West Side Story (2021) de Steven Spielberg
Retour du grand Steven Spielberg après son excellent "Ready Player One" (2018), et cette fois il aborde un genre qu'il n'avait pas encore explorer, la comédie musicale. Et pour ce projet le réalisateur met la barre très haut puisqu'il se frotte à une nouvelle version de la célèbre comédie créée à Broadway en 1957 et surtout déjà porté sur grand écran avec un monument mythique aux 10 Oscars, le "West Side Story" (1961) de Robert Wise. Spielberg le sait et le dit : "Ce film est probablement le plus intimidant de toute ma carrière. West Side Story est sans doute la plus grande musique jamais écrite pour la scène, et nous étions tous conscients. C'est terriblement angoissant de revisiter un chef d'oeuvre, de la faire passer au filtre de sensibilité et de regards différents sans compromettre l'intégralité de ce qui est généralement considéré comme la plus grande musique jamais composée pour un musical. Mais je suis convaincu que les grandes histoires doivent être racontées encore et encore, en partie pour refléter à travers l'oeuvre différentes perspectives et différentes époques." Précisons que cette nouvelle version a reçu le soutien des auteurs-compositeurs originaux ou de leurs ayants-droit dont le légendaire Stephen Sondheim malheureusement mort il y a peu, avant la sortie de ce nouveau film. Pour ce film Spielberg collabore à nouveau avec Tony Kushner, prix Pulitzer pour sa pièce "Angels in America" (1992) et scénariste des films "Munich" (2005) et "Lincoln" (2012). Spielberg retrouve la plupart de ses collaborateurs habituels comme le fidèle Janusz Kaminski directeur photo de quasi tous les films du réalisateur depuis son chef d'oeuvre "La Liste de Schindler" (1993)... Upper West Side, 1957, deux bandes rivales s'affrontent régulièrement : les sharks composés de porto-ricains, et les Jets qui sont composés de "blancs" ou d'origines européennes. Plus d'une question de territoires la dimension sociale et raciale, culturelle surtout semble une dissension insurmontable. mais un jour, Tony des Jets rencontre Maria, soeur du leader des Sharks et les deux jeunes tombent amoureux ce qui va très vite mettre le feu au poudre...
Tony est interprété par Ansel Elgort révélé dans "Nos Etoiles Contraires" (2014) de Josh Boone et remarqué depuis dans "Baby Driver" (2017) de Edgar Wright ou encore "Le Chardonneret" (2019) de John Crowley. Maria est incarnée par Rachel Zegler, premier rôle pour la jeune actrice et révélation déjà attendue prochainement dans "Shazam ! Fury of the Gods" (2023) de David F. Sandberg puis dans le rôle titre du prochain "Blanche-Neige" en prises de vues réelles de chez Disney. La surprise de ce casting est la présence de Rita Moreno qui jouait Anita dans la version de 1961, qui avait déjà abordé la comédie musicale en apparaissant dans le tout aussi cultissime "Chantons sous la Pluie" (1952) de Stanley Donen, mais qui cette fois joue Valentina, personnage repensé de l'oeuvre originale et qui s'avère être la veuve (et remplaçante) du pharmacien Doc. Anita est cette foi incarnée par Ariana DeBose remarquée auparavant dans "Prom" (2020) de Ryan Murphy. Sinon la plupart du casting est composé d'inconnus ou de débutants, mais citons les deux policiers qui surveillent tout ce petit monde joués par Corey Stoll vu dans "Ant-Man" (2015) de Peyton Reed et "Strictly Criminal" (2015) de Scott Cooper, et qui retrouve donc après "First Man" (2018) de Damien Chazelle son partenaire Brian d'Arcy James vu également dans "Spotlight" (2016) de Thomas McCarthy et "Le Grand Jeu" (2017) de Aaron Sorkin. Citons enfin un petit rôle interprété par Maddie Ziegler jeune espoir vue dans "The Book of Henry" (2017) de Colin Trevorrow, "À tous les Garçons : P.S. Je t'aime Toujours" (2020) de Michael Fimognari et "Music" (2021) de Sia... Evidemment, Spielberg aura beau rappelé qu'il ne s'agit pas d'un remake du film de 61 mais bien d'une nouvelle adaptation de la pièce de 57 la comparaison est inévitable et de toute façon foncièrement logique. D'abord on rappelle que Spielberg dit vouloir faire un film qui reflète les différentes époques, on peut donc déjà se dire que le film n'est nullement transposé à aujourd'hui mais reste une histoire qui se déroule en 1957, mais que le réalisateur a voulu absolument tourner à New-York même ce qui est forcément anachronique 60 ans après, néanmoins Adam Stockhausen précise : "C'était un défi de taille compte tenu de l'aspect actuel de la ville de New-York. D'une manière ou d'une autre, nous avons réussi à trouver des lieux de tournage à Brooklyn et dans l'Upper Manhattan qui correspondait parfaitement à nos objectifs. Mais nous savions devoir aussi chercher ailleurs." D'autres lieux ont donc été choisi notamment les villes de Paterson et Newark dans le New Jersey. Par là même, le temps est passé et d'autres choix paraissent plus aisés aujourd'hui, et même plus actuel de façon plus ou moins opportuniste. Ainsi la bande des Sharks est exclusivement composée d'acteurs "latino-américains", tandis que le personnage de Anybodys est joué par Iris Menas un acteur dit "non binaire", un choix que le producteur David Saint explique en citant l'auteur de la pièce Arthur Laurents : "Arhtur était en avance sur son temps dans ce domaine. Il disait "Anybodys" est un personnage qui est un homme né dans un corps de femme." Qu'ajouter de plus ?"
Spielberg a voulu également inscrire le film plus profondément dans l'Histoire des Etats-Unis allant jusqu'à offrir des cours et des débats sur les historiques autour de l'émigration des porto-ricains, et en ajoutant une séquence qui n'est pas dans le film de 61, où les Sharks chante "la Borinquena" hymne portoricain datant des soulèvements de Porto Rico en 1868 qui avait été banni ensuite. Tout un symbole donc. Rappelons que "West Side Story" est avant tout une autre version de Roméo et Juliette transposé aux new-yorkais de 1957. La ligne directrice est donc archi connue, le récit repose donc sur la question de l'émigration, puis sur la qualité des morceaux musicaux. Sur le fond plus de six décennies permettent à Spielberg d'être sans doute plus pertinent sur plusieurs choix surtout d'un point de vue déontologique. Sur la forme il est évident que la musique est fidèle et authentique vis à vis de l'oeuvre originale, mais les chorégraphies ont été pensé de façon plus moderne. Sur ce film le chorégraphe est Justin Peck, qui a oeuvré entre autre sur le film "Red Sparrow" (2018) de Francis Lawrence mais qui s'est surtout fait remarqué avec deux courts métrages "Let's Dance" (2018) et "Thank You, New-York" (2020). Dans l'ensemble on n'a pas grand chose à critiquer sur ce film esthétiquement très beau, aux décors et aux costumes magnifiques, une mise en scène plus ou moins inspirée... Sévère sans doute, mais on notera par exemple un abus non négligeable du coucher de soleil et/ou de l'auréole solaire et/ou lumineux pas toujours judicieux et trop systématique, donc peu naturel. Les parties dansées sont magnifiquement chorégraphiées mais manquent un chouïa de fluidité, ou plutôt manque un peu de vision d'ensemble et retire ainsi la flamboyance dont ne manque pas, par exemple, la version originale de 1961. À contrario, le casting est plutôt bien vu, et notamment force est de constater que Ansel Elgort est plus charismatique que Richard Beymer. On constate surtout que Spielberg n'hésite pas à être plus frontal dans la violence, moins "enjolivée", néanmoins on peut aussi se dire que Robert Wise était plus fidèle au Broadway musical ; en effet, dans la version 1961 la chorégraphie incluait et incorporait la violence dans la danse de façon plus artistique alors que Spielberg donne une césure pour insister sur le drame de la violence. Ainsi la grosse différence est que la dimension Broadway est beaucoup plus arasée chez Spielberg. Par contre notons que dans ce film ce sont bien les acteurs qui chantent eux-mêmes les chansons. Cette nouvelle version offre donc une perspective différente à bien des niveaux, on pourrait surtout être déçu par une modernité pas si évidente, un transgenre au casting, des Sharks "réellement" latino restent du politiquement correct, tandis qu'on peut s'étonner un ton un peu délavé pour symbolisé les années 50. Spielberg signe un très beau film, une comédie musicale cohérente pour un très bon moment de cinéma, mais on lui lui préférera quoi qu'il arrive la version de Robert Wise.
Note :