie-Julie Maille qui est aussi actrice de temps à autre et surtout sa monteuse depuis "Des hommes et des Dieux" (2010), puis avec Frédérique Moreau à qui on doit les scénarios de films comme "Cortex" (2008) de Nicolas Boukhrief, "Le Roi de l'Evasion" (2009) de Alain Guiraudie ou encore "Maman" (2012) de Alexandra Leclère. Le trio se retrouve donc après avoir déjà collaborer sur le dernier et précédent film de Beauvois, "Les Gardiennes" (2017). Précisons que le cinéaste avait déjà tourné dans sa région avec "Selon Mathieu" (2000) et qu'il avait abordé l'uniforme mais du côté police urbaine avec "Le Petit Lieutenant" (2005)...
Laurent est commandant de brigade de la gendarmerie d'Etretat, il est heureux avec sa future épouse et mère de sa fille et malgré la misère sociale environnante. Sur une intervention auprès un agriculteur en souffrance qui est aussi un ami, il tue ce dernier en tentant d'éviter son suicide. Dès lors, le gendarme perd peu à peu pied et tente de trouver un peu de rédemption en allant naviguer... Le gendarme est incarné par Jérémie Renier vu récemment dans "Slalom" (2020) de Charlène Favier et "L'Homme de la Cave" (2021) de Philippe Le Guay. Son épouse est jouée par Marie-Julie Maille et la fille par Madeleine Beauvois, mère et fille se retrouvant devant la caméra après "Les Gardiennes", et elles retrouvent également leur partenaire Iris Bry révélation de ce film et vue depuis dans "La Daronne" (2020) de Jean-Paul Salomé. Citons ensuite Victor Belmondo, petit-fils de regretté Jean-Paul Belmondo aperçu notamment dans "La Vie très Privée de Monsieur Sim" (2015) de Michel Leclerc et "De Gaulle" (2020) de Gabriel Le Bomin, puis Marc Prin qui retrouve Jérémie Renier après "Demain, dès l'Aube" (2008) de Denis Dercourt, et vu depuis dans des films comme "Coup de Chaud" (2015) de Raphaël Jacoulot et "Les Fantômes d'Ismaël" (2017) de Arnaud Desplechin... Le film est scindé en deux parties bien distinctes, qu'on devine par ailleurs dès la bande-annonce (malheureusement !!!) et qui se confirme ensuite sans surprise. Ainsi on a une première partie très sociologique, où les gendarmes côtoient la misère et la détresse humaine dans une région rurale confrontée à tout ce qui bride et brise les rêves. Si on relis les déclarations du réalisateur un peu plus haut, on ne peut qu'acquiescer, l'idée et le projet sont évidemment très louable mais on attend le drame divulgué bêtement dans (encore une fois !) la bande-annonce. Un drame qui sert de césure au récit pour ensuite se focaliser sur la souffrance psychologique du gendarme.
Le film devient moins ancré sur la terre ferme, moins basé sur la dimension sociale de la société pour observer un homme de devoir se fissurer, surnager en allant littéralement se frotter aux éléments marins comme pour se purifier. Le film se fait plus contemplatif, aux décors ruraux on passe à la beauté de la mer mais toujours en évitant le "trop beau", le trop esthétique. Xavier Beauvois reste sur sa ligne réaliste, aidé par cela par sa première collaboration avec Julien Hirsch, Directeur Photo césarisé notamment pour le film "Lady Chatterley" (2006) de Pascale Ferran. La grande différence de traitement et de ton entre les deux parties donne la sensation bizarre de deux films différents, comme si on avait raccrocher deux moyen métrages avec une idée d'un drame pour expliquer le lien. Mais le pire, le gros défaut du film est que ce drame aurait dû être mieux travaillé ; expliquons : un gendarme qui tue un homme, même pour tenter de le sauver serait obligatoirement placé en Garde à Vue, et sans doute mis en examen. Ensuite pourquoi ne pas avoir tiré plutôt dans les jambes (même si oui ça reste difficile comme situation) ?! Et on passera sur le grade de ce gendarme dont l'écusson ne correspond à son grade, quoi qu'il en soit des officiers sur des missions de routine ça ne doit pas courir les patrouilles !... D'autant plus décevant que question réalisme, le réalisateur avait signé une magnifique réussite avec "Le Petit Lieutenant". Le film s'avère alors un peu bancal par manque de travail sur les causes et conséquences d'un drame central. On est donc mitigé sur le but du film, sur son propos, la sensation d'avoir deux films différents n'aidant pas. Le film surnage pourtant, grâce à un acteur une fois de plus impeccable, et une réelle émotion qui nous submerge.
Note :