Un Héros (2021) de Asghar Farhadi

par Selenie  -  28 Janvier 2022, 13:38  -  #Critiques de films

9ème long métrage du réalisateur iranien Asghar Farhadi depuis "Danse dans la Poussière" (2003), et nouvelle co-production franco-iranienne  sous la responsabilité du producteur Alexandre Mallet-Guy qui produit le cinéaste depuis "Une Séparation" (2011). Pour ce nouveau projet le réalisateur s'est inspiré d'articles de presse racontant l'altruisme de gens ordinaires : "Ces histoires avaient souvent des particularités communes. Un Héros n'a pas été inspiré d'un fait divers spécifique, mais j'avais à l'esprit, en l'écrivant, ces histoires lues dans la presse." Ce film a été présenté au dernier Festival de Cannes, la quatrième fois d'affilée après "Le Passé" (2013), "Le Client" (2016) et "Everybody Knows" (2018). Comme à son habitude Asghar Farhadi est réalisateur-scénariste de son film... Peintre dans la vie de tous les jours, Rahim est pourtant en prison pour ne pas avoir payé sa dette à Bahram, son ex-beau-frère. Lors d'une permission, sa nouvelle fiancée qu'il cache à ses proches en attendant des jours meilleurs, lui propose de payer sa dette avec un sac à main qu'elle a trouvé dans lequel il y a des pièces d'or. Mais il en manque et son créancier refuse si la totalité n'y est pas, ensuite sur les avertissements de sa soeur il décidede retrouver le ou la propriétaire du sac. Lorsque cela est fait, la direction de la prison propose de mettre en avant Rahim et son honnêteté et font venir les médias pour un reportage. Grâce aux médias et aux réseaux sociaux il devient malgré lui un héros et un exemple à suivre de réinsertion. Une collecte a lieu, une médiation aussi, un travail lui est proposé, mais un grain de sable imprévu vont enrayer cette seconde chance...

Rahim est incarné par Amir Jadidi vu dans "I" (2016) et "La Permission" (2018) tous deux de Soheil Beiraghi. Son créancier Barham est interprété par Mohsen Tanabandeh vu notamment dans "Quelques Kiloes de Dattes pour un Enterrement" (2005) de Saman Salur, "Hors Jeu" (2006) de Jafar Panahi et "Muhammad : the Messenger of God" (2015) de Majid Majidi, tandis que sa fille est jouée par Sarina Farhadi, vue un iquement dans deux films, ceux de ses parents, "Dayere Znagi" (2008) de Parisa Bakhtavar et "Une Séparation" (2011) de Asghar Farhadi. Citons la responsable d'association incarnée par Fereshteh Sadre Orafaiy, une des plus grandes actrices iraniennes vue entre autre dans "Le Ballon Blanc" (1995) et "Le Cercle" (2000) tous deux de Jafar Panahi, "Café Transit" (2005) de Kambuzia Partovi, "Au Revoir" (2010) de Mohammad Rasoulof et "Yalda, la Nuit du Pardon" (2019) de Massoud Bakhshi. Puis enfin citons Mohammad Aghebati aperçu dans le drame sur la transexualité "Il ou Elle" (2018) de Anahita Ghazvinizadeh, et l'acteur Ehzan Goodarzi qui retrouve après "Valley of Stars" (2016) de Mani Haghighi son partenaire Amir Jadidi... La plupart du temps, les tournages ont lieu à la capitale Téhéran mais cette fois le réalisateur a préféré situer son histoire dans la ville de Shiraz, il explique : "Il y a à Shiraz de nombreux vestiges historiques, des traces importantes, glorieuses de l'identité iranienne. La raison principale du choix de cette ville est la spécificité de l'intrigue et la caractérisation des personnages. mais il y a une raison secondaire qui était mon souhait de prendre de la distance avec le tumulte de Téhéran." On peut pourtant pas très convaincu par ce choix, d'abord parce qu'il s'agit tout de même d'une ville de plus de 1,7 millions d'habitants, ensuite et surtout parce que le cinéaste ne met jamais à l'honneur, justement, les superbes vestiges de la ville. Mais plus que le contexte géographique, le point important dans le récit est l'importance des médias, et aussi des réseaux sociaux qui semblent devenir incontournable en Iran : "Ce phénomène est assez récent, mais son impact est tel qu'il est devenu difficile de se remémorer ce qu'était la vie avant son apparition. Mon expérience personnelle m'incite à penser que l'omniprésence des réseaux sociaux dans la vie quotidienne est encore plus patente dans la société iranienne qu'ailleurs. Cela peut s'expliquer par la situation socio-politique du pays." C'est un autre point sur lequel on reste un peu sur notre faim.

Le film a malheureusement un gros défaut, choix d'acteur ou direction d'acteur, mais notre héros parvient à nous agacer tant il surjoue sans nuance aucune le petit garçon paumé, hésitant et réservé. Rahim/Jadidi est un homme de 35-40 ans, a été marié, papa, dans le monde du travail depuis un moment, dans un système patriarcal... etc... mais dès qu'il apparaît, qu'il parle, qu'il agit on a toujours l'impression d'avoir à faire à un gamin timoré. Sa naïveté est si évidente, si surjouée qu'on aurait envie de le bousculer (pour être gentil). Même dans les situations hors contexte du sac il n'est jamais crédible. C'est le gros défaut du film. Dans l'histoire c'est d'abord une histoire simple de manipulation, puis ce sont les médias en général qui ont leur importance, tandis que les réseaux sociaux restent finalement très abstraits et leurs importances se résument surtout à un seul événement. Par contre, l'intrigue elle-même est passionnante avec un scénario implacable où le destin se fait impitoyable dans une succession d'événements qui mène inévitablement notre héros dans une voie sans issue. Un peu dans le rôle du bon samaritain malgré lui il se retrouve pris au piège à partir d'une unique décision qui va déclencher une avalanche de choix qui vont s'avérer tous plus malencontreux les uns que les autres. Un piège infernal où un mensonge amène à une vérité et vice versa, et à chaque fois de se dire "j'aurais pas dû". Outre ce "jeu de la fortune" en mode chamboultout, le plus passionnant reste cette description en arrière-plan de la société iranienne. Farhadi prend le temps de filmer l'intérieur du domicile familial, on note une légère mais bien présente émancipation de la femme, le système d'intermédiaires et/ou de compromis, et surtout cette position très ambigu des autorités pénitentiaires. Asghar Farhadi signe un film toujours aussi bien écrit, d'une rare intelligence, au fond plein d'acuité et malin. 

 

Note :            

 

14/20
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :