Mort de Môssieur Bertrand Blier !

par Selenie  -  22 Janvier 2025, 01:44  -  #Décès de star - Bio

Un monument du cinéma français nous quitte, enfant de la balle Bertrand Blier est mort ce 20 janvier 2025 à l'âge de 85 ans.

Né en 1939 à Boulogne-Billancourt, le jeune Bertrand est le fils de Bernard Blier alors vedette du cinéma populaire français, et de Giselle Brunet. Nous savons finalement peu de choses sur son enfance, il faut donc conseiller la dernière oeuvre du cinéaste, son autobiographie sur son enfance "Fragile des Bronches" (2022). Il débute grâce aux connaissance de son père et devient assitant-réalisateur sur plusieurs films de Georges Lautner entre 1960 et 1962.

 

Il débute en solo en signant le documentaire "Hitler, Connais pas" (1963) qui connaît un joli succès d'estime. Mais après le court métrage "La Grimace" (1966) son premier long métrage de fiction est "Si j'étais un Espion" (1967 - ci-dessous) où il fait jouer son propre père Bernard Blier. malheureusement le film est un échec cuisant malgré un bel accueil critique. 

SI J'ÉTAIS UN ESPION - Festival de Cannes

Il faut quelques années pour se remettre avec entre autre un scénario pour un autre avec "Laisse Aller, c'est une Valse" (1970) de Georges Lautner. Puis il revient avec un projet aussi original qu'ambitieux, à savoir adapter son propre roman sortit en 1972 avec "Les Valseuses" (1974 - ci-dessous) avec un casting très jeune dont les deux têtes d'affiche Gérard Depardieu et Patrick Dewaere, mais aussi Miou-Miou et Isabelle Huppert alors en début de carrière. Cette comédie satirique à l'humour noir et caustique est un grand succès surprise et engrange plus de 5,7 millions d'entrées France et mieux encore, la postérité va en faire un grand film culte.

Ce succès populaire lui permet de se lancer aussitôt sur un e autre comédie mordante avec "Calmos" (1976 - ci-dessous) avec un autre duo joué par Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort et y retrouve son père mais aussi Brigitte Fossey ou Gérard Jugnot qui étaient dans "Les Valseuses" (1974). Mais cette fois, ce film sur deux hommes qui abhorrent les femmes reçoit des critiques sont assassines, accusant le film d'être réactionnaire, misogyne voir même pornographique. Le film ne fait que 740000 entrées France. Le film aura plus tard ses fans mais avec les moeurs qui évoluent son statut de film misogyne perdure. Blier avouera : "Calmos est la grosse connerie de ma vie. Le scénario était bon, mais je n'avais, pour le tourner, nil e fric, ni les acteurs."

Cette fois il ne reste pas sur cet échec, réunit à nouveau son duo fétiche Depardieu-Dewaere, mais cette fois sans Miou-Miou qui vient de se séparer de Dewaere et est donc remplacée par Carole Laure, ils retrouvent Sylvie Joly et sont accompagnés cette fois de Michel Serrault pour "Préparez vos Mouchoirs" (1978 - ci-dessous) une comédie toujours caustique mais moins en mode choc frontal. Résultat les critiques sont excellentes, le film reste un succès modeste avec 1,3 millions d'entrées France mais en prime obtient le César de la meilleure musique originale pour Georges Delerue et surtout un Oscar du meilleur film étranger.

Il enchaîne avec "Buffet Froid" (1979 - ci-dessous) qu'il écrit d'après un rêve récurrent que le cinéaste faisait avec pour résultat une comédie noire mais également aussi surréaliste qu'absurde. Il réunit pour ce film Gérard Depardieu, Bernard Blier, Michel Serrault, puis Carole Bouquet et Jean Carmet. Les critiques sont très bonnes mais le genre du film est trop bizarre pour le public avec seulement  777000 entrées France. Et pourtant, le film reçoit tout de même le César du meilleur scénario, et surtout avec le temps le film est souvent considéré comme l'un des 2-3 meilleurs films du réalisateur.

Juste après il tente sa chance comme avec "Les Valseuses" et adapte son second roman pour "Beau-Père" (1981 - ci-dessous) où il retrouve Patrick Dewaere pour une histoire que l'auteur-réalisateur a voulu comme "une ode au beau sexe et à la féminité dans sa forme la plus pure." Le film est un drame plus "sérieux" mais aussi plus tendre que ses précédents films et aborde des sujets tout aussi plus sérieux comme le deuil ou les relations inter-générationnelles. Le film reçoit un bel accueil critique et le public se rend en salles pour atteindre 1,2 millions d'entrées France mais la réception reste tiède, le réalisateur mettra en cause l'affiche qui montre les seins de la jeune Ariel Besse ce qui aurait freiné une partie du public. D'ailleurs les parentes de la jeune actrice ont porté plainte contre les producteurs pour cette affiche mais ont été débouté. Les résultats décevants du film ont également touché Patrick Dewaere qui l'a pris comme un échec personnel.

Le prochain film est une comédie mais en coulisses il s'inspire de faits réels qui vont influer sur le tournage en aval comme en amont. En effet, le film doit se faire avec Coluche, Miou-Miou et Patrick Dewaere mais alors que le film est en préparation Elsa, l'épouse de Dewaere le quitte pour Coluche ce qui amène Dewaere au suicide. Miou-Miou refuse alors le rôle et Coluche accepte à l'insu de son plein gré poussé par son impresario. L'histoire du triangle amoureux prend alors logiquement et tragiquement une dimension particulière. Coluche tourne finalement le film "La Femme de mon Pote" (1983 - ci-dessous) avec Isabelle Huppert et Thierry Lhermitte. Pour Coluche le tournage reste douloureux et s'éloignera ensuite en plus de ses copains du café-théâtre. Néanmoins, le film amène près de 1,5 millions d'entrées France, et combien pour de mauvaises raisons...

 

Le réalisateur-scénariste enchaîne aussitôt sur une histoire d'amour, une comédie dramatique avec Alain Delon et Nathalie Baye. Le film est plus classique qu'à l'accoutumé pour le cinéaste mais l'accueil est mitigé aussi bien critique que public avec seulement 880000 entrées France mais Blier obtient le César du meilleur scénario. Cet échec pousse Bertrand Blier à revenir vers son genre de prédilection et signe une comédie de moeurs à l'humour noir et cynique avec "Tenue de Soirée" (1986) où il retrouve Gérard Depardieu, Miou-Miou et Michel Blanc. A contrario de l'affiche de "Beau-Père" (1981) cette fois c'est sans aucun doute l'affiche qui a aidé au succès commercial avec la tagline "Putain de Film !" inscrit en quatre fois plus gros que le titre. La crudité du film, inédite à l'époque a aussi nourri le bouche-à-oreille. Le film reçoit des critiques excellentes et le public va le voir pour atteindre plus de 3,1 millions d'entrées France soit le plus gros succès du cinéaste après "Les Valseuses" (1974). En prime le film est nommé 8 fois aux Césars mais sans remporter de statuettes, et surtout Michel Blanc reçoit la Prix d'interprétation au Festival de Cannes 1986 (ex-aequo avec Bob Hoskins pour "Mona Lisa" de Neil Jordan).

 

Il revient avec un nouveau triangle amoureux avec "Trop Belle pour Toi" (1989 - ci-dessous) où il pousse le concept du contre-emploi, Josiane Balasko étant celle qui pique Gérard Depardieu à Carole Bouquet. Le film est un nouveau succès critique et public et ce malgré que Blier déclare qu'il s'agit de son "seul film sentimental, convenable et plat, (...) d'ailleurs Claude Sautet en fit l'éloge". Néanmoins, le film reçoit le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 1989, et obtient 5 Césars dont les trois majeurs pour Blier. Le film engrange également au box-office plus de 2 millions d'entrées France.

Avec le prochain film il propose cette fois un duo au féminin incarné par Charlotte Gainsbourg et Anouk Grinberg entouré de Michel Blanc, Jean Carmet et Annie Girardot. Certains critiques lui reproche d'être un simple "Valseuses au féminin" mais "Merci la Vie" (1991 - ci-dessous) est globalement bien reçu, atteint plus de 1 million d'entrées France et en prime, tout de même, un joli César 1992 du meilleur second rôle pour Jean Carmet.

Ce film marque pourtant une césure dans la carrière du cinéaste. Outre que Anouk Grinberg devient sa compagne et sa muse, plus jamais le cinéaste ne va connaître un gros succès populaire. Le cinéaste fait pour la première l'acteur dans "Ma Vie est un Enfer" (1991) de et avec Josiane Balasko puis coécrit le scénario avec Jacques Audiard du film "Grosse Fatigue" (1994) de et avec Michel Blanc avant de réaliser un drame social sur le destin d'une femme issue d'un milieu modeste incarnée par Anouk Grinberg dans "Un, Deux, Trois, Soleil" (1993 - ci-dessous) avec aussi Olivier Martinez, Jean-Pierre Marielle et Marcello Mastroianni. Le film reçoit un bel accueil critique et est multi-primé à la Mostra de Venise 1993 (musique, Blier et Mastroianni) et au César 1994 (musique et Martinez) malheureusement le public ne suit pas avec un box-office de moins de 420000 entrées France soit son plus gros échec depuis son premier long métrage de fiction.

Il enchaîne avec un autre drame sur des marginaux avec "Mon Homme" (1996 - ci-dessous) avec Anouk Grinberg et Gérard Lanvin où une prostituée recueille un SDF, en tombe amoureuse et lui propose finalement de devenir son mac. Le film est un nouvel échec et semble confirmé le désamour du public en recueillant "seulement" 470000 entrées France au box-office. Peu de temps après il se sépare de Anouk Grinberg.

Le cinéaste se remet alors au théâtre et écrit "Les Côtelettes" (1997) mis en scène par Bernard Murat, puis écrit un nouveau roman avec "Existe en Blanc" (1998) qui est éreinté par la critique. Il revient au cinéma avec un film au titre évocateur "Les Acteurs" (2000 - ci-dessous photo promotionnelle) où il réunit pas moins d'une quarantaine d'acteurs (ainsi que lui-même) parmi les plus connus et reconnus de l'époque pour une mise en abyme du métier qu'il vénère tant. D'ailleurs le film se termine avec un hommage à Pierre Brasseur et évidemment à son père Bernard Blier. Néanmoins, malgré l'ambition et l'hommage le film est un nouvel échec autant critique que public en obtenant au box-office un nouvelle baisse avec seulement 415000 entrées France.

Il adapte sa propre pièce pour le grand écran avec "Les Côtelettes" (2003 - ci-dessous) où il retrouve les mêmes interprètes Philippe Noiret, Michel Bouquet et Farida Rahouadj qui devient par là même sa nouvelle compagne. Avec ce film il revient au surréalisme absurde de ses débuts avec notamment le personnage de La Mort incarnée par Catherine Hiegel. Le film passe quasi inaperçu et devient un de ses pires échecs avec seulement 95000 entrées France au box-office.

Les Côtelettes de Bertrand Blier (2003) - Unifrance

Après un passage devant la caméra dans "Pédale Dure" (2004) de Bagriel Aghion il imagine ensuite une nouvelle variation autour du triangle amoureux dans "Combien tu m'Aimes ?" (2005 - ci-dessous)  où deux hommes se disputent une prostituée, soit Bernard Campan et Gérard Depardieu et la sublime Monica Bellucci au centre. L'accueil est une fois de plus bien tiède pour un box-office qui peine à atteindre les 540000 entrées France. 

Il voit son film "Tenue de Soirée" adapté au théâtre en 2006, apparaît dans le film "Le Bal des Actrices" (2009) de et avec Maïwenn, puis écrit une nouvelle pièce avec "Désolé pour la moquette" (2010) qu'il met lui-même en scène, puis revient au cinéma avec un retour aux sources et une comédie noire et cynique avec "Le Bruit des Glaçons" (2010 - ci-dessous) où l'écrivain à la dérive joué par Jean Dujardin rencontre son cancer incarné par Albert Dupontel. Le film signe comme une résurrection inattendue mais méritée avec un bel accueil critique dont plusieurs prix dont un Label Europa Cinemas à la Mostra de Venise 2010 ou un César du meilleur second rôle pour Anne Alvaro, puis un box-office à 743000 entrées France ce qui est un joli score au vu des dernières années.

Le Bruit des glaçons

Malgré ce retour il faut attendre plusieurs années pour son nouveau et ultime film, "Convoi Exceptionnel" (2019 - ci-dessous sur le tournage) avec Gérard Depardieu pour leur 8ème collaboration et Christian Clavier pour sa première avec Blier. Avec ce film le cinéaste renoue avec le surréalisme et l'absurde dans un scénario original où un bourgeois et un SDF se retrouvent dans un monde où les destins sont liés par des scénarios sur papiers qui leur sont transmis. Malgré le casting bankable et une idée saugrenue et singulière le film marque un nouvel et dernier échec cuisant pour le cinéaste, le film ne réunissant qu'à peine plus de 122000 entrées France.

Bertrand Blier a été marié à 20 ans qui ne durera pas. Il se marie une seconde fois avec qui il a une fille (Béatrice), puis il aura un fils (Leonard) avec sa muse Anouk Grinberg, puis enfin une fille (Leïla) au début des années 2000 avec sa dernière compagne l'actrice Farida Rahouadj. 

Bertrand Blier qui sera toujours réalisateur-scénariste de ses films, aura marqué plus d'un demi-siècle d'un cinéma anticonformiste, subversif et provocateur qui a réveillé ne serait-ce que de temps en temps un cinéma lisse et commercial. Et si il a connu quelques échecs sévères ce n'est souvent pas justifié ou mérité. Son modèle avoué était Luis Bunuel, mais il avouait une influence importante du scénariste et dialoguiste Michel Audiard, le fait que son père ait joué une vingtaine de film sous sa plume n'est sans doute pas pour rien. D'autant que par ailleurs, le cinéaste cité plus tard Jacques Audiard, autre fils et enfant de la balle, comme son réalisateur vivant favori.

 

Bertrand Blier, réalisateur-scénariste atypique et iconoclaste va manquer assurément à notre cinéma. Il meurt à son domicile parisien ce lundi 20 janvier 2025 à l'âge de 85 ans.

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