The Power of the Dog (2021) de Jane Campion

par Selenie  -  8 Décembre 2021, 15:59  -  #Critiques de films

Grand retour de la réalisatrice néo-zélandaise qu'on avait pas revu depuis "Bright Star" (2009) ! À l'exception notable de sa série TV "Top of the Lake" (2013-2017). La première femme réalisatrice lauréate d'un Palme d'Or à cannes avec son chef d'oeuvre "La Leçon de Piano" (1993) revient avec l'adaptation du roman éponyme (1967) de Thomas Savage. Ce romancier a souvent pour thème l'histoire des Etats-Unis de la Conquête de l'Ouest vers la modernité de l'"American Way of Life" avec très souvent les ranchs et les Montagnes Rocheuses comme toiles de fond. Etonnament, malgré de nombreux prix ce livre est son premier grand succès, et plus surprenant encore, il s'agit là de la première adaptation d'une de ses oeuvres. Avec ce 8ème long métrage la réalisatrice fait donc son grand retour avec en prime un Lion d'Argent de la meilleure réalisatrice à la Mostra de Venise 2021... Au Montana, 1925, les frères Phil et George Burbank ont repris le ranch familial depuis quelques années. Si les affaires fonctionnent bien, l'entente entre les frères tient à un fil tant ils sont diamétralement opposés, George est calme, introverti, civilisé et bienveillant alors que Phil est cruel, cynique et un vacher jusqu'au bout des ongles. Mais les choses se compliquent lorsque George épouse en secret Rose, veuve d'un suicidé et mère d'un jeune étudiant considéré comme efféminé selon les codes des cowboys. Phil fait alors tout pour faire craquer psychologiquement Rose qui se met alors à boire en cachette... 

Phil est incarné par Benedict Cumberbatch vu récemment dans "Un Espion Ordinaire" (2021) de Dominic Cooke et "Désigné Coupable" (2021) de Kevin MacDonald, il retrouve après "Strictly Criminal" (2015) de Scott Cooper son frère George alias Jesse Plemons omniprésent cette année après "Judas and the Black Messiah" (2021) de Shaka King, "Jungle Cruise" (2021) de Jaune Collet-Serra et "Affamés" (2021) de Scott Cooper. L'épouse Rose est jouée par Kirsten Dunst qu'on n'avait pas vu depuis quatre ans, depuis "Les Figues de l'Ombre" (2017) de Theodore Melfi et "Les Proies" (2017) de Sofia Coppola, et qui est la compagne à la ville de Jesse Plemons ; d'ailleurs c'est ce qui a dû aider puisqu'au départ c'est Elizabeth Moss, actrice justement de la série "Top of the Lake" qui devait avoir le rôle mais qui a dû y renoncer à cause d'un problème de calendrier. Son fils Peter est interprété par Kodi Smit-McPhee révélé dans "La Route" (2009) de John Hillcoat et "Laisse-Moi Entrer" (2010) de Matt Reeves avant d'incarner Diablo dans "X-Men : Apocalypse" (2016) de Bryan Singer et "X-Men : Dark Phoenix" (2019) de Simon Kinberg. Parmi les autres membres du Ranch citons Thomasin McKenzie vue dernièrement dans "Old" (2021) de M. Night Shyamalan et surtout l'envoûtant "Last Night in Soho" (2021) de Edgar Wright, Frances Conroy dont les rôles mémorables sont ceux dans "Aviator" (2004) de Martin Scorcese et "Joker" (2019) de Todd Phillips, Genevieve Lemon actrice récurrente chez Jane Campion qu'on a vu dans "Sweetie" (1989), "La Leçon de Piano" et dans "Holy Smoke" (1999). Dans des rôles plus secondaires citons Adam Beach qui retrouve deux de ses partenaires, Jesse Plemons après "Hostiles" (2017) de Scott Cooper, puis Keith Carradine après "Cowboys et Envahisseurs" (2011) de Jon Favreau, Carradine dont on peut citer dans les dernières années "Les Amants du Texas" (2013) et "The Old Man and the Gun" (2018) tous deux de David Lowery... Notons que la musique est signée de Johnny Greenwood, membre majeur du célèbre groupe  Radiohead, qui a déjà signé plusieurs B.O. et notamment plusieurs films de Paul Thomas Anderson dont le génial "There Will Be Blood" (2007) avec lequel ce nouveau film de Jane Campion n'est pas dénué d'autres points communs ; par exemple le rôle de George/Plemons devait au départ être dévolu à Paul Dano acteur principal aux côtés de Daniel Day-Lewis dans le chef d'oeuvre de Anderson et qui a dû décliné à cause du tournage de "The Batman" (2022) de Matt Reeves. Sur le fond on peut aussi noter que l'histoire des deux films se situe à la même époque, également dans l'Ouest américain, avec des thématiques similaires  (filiation, importance de la terre, de la famille, des croyances... etc...)...

Dans le contexte d'un far-west qui se meurt, qui va bon gré mal gré vers la modernité, et en mettant face à face deux frères que tout oppose on peut aussi citer quelques classiques comme "Duel au Soleil" (1946) de King Vidor, ou encore "Et au Milieu Coule une Rivière" (1992) de Robert Redford et "Légendes d'Automne" (1995) de Edward Zwick. Jane Campion se démarque pourtant de ces derniers pour un drame familial plus âpre, plus shakespearien, sans doute moins ample et moins flamboyant mais plus terrible, plus féroce, plus subtil même jusque dans le vice insidieux qui empoisonne une famille dont le vers était déjà dans le fruit. Un point intéressant est qu'il n'y a pas réellement de conflit entre les frères, il y a surtout des non dits, une incompréhension de l'un et de l'autre mais chacun vaque à ses occupations et tout fonctionne comme ça. Phil est un être qui paraît abject, sans empathie pour quiconque mais la réalisatrice va fissurer cette carapace juste assez pour laisser placer une sorte d'optimisme en l'humain, tandis que George est justement trop sage pour qu'il puisse voir le mal, trop sage aussi pour apporter un peu de complexité. Au fur et à mesure se dessine le drame, sous-jacent d'abord, évident ensuite, jusqu'à ce qu'arrive l'inévitable mais pas de là ou de la façon qu'on aurait pu croire. Le scénario est malin, implacable, le cheminement des uns surprend quand les autres ne font finalement qu'illusion. Phil est-il si fort, si viril que ça ?! George est-il si aveugle que ça ?! Plus décevant niveau personnage est celui des parents Burbank mais surtout celui de la servante joué par Thomasin McKenzie, très sous-exploitée voir effacée. Ce sont les gros bémols du film. Jane Campion n'abuse pas du style contemplatif mais prend le temps de poser une atmosphère singulière, un temps suspendu dans un univers qui semble hors du temps (1925 tout de même, une automobile comme seule indication de modernité), des plans de toute beauté dont certains non dénués de symbolique (le chien de la colline ! Le piano...), une reconstitution d'époque soignée le tout mis en valeur par une photographie magnifique signé de Ari Wegner, jeune artiste à laquelle on doit la phot des films "The Young Lady" (2016) de William Oldroyd et "Le Gang Kelly" (2020) de Justin Kurzel. Jane Campion signe un film sublime, théâtre des grands espaces comme le chant du cygne d'une civilisation, d'un art de vivre avec un côté thriller qui donne une modernité non négligeable à ce western crépusculaire. Un retour en grâce pour la réalisatrice à voir et à conseiller.

 

Note :            

 

17/20

 

Pour info bonus, Note de mon fils de 12 ans :               

12/20
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