Le Code Hays : conséquences
Suite des articles "Le Code Hays : Origines et Influence de Adolphe Zukor" (Lire ICI !) et "La Censure Officielle à Hollywood" (lire ICI !)
La censure entre 1920 et 1934 se fait progressivement, petit à petit ; au début il s'agit de pressions plus ou moins fortes.
Par exemple "L'Opinion Publique" (1923) de Charles Chaplin fut jugé choquant et considéré comme une attaque contre la société, il fut interdit dans une quinzaine d'état. Le titre fut changé en "A woman of Paris".
La violence et certains films sont considérés comme faisant l'apologie du crime... "Little César" (1931) de Mervyn Le Roy aurait été impensable en 1934. Et encore les pressions fortes sont assénées. Car en 1931 le Code est en pleine rédaction mais William Hays tente déjà d'appliquer un texte qui ne sera définitif qu'en 1934. Idem pour le chef d'oeuvre "L'Ennemi Public" (1931) de William Wellman a moins de chance et doit être amputé de 30mn !
Mais le film emblématique (photos ci-dessus) reste "Scarface" (1932) de Howard Hawks... Après des pressions et des avertissements de nombreuses modifications sont apportées dont :
- un sous-titre est ajouté "the shame of a nation" soit "La honte de la nation".
- un texte explicatif débute le film qui précise que ce film condamne le gangsterisme.
- une scène est ajoutée où un patron de presse prononce un discours moralisateurs contre le crime.
- la fin du film où Camonte (Paul Muni) est à terre avec la mention "The world is yours" ("le monde est votre") n'a pas satisfait les censeurs et exigèrent que Camont soit arrêté et condamné à la pendaison, le film s'achevant sur Scarface une cagoule sur la tête.
- le film est une adaptation des Borgia, d'où la relation quasi incestueuse entre Camonte et sa soeur ; ce thème sera presque entièrement effacé.
"Scarface" aura quasi disparus du sol américains entre 1947 et 1980 !
Outre la violence le racisme est elle affirmée... Première star hollywoodienne non blanche, la sino-américaine Anna May Wong (photo ci-dessus) voit sa carrière déclinée. Anna May Wong désirait le rôle principal (une chinoise) dans le film "Visages d'Orient" (1937) de Pearl S. Buck. Mais selon les critères du Code Hays (qui était appliqué officiellement depuis 1934) il était impossible qu'il y ait un contact amoureux entre deux "races" différentes ; la MGM rejeta donc la candidature de l'actrice. Le rôle de la chinoise sera dévolu à l'actrice américaine Luise Rainer qui sera grimée et maquillée en chinoise ! Ce refus sera un déclencheur, Anna May Wong se verra refuser de nombreux rôles, elle tournera de moins en moins pour des rôles de moins en moins importants.
Même les plus grands nababs et les plus grosses productions ont du mal à partir avec William Hays et sa commission. Darryl F. Zanuck se battra par exemple pour "Autant en emporte le Vent" (1939) de Victor Fleming (et quelques autres). Losque Scarlett (Vivien leigh) tombe enceinte dans les escaliers Rhett (Clark Gable) lui dit "Maybe you'll have a miscarriage" soit "Tu risques de faire une fausse couche", oh scandale trop intime et trop tabou ce dialogue prévu initialement au scénario devra être changé, aujourd'hui on entend "Maybe you'll have an accident" soit "Tu risques d'avoir un accident" (elle vient de l'avoir pourtant non ?!). Mais Zanuck a tenu bon sur d'autres point comme à la fin, la dernière phrase de Rhett Butler est "Fanckly my dear... I don't give a damn !" soit "Franchement ma chère... Je m'en fous complètement !"... Cette phrase déplu également aux censeurs mais Darryl F. Zanuck tint bon.
Parfois ca peut aller loin dans le ridicule... Par exemple dans "Tarzan l'homme singe" (1932) de W.S Van Dyke Jane n'est vêtue que d'une peau de bête alors que dans "Tarzan s'évade" (1936) Jane est revêtue d'une combinaison qui atténue de beaucoup l'érotisme de l'héroïne.
Lorsqu'un film est défendu bec et ongles par un nabab, on l'a vu avec "Autant en emporte le vent", le film a souvent une chance... C'est aussi le cas pour "Le Banni" de Howard Hughes ; terminé en 1941 il sortit de manière limitée en 1943 avant d'avoir une vraie chance en 1946 et ce, grâce à l'obstination de son réalisateur-producteur milliardaire. Et tout ça pour une poitrine (mais quelle poitrine !), celle de Jane Russell (photos ci-dessous) sur laquelle reposait toute la promo.
De très nombreux films se voient interdire ou remaniés de telle façon, que souvent, il ne ressemble plus à ce qui était prévu. Le Code Hays oblige aux artistes d'être encore meilleurs, d'être plus fins, plus rusés, à transcender leur travail afin de contourner un code qui est des plus strict. Contourner les règles justement, dire et montrer ce qu'on veut malgré le Code Hays voilà ce qui va être un sport national. Les meilleurs y réussiront et traceront la voie...
L'un des meilleurs, sinon le meilleur, à ce petit jeu est sans aucun doute Alfred Hitchcock. Toutes sa carrières et dans tous ses films Hitchcock plaçait ci et là des ingrédients plus ou moins interdits. Parmi les plus connus...
Sans doute son "coup" le plus connu reste le baiser de "Les Enchaînés" (1946 - ci-dessous) ; par ailleurs ce film reste mon préféré du maitre Hitchcock... Il faut rappeler que selon le Code Hays un baiser ne devait pas dépasser 3 secondes ! Celui du couple Cary Grant-Ingrid Bergman est en fait une succession de baiser d'environs 2 sec.50 (un vrai baiser lèvres contre lèvres) ; pour contourner la censure Hitchcock en fit une longue séquence d'étreintes où les caresses joues contre joues, les effleurements entrecoupés de dialogues en font au final un baiser tout aussi charnel (encore plus sensuel) composé d'un ensemble de baisers qui durent près de 3 minutes !
Dans "La Corde" (1948) les allusions parcimonieuse à l'homosexualité sont reconnus ; par exemple le fait que les colocataires n'aient qu'une seule chambre laisse imaginer bien des choses...
Le sexe était une obsession de Alfred Hitchcock et ses allusions sont parfois épatantes... Dans "La Mort aux Trousses" (1959) Cary Grant prend la main de Eva Marie-Saint pour l'entrainer sur la couchette, au moment où elle arrive sur le lit la scène est coupée pour voir ensuite le train pénétrer dans un tunnel... Tout simplement énorme !
Les sexe sera toujours très présent dans l'oeuvre de Hitchcock avec des évocation et des insinuations diverses et variées ; le voyeurisme dans "Fenêtres sur Cours" (1955), l'impuissance et la nécrophilie dans "Sueurs Froides" (1958 - ci-dessous)...
Dans "Sueurs froides" le personnage joué par James Stewart n'a pas connu de femmes (c'est pour cela qu'il est le choix idéal pour cette machination). De très nombreuses allusions vont être semées durant le film... Lors de la deuxième scène devant Midge, qui travaille dans une usine de lingerie, Scottie (Stewart) joue avec sa canne tandis qu'il explique que ses fiançailles ont été rompues parce qu'il ne s'est rien passé... Ironie du sort et génie de Sir Alfred la tour dans le film est la Tour Coït (ça ne s'invente pas !) célèbre à San Francisco et dont l'érection a été financée par Madame Lillie Hitchcock Coït ! Sans rapport avec le cinéaste !... Pour la nécrophilie c'est Hitchcock lui-même qui l'avoue dans sa célèbre interview avec François Truffaut, après que Scottie finit par coucher avec Madeleine/Judy (Kim Novak) il est persuadé d'avoir fait l'amour à un fantôme, donc à une morte.
Le summum de son art fut bien sur "Psychose" (1960 - ci-dessous), la scène de la douche étant un mixte dangereux nudité-meurtre... Le cinéaste savait que son film risquait la censure avec cette scène de meurtre, entre la nudité (nécessaire par la douche) et le meurtre pour le moins violent. C'est la raison pour laquelle Hitchcock choisit le noir et blanc afin que le sang ne choque pas les censeurs. Ensuite pour rendre plus flou la violence du meurtre Hitchcock fait un montage très découpé afin que le spectateur se perde un peu (et les censeurs) car le maitre réussira pourtant à insérer dans ce montage 3 images où on voit le couteau pénétrer la chair de Janet Leigh !
Hitchcock est un réalisateur génial mais il fut aussi l'un des plus rusé pour détourner le Code hays de son art. Il ne fut pas le seul (heureusement), d'autres ont aussi su sublimer leur créativité pour transgresser la censure tout en continuant à s'exprimer. C'est le cas par exemple de Billy Wilder, Otto Preminger, Charles Vidor...
Tout le monde a en tête "Gilda" (1946 - ci-dessus) de Charles Vidor et sa scène mythique (photo ci-dessus) ou Rita Hayworth chante "Put the blame on mame" et danse sensuellement tout en retirant lascivement son gant fourreau... Le premier strip-tease habillé !
Je pense à "Un Tramway nommé Désir" (1951 - ci-dessus) de Elia Kazan, un film qui transpire le sexe, ou la sensualité est flagrante. Pour éviter les foudres de la censure Warner effectua pas moins de 12 coupes pour un total de 4 minutes (sans prévenir Elia Kazan). Il a fallut attendre 1993 avant de voir le film dans son intégralité... "La Fureur de Vivre" (1955) de Nicholas Ray s'est vu supprimer une scène où Plato et Jim devait s'embrasser.
On peut penser aussi à des films qui semblent être passé à travers les gouttes... Je pense notamment au chef d'oeuvre "Tant qu'il y aura des Hommes" (1953 - ci-dessous) de Fred Zinnemann et son célèbre étreinte sur la plage entre Deborah Kerr et Burt Lancaster.
Ce qui précède est loin d'être une liste exhaustive tant le nombre des films plus ou moins censurés est élevé. Ce qui est important c'est que les artistes de Hollywood ont su être capable de hausser leur talent, de transcender leur imaginaire afin de continuer à s'exprimer.
Suite des articles "Le Code Hays : Origines et Influence de Adolphe Zukor" (Lire ICI !) et "La Censure Officielle à Hollywood" (lire ICI !) :, suivi de "Conséquences" (Lire ICI), puis enfin
À suivre dernier article "Fin de la Censure ?!" (Lire ICI !)