Ulysse (1954) de Mario Camerini
Le cinéma italien est à son apogée, et c'est aussi grâce à deux hommes, deux nababs rois de Cinecitta, Dino De laurentiis et Carlo Ponti producteurs lauréats de l'Oscar du meilleur film étranger grâce au chef d'oeuvre "La Strada" (1954) de Federico Fellini qui leur donne des ailes et les rends encore plus ambitieux. Ils décident de lancer une superproduction avec un peplum en portant sur grand écran le fameux "Odyssée" (fin VIIIe siècle avant J.C.) de Homère. Ils choisissent un réalisateur expérimenté qu'ils connaissent bien, Mario Camerini, réalisateur-scénariste qui écrit le scénario avec de multiples mains avec des auteurs américains et pas des moindres avec Ben Hecht un des plus connus de Hollywood depuis "Scarface" (1932) de Howard Hawks, Hugh Gray beaucoup moins connu mais qui retrouvera l'époque de la Guerre de Troie pour "Hélène de Troie" (1956) de Robert Wise, ainsi que le romancier Irwin Shaw qui retrouvera avec "Barrage contre le Pacifique" (1958) de René Clément son confrère Ivo Perilli, fidèle de Camerini sur pas moins de 14 films depuis "Je vous aimerai Toujours" (1934), et qui sera aussi dans une autre armée de scribes pour une autre superproduction, américaine celle-là, avec "Guerre et Paix" (1956) de King Vidor co-écrit aussi avec Ennio de Concini qui retrouvera Camerini juste après dans "Par-dessus les Moulins" (1955), et signera encore quelques peplums dont "Les Derniers Jours de Pompéi" (1959) et "Le Colosse de Rhodes" (1961) les deux films qui lanceront un certain Sergio Leone, puis n'oublions un autre scénariste avec Franco Brusati qui retrouve également Camerini une 4ème fois et qui signera plus tard "Roméo & Juliette" (1968) de Franco Zeffirelli ou "Le Jardin des Finzi-Contini" (1970) de Vittorio De Sica. Afin de s'assurer une diffusion internationale maximale, le duo De Laurentiis-Ponti s'associe à la major Paramount, d'où la participation de scénaristes américains... Parti à la Guerre de Troie, Ulysse se perd en mer piégé par Poséïdon qu'il a outragé. Son épouse Pénélope l'attend avec amour, mais les années passent et elle a dû trouver un stratagème pour repousser les nombreux prétendants qui sont ravis d'imaginer Ulysse définitivement disparu. Alors que Pénélope a de plus en plus de mal à se préserver des hommes qui lui imposent de choisir un nouvel époux, Ulysse vit de nombreuses aventures en tentant de survivre et de revenir auprès de sa femme et de son trône...
Vu l'ambition affichée des deux producteurs, la tête d'affiche se doit d'être une star mondiale, ainsi le rôle titre est incarné par Kirk Douglas, ausommet avec des chefs d'oeuvre comme "La Captive aux Yeux Clairs" (1952) de Howards Hawks ou "Les Ensorcelés" (1952) de Vincente Minnelli, et qui reviendra à la toge antique avec "Spartacus" (1960) de Stanley Kubrick. Son épouse est interprétée par Silvana Mangano révélée dans "Riz Amer" (1949) de Giuseppe De Santis avant de devenir madame Dino De Laurentiis, devant par la suite une des plus grandes stars italiennes de sa génération retrouvant entre autre dans "Barabbas" (1961) de Richard Fleischer son partenaire Anthony Quinn qui venait de connaître un succès personnel auprès de ses producteurs avec "La Strada" (1954) retrouvant une partie de l'équipe pour "Attila Fléau de Dieu" (1954) de Pietro Francisci, et avant de retrouver Kirk Douglas dans "La Vie Passionnée de Vincent Van Gogh" (1956) de Vincente Minnelli et "Le Dernier Train de Gun Hill" (1959) de John Sturges. Le reste du casting est surtout italien ou français, citons la sublime Rossana Podesta qui retrouvera l'Antiquité dans "Hélène de Troie" (1956) de Robert Wise ou "Sodome et Gomorrhe" (1962) de Robert Aldrich, Jacques Dumesnil qui retrouve Silvana Mangano après "Anna" (1951) de Alberto Lattuada mais qui sera surtout connu pour son rôle dans "Les Tontons Flingueurs" (1963) de Georges Lautner, Louise Sylvievue entre autre dans "Le Corbeau" (1943) de Henri-George Clouzot ou "Le Petit Monde de Don Camillo" (1951) de Julien Duvivier, elle retrouve après "Sous le Ciel de Paris" (1951) de Julien Duvivier l'acteur Daniel Ivernel vu plus tard dans "L'Attentat" (1972) de Yves Boisset ou "Le Corps de mon Ennemi" (1976) de Henri Verneuil, n'oublions pas Télémaque fils d'Ulysse joué par Franco Interlenghi (époux de la star Antonella Lualdi en 1955) vu juste avant dans "Les Vitelloni" (1953) de Federico Fellini et "La Comtesse aux Pieds Nus" (1954) de J.L. Mankiewicz. Le reste du casting est essentiellement assuré par des acteurs italiens plus ou moins populaires avec pêle-mêle Elena Zareschi, Piero Lulli, Andrea Bosic, Piero Pastore, Riccardo Garrone, Alberto Lupo ou encore Benito Stefanelli... Les deux nababs italiens ont mis les moyens, gros castings, des décors majestueux même s'ils n'ont pas pu tourner sur Ithaque pour cause de séïsme, des costumes magnifiques dont surtout les tenues de Pénélope/Mangano qui ont été conçu par la célèbre Madame Grès (dont il ne reste plus aujourd'hui que le parfum portant son nom), sans compter des effets visuels impressionnants (pour l'époque forcément !) dont un cyclope de 10 mètres, tandis que les armures et les armes ont été prêtées par les musées de Athènes, Naples et Rome !
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Au départ on apprécie la construction narrative, mêlant flash-backs avec le parallèle entre le récit de Pénélope et ses prétendants et le périple de Ulysse. Puis finalement, au fur et à mesure on comprend que la partie Pénélope est redondante, sans évolution essentielle et finit par vampiriser la partie Ulysse qui aurait dû être l'essentiel du film de "seulement" 1h40. En effet, Ulysse et ses rencontres sont tout ce qu'on veut, des sirènes (qu'on ne voit malheureusement pas !) au Cyclope en passant par Nausicaa/Podesta et Circé/Mangano on plonge avec plaisir dans le kitsh de l'Âge d'Or du peplum italien. Les allers-retours constants entre Ithaque (Pénélope et ses prétendants) et les pièges de Poséïdon (Ulysse) coupent tout élan pour un minimum de souffle épique. Dommage. On sourit aussi à quelques maladresses comme un Cyclope qui ne connaît pas le vin malgré l'évidence du contraire ou un marin qui ne doit rien entendre mais qui annonce qu'on entend plus les sirènes (?!). Mais Silvana Mangano est sublime, surtout Kirk Douglas est une fois de plus impérial, les aventures de Ulysse façon les 12 travaux d'Hercule (autre héros avant une rencontre dans "Ulysse contre Hercule" en 1962 de Mario Caiano) composent une iconographie au charme certain. Assurément pas une franche réussite (il aurait fallu moins d'aller-retour dans le temps, se focaliser sur Ulysse et ses déboires) ce peplum reste un des meilleurs de la phase italienne des années 50-60).
Note :