Fear and Desire (1953) de Stanley Kubrick

par Selenie  -  5 Septembre 2022, 08:44  -  #Critiques de films

Premier long métrage de Stanley Kubrick, alors jeune photographe pour le magazine Look et cinéphile assidu il décide de passer le cap vers le cinéma. Pour se faire il demande l'aide d'un oncle pharmacien, du père qui vide son assurance-vie... etc... Une famille et des amis qui lui permettent de réunir un budget total de 75 000 dollars. Au départ, aux fins d'économie le film devait être muet, et le jeune cinéaste décide d'assumer plusieurs postes réalisateur-scénariste, cadreur, ingénieur du son, monteur. Et malgré cela il fera des erreurs comme de ne pas tourner image et son ensemble ce qui va augmenter les besoins financiers à près de 20 000 dollars. Pour le scénario il fait appel à un ami Howard Sackler qui sera connu plus tard pour co-écrire le scénario de "Les Dents de la Mer" (1975) de Steven Spielberg. L'idée de départ est l'histoire d'un groupe de soldats chargés d'éliminer une troupe ennemie avec à la fin les soldats qui voient leurs propres visages dans ceux de leurs ennemis. Résultat, le film est un échec public mais reçoit néanmoins quelques bonnes critiques qui l'encourage à quitter son job chez Look et à persévérer dans le cinéma. D'abord fier de lui, Stanley Kubrick finit par désavouer le film, le qualifiant entre autre de "tentative inepte et prétentieuse" ou de "dessin d'enfant sur une porte de frigo". A tel point que le cinéaste fera tout pour que le film ne soit plus jamais vu. C'était sans compter sur la découverte à la fin des années 80 du négatif original dans un entrepôt de stockage de pellicules à Porto Rico (un mystère qui ne s'invente pas !). Le film se retrouve à la Bibliothèque Nationale audiovisuel de Virginie en 1993, puis le film connaît une restauration en 2012 ce qui permet aujourd'hui de voir ce film sauvé in extremis de la disparition... 

Dans une région inconnue, de nos jours, au sein d'une guerre abstraite, quatre soldats qui ont échoué derrière les lignes ennemies cherchent d'abord un moyen de regagner leur camps avant de décider d'éliminer avant une troupe ennemie qui ont à leur tête un général. Mais le danger et la peur sont des ennemis tout aussi redoutable surtout quand on est isolé loin de tout... Le lieutenant est interprété par Kenneth Harp, acteur méconnu ayant surtout joué ensuite pour la télévision à l'exception de quelques apparitions non créditées sur grand écran comme pour "L'Attaque du Fort Douglas" (1956) de Kurt Neumann et "Divorce à l'Américaine" (1967) de Bud Yorkin, à l'instar de son compère Stephen Coit, aussi peu connu et et surtout aperçu à la télévision à l'exception des rôles non crédités dans "L'Intrépide" (1952) de Stanley Donen, "Le Gaucher" (1958) de Arthur Penn ou "L'Arrangement" (1969) de Elia Kazan. Les plus connus sont le sergent joué par Frank Silvera vu entre autre dans "Viva Zapata !" (1952) de Elia Kazan, "Les Révoltés du Bounty" (1962) de Lewis Milestone ou "Hombre" (1967) de Martin Ritt et qui retrouvera surtout Kubrick pour son second film "Le Baiser du Tueur" (1955), puis un "bleu" incarné par un certain Paul Mazursky qui débutait comme acteur, vu ensuite dans "Graine de Violence" (1955) de Richard Brooks, puis essentiellement à la télévision avant de passer à la réalisation avec des films comme "Alex in Wonderland" (1970), "Le Clochard de Beverly Hills" (1986) ou "Ma Femme me Tue" (1996), tout en faisant encore l'acteur de temps à autre pour lui-même ou les autres comme dans "Série Noire pour une Nuit Blanche" (1985) de John Landis ou "L'Impasse" (1994) de Brian De Palma. Et enfin citons le rôle féminin principal incarné par Virginia Leith débutante vue ensuite dans des films comme "La Veuve Noire" (1954) de Nunnally Johnson, "Les Inconnus dans la Ville" (1955) de Richard Fleischer, "La Plume Blanche" (1955) de Robert D. Webb, "Baiser Mortel" (1956) de Gerd Oswald ou "Le Cerveau qui ne voulait pas Mourir" (1962) de Joseph Green... Le film ne dure que 1h, soit un moyen métrage qui a été distribué par la société de Joseph Burstyn spécialiste des films indépendants et/ou étrangers. La durée a permis une promotion qui jouait la carte plus ou moins avoué d'un parfum de scandale alors que le film était diffusé en salles avec un autre film qui était "L'Enjôleuse" (1953) de Luis Bunuel.

Kubrick imprime d'emblée une ambition certaine, d'abord par un twist original et moral, ensuite par son application sur la photographie. Plusieurs plans sont dignes d'une photo d'art et accroche visuellement le regard. La dramaturgie inhérente au syndrôme post-traumatique, les horreurs guerrière, la pseudo-philosophie du soldat, des thèmes que le cinéaste abordera de nouveaux dans "Les Sentiers de la Gloire" (1957) ou "Full Metal Jacket" (1987). Mais le film a aussi des défauts gênants. D'abord le jeu d'acteur, tous ne sont pas très bons notamment Kenneth Harp alias le lieutenant lisse et inexpressif, et Stephen Coit quasi invisible. On peut regretter que le rôle féminin soit à la fois si central et si sous-exploité. Mais le plus décevant est cette césure où la folie du soldat le "bleu" joué par Paul Mazursky devienne fou aussi vite brusquement, à peine se retrouve-t-il seul que la démence devient flagrante ; pas d'évolution, pas de déclic, et psychologiquement trop caricatural. Techniquement on tique sur la post-synchronisation, erreur avouée et assumée par Kubrick lui-même. Mais le jeune Kubrick offre une histoire qui intrigue, assez fascinante pour sauver le film, grâce à une guerre aussi mystérieuse qu'hypnotique et quelques idées géniales qui compensent des erreurs de débutant. Le film reste le premier coup d'essai d'un des plus grands (LE plus grand ?!) du 7ème Art et rien que pour ça le film est à voir et à conseiller. 

 

Note :                

14/20
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