Un Autre Monde (2022) de Stephane Brizé

par Selenie  -  17 Février 2022, 14:14  -  #Critiques de films

9ème film de Stephane Brizé (pour en savoir plus ICI) depuis "Le Bleu des Villes" (1999), mais surtout on peut considérer qu'il s'agit du 3ème d'une trilogie sur le monde du travail après "La Loi du Marché" (2015) et "En Guerre" (2018). Pour ce 3ème opus le cinéaste explique : "Le film met en scène la perte de sens de la vie d'un cadre d'entreprise qui, en même temps que son mariage s'effondre, a de plus en plus de difficultés à trouver de cohérence dans un système qu'il sert pourtant depuis des années." Le réalisateur-scénariste co-signe le scénario avec Olivier Gorce avec qui il avait déjà écrit les deux autres films sur ce monde du travail. Rappelons que la plupart des ses autres films avaient été écrit avec Florence Vignon. Olivier Gorce quant à lui a également écrit pour d'autres dont "De Bon Matin" (2011) de Jean-Marc Moutout et "Persona Non Grata" (2019) de et avec Roschdy Zem. Le duo Brizé-Gorce ont rencontré de nombreux cadres pour étoffer leur scénario... Philippe, père de famille et cadre performant au sein d'un groupe industriel, est en train de se séparer de sa femme au moment où il commence à perdre pied au niveau professionnel. Plus ça va plus il ne comprend plus les injonctions incohérentes à son travail et bientôt il devient impossible de concilier crise conjugale et crise professionnelle...

Ce père cadre est incarné par Vincent Lindon, vu récemment dans "Enquête sur un Scandale d'Etat" (2022) de Thierry De Peretti, mais surtout acteur fétiche du réalisateur ayant joué dans les deux précédents films de la trilogie cités plus haut, qui était aussi dans "Quelques Heures de Printemps" (2012) et "Mademoiselle Chambon" (2009) après lequel il retrouve aussi Sandrine Kiberlain, ex-conjointe  la ville avec qui il est resté en bon terme, qui vient de réaliser son premier long métrage "Une Jeune Fille qui va Bien" (2022) et qui joue là pour la 5ème fois avec son ex-compagnon après aussi "L'Irrésolu" (1994) de Jean-Pierre Ronssin, "Le Septième Ciel" (1997) de Benoît Jacquot et "Filles Uniques" (2003) de Pierre Jolivet. L'actrice retrouve après "Une Jeune Fille qui va Bien" le jeune Anthony Bajon vu dernièrement dans "Les Méchants" (2021) de Mouloud Achour-Dominique Baumar et "La Troisième Guerre" (2021) de Giovanni Aloi. Citons une autre cadre interprété par Marie Drucker, nièce de Michel et cousine de l'actrice Léa Drucker qui joue là son premier rôle au cinéma après une carrière de présentatrice télé, sans doute aidée par Vincent Lindon avec qui elle est marraine de l'association "Un Rien c'est Tout". Ensuite citons Joyce Bibring aperçue dans "Pleure en Silence" (2010) de Gabriel Biggs et "Le Distributeur Automatique d'Aurores Boréales" (2016) de Mathias Malzieu, ainsi que Christophe Rossignon qui retrouve Brizé et Lindon après "La Loi du Marché" et "En Guerre" et vu depuis notamment dans "Au Nom de la Terre" (2019) de Edouard Bergeon après quoi il retrouve aussi Anthony Bajon puis plus récemment "Délicieux" (2021) de Eric Besnard... Le film débute comme une marche funèbre sur une succession de photographie familiale, on pense à un deuil terrible ayant touché la famille. C'est presque ça, juste après on enterre un mariage mais très vite cette famille qui se délite laisse place à un monde professionnel dans tout ce qu'il y a de plus vil, le capitalisme dans toutes ses contradictions et qui nous est désigné comme le mal, la "vade retro satana" de toute une société comme Stephane Brizé l'a déjà montré dans ses précédents films.

Mais on constate vite que le film se focalise essentiellement sur les déboires ou les soucis professionnels de ce haut cadre, alors qu'on aurait pu à s'attendre à un parallèle plus intime avec son couple qui se meurt en même temps que ses illusions. Il n'en est rien, le couple est en filigrane, à peine traité avec une Sandrine Kiberlain touchante mais sous-exploitée. Dommage... Par contre, on a peur lorsque le fils a lui aussi un problème, on s'attend alors à l'écueil du "lourd", le drame qui s'ajoute au drame qui s'ajoute à un autre, comme le réalisateur avait pu le faire avec la prison dans "Quelques Heures de Printemps" ou l'handicap dans "La Loi du Marché". Mais cette fois ce n'est pas gratuit ou facile, le parallèle n'est pas avec l'épouse mais se fait avec le fils, le surmenage d'abord, la marionnette ensuite. C'est malin, mais surtout presque inattendu car quand on est cadre cinquantenaire au bord du burn-out comment imaginé que son jeune fils le copie à l'insu de son plein gré ?! Ainsi le cinéaste occulte la partie sentimentale et conjugale un peu trop sans doute pour revenir au sujet de fond, à savoir le système vicié de l'économie de marché avec ses marionnettes en bas de la pyramide. Vincent Lindon est une fois de plus impérial et on mettra un point à Marie Drucker impeccable dans un rôle taillé sur mesure. Stephane Brizé prouve encore qu'il est le Costa Gravas de l'éco-social. Un film plain d'acuité, lucide et pertinent avec une parfaite justesse des émotions.

 

Note :      

 

15/20
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