Une Femme Disparaît (1938) de Alfred Hitchcock
Après "Jeune et Innocent" (1937), le réalisateur britannique a passé un séjour aux Etats-Unis où il a préparé son départ pour Hollywood notamment via des pourparlers avec des producteurs et ainsi ne perd pas de temps pour trouver un nouveau projet, le dernier qu'il doit par contrat à la Gaumont British, où plutôt on lui a proposé un projet au bon moment. Il s'agit d'une adaptation du roman "The Wheel Spins" (1936) de Ethel Lina White, romancière connue pour ses histoires à suspense qui sera une nouvelle fois adapté avec le film "Deux Mains, la Nuit" (1945) de Robert Siodmak. Le projet avait déjà été lancé, réalisé par Ray William Neill avec un tournage en Yougoslavie mais la police yougoslave n'ayant pas du tout apprécié comment elle était décrite dans le film le tournage eût des difficultés devenues insurmontables. Le projet fût alors annulé. Alfred Hitchcock libre et à la recherche d'un projet repris donc la production en reprenant également le scénario. Le titre choisit en V.O. par Hitchcock est "The Lady Vanishes", hommage au chroniqueur Alexander Woolcott du New Order que Hitchcock lisait assidûment et qui a signé en 1929 un article titré "The Vanishing Lady" qui revenait sur la disparition d'une femme dans un hôtel lors de l'exposition universelle de Paris en 1889, une affaire qui a sans doute inspiré la romancière, et que le réalisateur reprendra dans Alfred Hitchcock Presents pour l'épisode "Into the Air" (1955). Le scénario est signé de Alma Reville, épouse du réalisateur, puis par deux nouveaux collaborateurs, Sidney Gilliat et Frank Launder, qui retrouveront Hitchcock sur "La Taverne de la Jamaïque" (1939), et surtout le duo continuera une fructueuse collaboration, des scénarios pour plusieurs films de Carol Reed comme "Le Dernier Témoin" (1940) et "Kipps" (1941) jusqu'à leurs propres films de "Ceux de Chez Nous" (1943) à "Endless Night" (1971), où les deux hommes seront tour à tour réalisateur et/ou scénariste. L'histoire voit ainsi la Yougoslavie remplacée par une pays imaginaire, tandis que le réalisateur modifiera la début et la fin écrite par le duo de scénaristes, ce qui ne sera pas sans conséquence pour l'entente entre eux. À sa sortie, le film est un énorme succès et devient ainsi le film britannique le plus rentable de l'histoire. Mais surtout, le succès est équivalent aux Etats-Unis où la côte du réalisateur n'aura jamais été aussi haute et reçoit notamment le prix du meilleur film de 1938 par le New-York Times, ainsi que leprix du meilleur réalisateur par le New-York Film Critics Circle, seule récompense de sa carrière !...
En Brandika, dans un train qui ramènent plusieurs ressortissants britanniques, une vieille dame disparaît. Iris Henderson qui s'était assoupi et qui avait sympathisé avec la vieille dame s'interroge, et très vite panique lorsque la plupart des passagers qu'elle avait croisé auparavant disent ne pas connaître cette vieille dame. Inquiète elle décide d'en savoir plus, tandis que de nombreux passagers disent ne rien avoir vu de suspect elle reçoit l'aide de Gilbert Redman, un musicien qui est d'abord plus interessé par la belle Iris que par la réalité de la mystérieuse disparition... L'héroïne est jouée par Margaret Lockwood qui tournera surtout pour Carol Reed à partir de "Week-End" (1938) et retrouvera notamment les scénaristes sur les films "Sous le Regard des Etoiles" (1940) et "Le Dernier Témoin" (1940), elle retrouve ainsi son partenaire Michael Redgrave après "Sous le Regard des Etoiles", lui-même sera aussi dans "Kipps" (1941) de Carol Reed et deviendra un acteur majeur du cinéma britannique avec entre autre des films comme "1984" (1956) de Michael Anderson, "Les Innocents" (1961) de Jack Clayton ou "La Colline des Hommes Perdus" (1965) de Sidney Lumet. La femme qui disparaît est incarnée par Dame May Whitty vue dans "Marie Walewska" (1937) de Clarence Brown, "Madame Miniver" (1942) de William Wyler et "Hantise" (1944) de George Cukor et qui retrouvera Hitchcock sur "Soupçons" (1941). Citons ensuite Paul Lukas vu notamment dans "Les Trois Mousquetaires" (1935) de Rowland V. Lee, "20000 Lieues sous les Mers" (1954) de Richard Fleischer et "Lord Jim" (1965) de Richard Brooks. Cecil Parker qui retrouevra Hitchcock après "Les Amants du Capricorne" (1949), qui retrouvera plusieurs de ses partenaires dans "Sous le Regard des Etoiles" puis qui retrouve aussi après "La Citadelle" (1938) de King Vidor l'actrice Mary Clare qui était dans "Jeune et Innocent" de Hitchcock, cette dernière retrouve également Michael Redgrave après "La Boîte Magique" (1951) de John Boulting, puis après "Quartet" (1948) de Ken Annakin et Arthur Crabtree elle retrouve Naunton Wayne qui, avec son acolyte Basil Radford formeront un duo célèbre vu ensemble entre dans "Train de Nuit pour Munich", "Ceux de Chez Nous", Radford retrouve aussi Hitchcock et Mary Clare après "Jeune et Innocent", et retrouvera sa partenaire Catherine Lacey après "Whisky à Gogo !" (1949) de Alexander Mackendrick, actrice qu'on verra dans "The Servant" (1963) de Joseph Losey. Puis pour finir citons Linden Travers qui sera avec Margaret Lockwood dans "Week-End" et "Sous le Regard des Etoiles"... Le tournage sera assez tendu, le réalisateur n'étant pas particulièrement affable, sans doute la tête trop rempli d'un rêve américain toujours plus entêtant, sachant sans doute qu'il y aura des moyens bien plus considérables. L'actrice dira de lui qu'il est comme un "Bouddha somnolent", tandis que la star du théâtre Michael Redgrave se plaindra de ne pas avoir trois semaines de répétition, ce à quoi le maestro répondra laconiquement : "Désolé, au cinéma nous avons trois minutes".
Cependant, le résultat et le succès énorme du film fera changer d'opinion les acteurs, notamment Redgrave qui avouera dans ses mémoires que le réalisateur savait ce qu'il faisait, qu'il avait déjà visualisé son film avant de venir sur le plateau de tournage, qu'il savait toujours où placer la caméra... Le plus impressionnant dans ce film est toute la métaphore sur la situation géo-politique en Europe centrale et qui prophétise les futurs accords de Munich. Nul doute que le pays imaginaire ne trompait déjà personne à l'époque de la sortie, les nazis sont évidemment en filigrane, et surtout Hitchcock impose subrepticement une opinion certaine sur la position à adopter par le Royaume-Uni ; ainsi les individualités des passagers britanniques symbolisent l'isolationnisme des iles britanniques (qui est une politique alors marquée par le gouvernement) mais qui se réunissent soudainement lorsque le danger paraît enfin inéluctable et réel comme le prouvera d'ailleurs la réaction des britanniques lors de la bataille d'Angleterre en 1940 ! Hitchcock en visionnaire... C'est le grand point fort du film. Comme pour "Jeune et Innocent" le cinéaste mélange les genres, film d'aventure, drame, polar, thriller mais cette fois les genres sont plus marqués, les césures par des ruptures de tons permettent de passer d'un genre à l'autre. C'est un parti pris toutefois par toujours probant, par exemple il y a des parties plus bavardes, d'autres qui ne semblent là que pour permettre un peu de spectaculaire comme la fusillade finale, puis il y a un peu trop de séquences invraisemblables comme l'air de musique comme code secret, la coïncidence et le don de vision pour savoir qui est sous les bandages ou encore la bagarre dans le wagon où une malle magique semble l'être vraie finalement ! Mais le plus gros soucis est qu'on se demande qui serait vraiment parti enquêter pour une personne qu'on connaît pas et, surtout, en quoi une passagère qui n'est plus à sa place serait suspect ?! Mais il y a aussi une bonne dose d'autodérision où comment montrer tout le flegme so bristish lors de la fusillade qui ne peut que faire sourire. Hitchcock impose ainsi toujours un fond sérieux (l'explosion géo-politique qui secoue l'Europe) dans un huis clos ferroviaire où tout semble permis et/ou possible. Malgré tout le réalisateur est à l'aise, sa mise en scène ne laisse pas souffler un instant, cela paraît même parfois cacophonique et, finalement, le film est sans doute un peu surestimé, le mélange des genres et sous-genres ainsi découpé créant un patchwork qui manque un peu de cohérence. Un bon film, qui permet surtout à Hitchcock de passer un dernier cap vers une perfection qui tarde à venir, mais qui viendra...
Note :