La Vraie Famille (2022) de Fabien Gorgeart
Après quelques courts métrages remarqués comme "Un Homme à la Mer" (2009) et "Le Sens de l'Orientation" (2012) le réalisateur Fabien Gorgeart avait réussi son passage au long métrage avec le tout aussi remarqué "Diane a les Épaules" (2017). Pour son second film le cinéaste poursuit sur une même thématique, comme un fil conducteur dans sa filmographie comme il l'explique : "Dans les courts métrages, j'explorais la question du lien. Puis, quand je me suis attelé à mon premier long, Diane a les Épaules, il m'est apparu que je pouvais faire un pas de côté : j'y racontais l'histoire d'une femme qui porte un enfant pour d'autres et qui va devoir s'en séparer. Pour Diane le contrat est tacite : porter cet enfant est une mission ; elle décide qu'il ne sera pas le sien. Dans La Vraie Famille, accueillir et élever ce petit garçon est un travail, mais Anne le considère comme son fils. Ces deux films fonctionnent donc en miroir, tels deux doubles inversés. Ma mère, elle, n'avait peut-être pas mesuré l'implication émotionnelle de cette fonction particulière. Le seul conseil qu'elle a reçu des assistantes familiales était : "Aimez cet enfant, mais ne l'aimez pas trop". Le fait est que cette expérience nous a tous beaucoup marqués dans la famille." Ce second film écrit et réalisé par Fabien Gorgeart en solo a déjà été primé sur divers festivals, ainsi que son actrice principale, notamment à celui du Film francophone d'Angoulême...
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Anna et son mari ont deux petits garçons, mais aussi un troisième, Simon qui a aujourd'hui 6 ans et qui a été placé chez eux par l'Assistance Sociale depuis ses 18 mois. La famille est heureuse mais un jour le père biologique de Simon exprime le désir de récupérer son fils. C'est la surprise et surtout un déchirement pour Anna qui considère Simon comme son fils, Simon qui l'a toujours appelé Maman. Alors que Anna et sa famille doit désormais s'organiser avec le père biologique, Anna ne peut se résoudre à la finalité du processus... La maman Anna est incarnée par Mélanie Thierry qui se fait rare sur grand écran dont les deux derniers longs sont le décevant "Da 5 Bloods" (2020) de Spike Lee et le musical décalé "Tralala" (2021) des frères Larrieu. Son époux est interprété par Lyes Salem vu dans "Mascarades" (2008) et "L'Oranais" (2013) de lui-même, vu plus récemment chez d'autres avec entre autre "ADN" (2021) de et avec Maïwenn et "Cigare au Miel" (2021) de Kamir Aïnouz. Le père biologique est joué par Félix Moati vu notamment dans "Gaspard va au Mariage" (2018) de Anthony Cordier, "Le Grand Bain" (2018) de Gilles Lellouche ou "The French Dispatch" (2021) de Wes Anderson. N'oublions pas Simon joué par le jeune Gabriel Pavie dans son premier rôle. Autour d'eux citons encore Florence Muller qui aborde un peu le même sujet après le magnifique "Pupille" (2018) de Jeanne Herry et retrouve Lyes Salem après "Le Mystère Henri Pick" (2019) de Rémi Besançon, puis la trop rare et fabuleuse Dominique Blanc dont les derniers films se résument en plus de cinq ans à "Réparer les Vivants" (2016) de Katell Quillévéré, "Patients" (2017) de Mehdi Idir et Grand Corps Malade et "Guermantes" (2021) de Christophe Honoré... Le film débute avec une famille en vacances, quelques minutes de bonheur simple et ultime qui nous avertit de l'évidence d'un drame qui se confirme soudainement au bout d'une dizaine de minutes quand on comprend que Simon est un enfant placé. À partir de là la famille va se déliter petit à petit, la séparation qui se dessine de façon inéluctable se confirme de plus en plus avec une tension émotionnelle qui va toujours crescendo.
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Au départ on est forcément partie prenante pour cette famille qui a élevé et aimé Simon jusqu'à ce qu'on comprenne que le père biologique n'est pas ce qu'on pourrait imaginer, en effet il n'est pas un père indigne, alcoolique ou violent mais juste un homme endeuillé. Soudain nous ne sommes plus de parti pris, l'empathie pour la famille et surtout la maman se déplace petit à petit vers le papa car la maman n'est pas la maman et a gommé malgré elle la frontière entre sa position professionnelle et son rôle de maman, tandis que le papa se bat contre une mesure peu compréhensible. Le film pose alors des questions essentielles : comment et pourquoi a-t-on pu retirer aussi longtemps un fils à son père ?! Est-ce normale de placer un enfant aussi jeune auprès d'une famille d'accueil dont c'est la première "mission" ?! Est-ce logique de surprotéger autant (chambre individuelle obligatoire ?! Pas de loisirs trop "dangereux"... etc...) un enfant ?! Le sujet est d'un complexité infinie et le réalisateur-scénariste parvient à raconter un drame sans jugement facile, avec des protagonistes aussi fragiles que touchants qui sont en fin de compte victimes collatérales d'un système imparfait. Outre le processus de séparation, on restera perplexe sur certains passages comme le "zizi fantôme", mais on décèle aussi un travail remarquable sur des détails comme cette façon dont la famille se réorganise presque sans s'en rendre compte quand Simon n'est pas là, le rapport entre respect et égoïsme qui donne toute l'ambiguité des tensions parentales, ce petit travelling à hauteur d'enfant dont la fluidité se confronte au séquence plus statique des parents. Fabien Gorgeart signe un film intelligent, d'une rare subtilité et d'une émotion aussi terrible que délicate.
Note :