Belfast (2022) de Kenneth Branagh

par Selenie  -  3 Mars 2022, 11:42  -  #Critiques de films

Après le très médiocre "Artemis Fowl" (2020) et juste avant le trop académique "Mort sur le Nil" (2022) le réalisateur-acteur Kenneth Branagh a pris le temps d'une petite introspection qu'il qualifie lui-même de "auto-fiction" puisant dans son enfance pour raconter une histoire qui fait logiquement de ce film son peuvre la plus personnelle. Ainsi le cinéaste puise dans sa propre vie pour la romancer à l'instar de "Roma "(2018) de Alfonso Cuaron ou de façon moins "familiale" "Douleur et Gloire" (2019) de Pedro Almodovar. Si l'artiste est reconnu comme britannique il est avant tout irlandais, né à Belfast, il a donc vécu son enfance dans les troubles violents de la guerre quasi civile (Tout savoir ICI !) entre l'IRA et le Royaume-Uni opposant catholiques et protestants. Ce film, production britannique, est d'autant plus 100% branaghien que l'artiste assume les casquettes de producteur-réalisateur-scénariste-acteur. Le film est d'ores et déjà lauréat du Golden Globes 2022 du meilleur scénario pour Kenneth Branagh ... Été 1969, Buddy 9 ans est un enfant heureux  au sein d'une famille ouvrière des quartiers nord de Belfast. mais alors que l'homme a marché sur la Lune et que la belle saison fait rêvé la ville se transforme soudain. D'un paradis la misère sociale et les conflits religieux montrent un nouveau visage de la société des adultes. Buddy voit ainsi la ville se transformer entre les barrières, les contrôles de police, la ville tombe petit à petit dans le chaos... 

Précisons que le casting est quasi entièrement composé d'acteurs irlandais, la plupart même issus de Belfast ou ses alentours, et au pire ayant un lien étroit comme Jamie Dornan dont le père est de Belfast. Le jeune Buddy (inspiré donc de Kenneth Branagh jeune) est incarné par Jude Hill dont il s'agit du second rôle après avoir tenu le rôle titre dans le court métrage "Rian" (2021) de Keith O'Grady. Ses parents sont incarnés par Caitriona Balfe remarquée entre autre dans "Insaisissables" (2013) de Louis Leterrier, "Money Monster" (2016) de Jodie Foster et "Les Mans 66" (2019) de James Mangold, puis Jamie Dornan révélé par la trilogie surcôtée "50 Nuances..." (2015-2018) et qui tente de prouver autre chose sans succès malgré des films comme "A Private War" (2018) de Matthew Heineman et "Robin des Bois" (2019) de Otto Bathurst. Les grands-parents sont interprétés par Ciaràn Hinds vu dernièrement dans "Red Sparrow" (2018) de Francis Lawrence, "First Man" (2018) de Damien CHazelle ou "Zack Snyder's Justice League" (2021), et la grande Judi Dench qui retrouve Kenneth Branagh comme réalisateur pour une 6ème fois depuis "Henry V" (1989) et après "Artemis Fowl" après lequel elle retrouve aussi la jeune Lara McDonnell, et enfin citons Gerard Horan également un fidèle du réalisateur depuis "Beaucoup de Bruit pour Rien" (1993) et qui retrouve aussi Kenneth Branagh acteur et Judi Dench après "My Week with Marylin" (2011) de Simon Curtis... Notons que la musique du film devait à l'origine se résumer à une compilation des tubes des sixties, jusqu'à ce que Kenneth Branagh rencontre le musicien irlandais Van Morrison qui finit par signer la grande majorité de la B.O. pour ce qui est seulement sa deuxième expérience cinéma après "Sweet Thing" (2020) de Alexandre Rockwell... D'emblée on remarque avant tout le Noir et Blanc, un NB d'une beauté saisissante qui colle aux souvenirs de bonheur mais qui contraste avec les drames nord-irlandais. Un choix que le réalisateur explique : "J'ai grandi avec le noir et le blanc et la couleur. Plus tard, j'ai appris qu'il existait un "noir & blanc hollywoodien", avec une patine plus soyeuse, plus veloutée qui rendait tout plus glamour. C'est ce que j'ai voulu utiliser parce que, dans le regard d'un enfant de 9 ans, ses parents sont des stars de cinéma et tout est plus grand, plus beau que nature. (...) C'est un paradoxe étrange de gagner en authenticité avec un traitement poétique de l'image. Je voulais que ce "noir et blanc hollywoodien" participe à la mythologie de cette histoire, qu'il donne à l'environnement le plus commun une dimension épique et glamour." Autre choix, mais imposé à l'insu du plein gré, est est le lieu même des événements car, en effet, la pandémie Covid est passée par là, et il n'a donc pas été possible de tourner dans les décors naturels de Belfast. La ville a donc été reconstituée en grande partie dans un énorme terrain vague d'un aéroport. Résultat, on passe sur ce film de la perplexité à l'émotion, de la confusion à la beauté, du génie à la facilité tout le long du film. Mi-figue mi-raisin donc mais qui finit par nous charmer un peu à l'insu de notre plein gré. D'abord Kenneth Branagh nous vante Belfast, mais avant tout il nous vante son Belfast rêvé à hauteur d'enfant, fantasmé de par ses souvenirs d'enfance. Et c'est là qu'on est pris au piège car si on pense à Kenneth Branagh on se dit que son film est un chouïa prétentieux et narcissique, mais si on se replace dans son optique de revoir son Belfast fantasmé il faut aussi comprendre ou du moins accepter le côté surréaliste.

Par exemple il ne filme jamais réellement Belfast qui se résume quasiment à une seule et unique rue qui reste un grand terrain de jeu pour les enfants et même parfois pour les adultes. Mais aussi c'est assez insistant sur la pauvreté des parents qui se contredit par la richesse des cadeaux de Noël (en 69 quand on est pauvre c'était plutôt une orange et une paire de chaussette !). Idem, si on est à hauteur d'enfants le conflit religieux nord-irlandais est une chose qui fait peur mais auquel on ne prête que peu d'attention, ce qui compte c'est une certaine recherche du bonheur et l'importance de la famille. Une famille omniprésente et sans doute idéalisée avec deux bémols, d'abord des grands-parents qui pourraient aussi bien être l'arrière-grand-mère et le grand père et non pas un couple (désolé mais Judi Dench a 20 ans de plus de Ciaran Hinds et ça se voit !), et pourquoi un grand frère aussi peu présent ?! Ainsi tout le récit est surtout vu par les yeux de Buddy, gamin de 9 ans qui est vu par les souvenirs de Kenneth Branagh 61 ans aujourd'hui et qui avoue avoir aussi choisi le Noir et Blanc pour magnifier cette partie de son enfance. C'est bel et bien ce qui sauve le film, car si on sent par moment le "moi je" du cinéaste il n'en demeure pas moins que l'idée du "fantasme positif" de son enfance permet les libertés inhérentes et donc embellir une période qui devait être sans aucun doute plus dure et plus compliquée. Kenneth Branagh signe une chronique sur l'enfance surréaliste dans un écrin de toute beauté, auquel il manque sans doute un peu d'aspérité pour convaincre pleinement, mais le casting est solide et au diapason, le NB est sublime, l'émotion est aussi au rendez-vous pour un moment parfois sous égo mais ça reste un très joli moment cinéma. Note indulgente.

 

Note :                  

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