Mort d'un géant : Michel Bouquet

par Selenie  -  13 Avril 2022, 16:38  -  #Critiques de films

Un géant nous a quitté, l'acteur Michel Bouquet est mort aujourd'hui 13 avril 2022 à l'âge de 96 ans.

Né en 1925 à Paris d'un père officier de l'armée et petit-fils de cordonnier. Enfant réservé il est pourtant envoyé avec ses trois frères en pension durant sept années qu'il considère comme des années difficiles, sa timidité étant un fardeau face à la cruauté des autres élèves. Après ses études, alors que la guerre a commencé et que son  père est prisonnier de guarre, il aide sa mère en multipliant les petits boulots comme apprenti pâtissier, manutentionnaire, employé de banque... etc... En 1943, alors que sa mère le croit à la messe le jeune Michel se rend chez Maurice Escande, sociétaire de la Comédie Française qu'il convainc de le laisser suivre des cours au Conservatoire d'Art Dramatique où il côtoie Gérard Philippe.

 

Il débute officiellement sur les planches avec la pièce "La Première Etape" (1944) Il devient un proche de Jean Anouilh et André Barsacq au théâtre de l'Atelier, puis de Jean Vilar au TNP et Festival d'Avignon. Il enchaîne les pièces jusqu'à son premier rôle principal dans "Roméo et Jeannette" (1946) de Jean Anouilh. Comme souvent les planches amènent au plateau de cinéma. Ainsi il postule pour son premier rôle de cinéma pour le film "Monsieur Vincent" (1947 - ci-dessous) de Maurice Cloche pour un second rôle notamment aux côtés de Pierre Fresnay et Jean Carmet.

Désormais il alterne constamment et régulièrement entre théâtre et cinéma, et ce même si il affirmera toujours préféré les planches. Il apparaît surtout dans des seconds rôles comme dans "Manon" (1948) de Henri-Georges Clouzot, "La Tour de Nesle" (1955) de Abel Gance, "Katia" (1959) de Robert Siodmak ou "Les Amitiés Particulières" (1964 - ci-dessous) de Jean Delannoy.

Mais il gravit les échelons d'affiche, petit à petit, jusqu'à sa rencontre avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague, d'abord avec "Le Tigre se Parfume à la Dynamite" (1965) de Claude Chabrol et surtout "La Mariée était en Noir" (1967 - ci-dessous) de François Truffaut.

Il obtient soudain des rôles plus importants, plus consistants avec ses mêmes réalisateurs pour "La Route de Corinthe" (1967) de Chabrol et "La Sirène du Mississippi"  (1968) de Truffaut avec Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo. Simultanément il devient un comédien majeur du théâtre, fidèle à Jean Anouilh surtout, mais c'est aussi à cette époque qu'il participe à l'introduction des oeuvres de Harold Pinter notamment en jouant les pièces "La Collection" (1965-1966) et "L'Anniversaire" (1967). Il revient au cinéma avec un rôle principal dans le drame "La Femme Infidèle" (1968 - ci-dessous) de Claude Chabrol aux côtés de Stephane Audran, un succès et une reconnaissance pour sa performance de cocu assassin.

La femme infidèle (1969)

Il joue ensuite dans le film événement "Borsalino" (1969 - ci-dessous) de Jacques Deray dans lequel il retrouve Belmondo dans son face à face avec Alain Delon. Le film est un énorme succès populaire et lui ouvre grand les portes d'une décennie prolifique aussi bien sur les planches qu'au cinéma.

Citons d'abord "La Rupture" (1970) de Claude Chabrol où il retrouve une nouvelle fois Stephane Audran sur un divorce, puis il incarne une sorte de "Inspecteur Harry" à la française dans "Un Condé" (1970 - ci-dessous) de Yves Boisset qui marque une fois de plus les esprits dans un film qui fait aussi polémique.

Il retrouve encore le couple Chabrol-Audran dans "Juste avant la Nuit" (1971) toujours sur le thème de l'adultère, il joue ensuite dans divers genres comme la comédie "Papa les Ptits Bateaux" (1971) de Nelly Kaplan, le thriller d'espionnage "Le Serpent" (1972) de Henri Verneuil au casting international où il est à côté entre autre de Burt Lancaster, Yul Brynner ou Philippe Noiret, participe au film politique "L'Attentat" (1972 - ci-dessous) de Yves Boisset inspiré de l'affaire Ben Barka, il est le commissaire intolérant qui veut faire plonger à nouveau Alain Delon et ce malgré Jean Gabin dans "Deux Hommes dans la Ville" (1973) de Jose Giovanni...

Citons encore "Défense de Savoir" (1973) de Nadine Trintignant où il est un politique corrompu, il joue au sein d'un joyeux casting dans la farce "Bons Baisers... à Lundi" (1974 - ci-dessous) de Michel Audiard, il est le patron de Pierre Richard dans "Le Jouet" (1976) de Francis Veber, se retrouve au sein d'un scandale d'état dans "La Raison d'Etat" (1978) de André Cayatte.

Après des seventies riches et denses, les années 80 vont s'avérer être comme une pause tant l'acteur ralentit la cadence, aussi bien au théâtre ("seulement" 7 pièces) qu'au cinéma où il tourne que dans quatre films, "La Fuite en Avant ou le Compromis" (1980) de Christian Zerbib, "Les Jeux de la Comtesse Dolingen de Gratz" (1980) de Catherine Binet, et surtout il est Javert dans "Les Misérables" (1982) de Robert Hossein face à Lino Ventura et Jean Carmet, puis retrouve encore le couple Chabrol-Audran dans le policier "Poulet au Vinaigre" (1984 - ci-dessous) où il a affaire à l'enquêteur Jean Poiret.

Les années 90 sont du même acabit, toujours régulier au théâtre avec avec parcimonie, il tourne seulement cinq films dont "Toto le Héros" (1990) de Jaco Van Dormael où il incarne le héros, "Tous les Matins du Monde" (1991 - ci-dessous) de Alain Corneau avec Gérard Depardieu et Jean-Pierre Marielle, puis "Elisa" (1994) de Jean Becker où il retrouve Depardieu aux côtés de Vanessa Paradis.

Etonnamment, après deux décennies "calmes", l'acteur reprend du poil de la bête avec le 21ème siècle avec de nombreuses pièces de théâtre dont la plupart des pièces qu'il a déjà joué auparavant comme "Le Roi se Meurt" de Ionesco, "L'Avare" et "Le Malade Imaginaire" de Molière. Le cinéma n'est pas en reste, il incarne Lampedusa auteur d'un roman qui sera adapté par Luchino Visconti avec "le Guépard" (1963) dans "Le Manuscrit de Prince" (2000) de Roberto Ando aux côtés de Jeanne Moreau qu'il retrouve après "La Mariée était en Noir", il intègre l'incroyable casting 4 étoiles de "Les Côtelettes" (2003) de Bertrand Blier puis, surtout, sa performance est salué dans le rôle de François Mitterrand dans "Le Promeneur du Champs de Mars" (2005) de Robert Guédiguian.

 

La cadence ralentit de nouveau, le tournage du film "Le Goût des Myrtilles" de Thomas de Thier est annulé à la suite de la mort de la comédienne Marie Otal, le film sera relancé en 2014 mais cette fois avec Jean-Pierre Marielle. Il annonce ensuite sa retraite du théâtre en 2011 avant de se raviser par la suite montant sur les planches une ultime fois pour la pièce "Le Tartuffe" (2017). Par là même il joue de nombreuses fois pour la télévision, les premières fois était dans les téléfilms "Le Profanateur" (1952) et "Andromaque" (1953) de René Lucot, il jouera dans plusieurs séries TV comme "les Cinq Dernières Minutes" (1964) ou "Maigret" (1992) avec Bruno Cremer, jusqu'à son dernier téléfilm "Pour Demain" (1993) de Fabrice Cazeneuve si on excepte les pièces de théâtre filmées pour la télévision "Le Roi se meurt" (2005) et "Le Malade Imaginaire" (2009).

 

Ainsi, malgré que l'acteur ait toujours dit préférer et favoriser le théâtre, c'est bel et bien sur grand écran qu'il jouera pour la dernière fois. Dans ses derniers films citons son joli rôle titre "Renoir" (2012 - ci-dessous) de Gilles Bourdos aux côtés de son fils Vincent Rottiers et sa muse Christa Théret, il est un ex-déporté de Buchenwald dans le drame familial "L'Origine de la Violence" (2016) de Elie Chouraqui face à son fils Richard Berry, puis joue aux côtés de Patrick Bruel et Niels Arestrup dans "Villa Caprice" (2020) de Bernard Stora. 

Son ultime rôle sera posthume, puisque son dernier film "Cérémonie Secrète" (2022) de Tatiana Genel est prévu pour une sortie en salles au prochain mois de juin 2022.

 

Michel Bouquet a été nommé professeur au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique en 1977. Il a aussi écrit plusieurs ouvrages, dont ses mémoires "Mémoire d'Acteur" (2011) et enregistré plusieurs disques sur ses lectures qui lui ont d'ailleurs valu deux prix de l'Académie Charles Cros (2006-2019). 

 

Niveau récompense, l'acteur est lauréat de 2 Molières du meilleur comédien, pour "Les Côtelettes" (1998) de Blier et pour "Le Roi se Meurt" (2005) de Ionesco, avec en prime un Molière d'honneur en 2014. Puis il a gagné également 2 Césars du meilleur acteur pour "Comment j'ai tué mon Père" (2002) de Anne Fontaine et pour sa performance de Président dans "Le Promeneur du Champs de Mars" (2005).  

Michel Bouquet épouse en première noce la comédienne Ariane Borg de 10 ans son aîné, mais alors que l'acteur prend son envol dans les années 60 celle de la comédienne décline fortement et finalement ils se séparent en 1967. La comédienne ne s'en remettra jamais au point de perdre 25kg et de risquer sa vie par une grève de la faim ! L'acteur épouse ensuite la comédienne Juliette Carré qui a été sa partenaire de très nombreuses fois sur les planches. Précisons que l'acteur n'a pas de lien de parenté avec l'actrice Carole Bouquet.

 

En près de 80 ans, L'acteur aura joué dans une soixantaine de pièces de théâtre et une centaine de films où sa prestance austère, sa voix et même sa diction singulière l'aura destiné le plus souvent à des personnages représentant l'autorité et/ou la bourgeoisie. Malicieusement l'acteur se qualifiera dans une interview de "anarchiste calme".

Pour finir, citons l'actrice Claude Jade dans son autobiographie "Baisers Envolés" (2004), sa partenaire dans le téléfilm "Les Anneaux de Bicêtre" (1976) de Louis Grospierre qui dit lui  : "Michel Bouquet est d'un précision extrême et ne laisse rien au hasard. Je suis très impressionnée par sa concentration et sa capacité de travail ; il se prépare parfaitement à ce rôle de magnat de la presse subitement frappé d'hémiplégie et d'aphasie après une attaque cérébrale. Il ne dira son texte qu'en voix Off. Quand arrive le tournage, rien ou presque n'est semblable à ce que nous avions imaginé ; les bruits extérieurs sont déroutants, l'agencement de la chambre d'hôpital, reconstituée dans une maison, est différent. Pourtant, grâce à tout ce travail préalable, Michel Bouquet s'adapte, faisant parfois même le contraire de ce qu'il avait prévu, et il est superbe. Et il est un homme d'une parfaite courtoisie."

 

Michel Bouquet est parti au Panthéon des grands du 7ème Art, mort ce jour du mardi 13 avril 2022 dans un hôpital parisien.

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