Ridicule (1996) de Patrice Leconte

par Selenie  -  23 Novembre 2021, 10:06  -  #Critiques de films

Surtout connu pour ses comédies populaires dont les célèbres "Bronzés" (1978-1979) Patrice Leconte a commencé un léger virage vers des films plus sérieux comme avec "Monsieur Hire" (1989), mais il aborde pour la première fois le film historique avec ce projet qui raconte comment avoir de l'esprit est une arme redoutable à la Cour de Versailles. Le film repose sur plusieurs écrits, et surtout les mémoires du comte de Bussy-Rabutin (qui racontent entre autre le côté peu accessible du roi Louis XIV), et du Duc de Saint-Simon (qui compare notamment l'accès facile au roi d'Espagne comparé à un Louis XVI inaccessible), sans oublier les livres de saillies verbales qui circulaient à l'époque dont l'exemplaire du Marquis de Marigny, frère de la célèbre Marquise de Pompadour (vendu aux enchères en 2006). Le scénario est signé surtout par Rémi Waterhouse surtout connu pour avoir écrit les films "La Triche" (1984), "Les Enfants du Désordre" (1989) et "L'Affût" (1991) tous de Yannick Bellon. Il collabore avec deux autres co-scénaristes, Michel Fessler qu'il retrouve après "L'Affût", et qui se spécialisera dans les films historiques de "Farinelli" (1994) de Gérard Corbiau à "Le Portrait Interdit" (2017) de Charles de Meaux en passant par "Man to Man" (2004) de Régis Wargnier et "Ao, le Dernier Néandertal" (2008) de Jacques Malaterre, puis Eric Vicaut qui écrira avec Fessler le film "Je Règle mon Pas sur le Pas de mon Père" (1999). Le film sera un joli succès et en prime obtiendra pas moins de 4 Césars pour Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleurs Décors et Meilleurs Costumes, puis sera lauréat de plusieurs prix du meilleur film étranger donc le Critic's Choice Movie Award et le BAFTA... Dans les années 1780, un jeune noble désargenté, Grégoire Ponceludon de Malavoy, se rend à la Cour de Versailles afin d'obtenir du Roi une audience. En effet, il souhaiterait pouvoir assécher les marais de son domaine qui tuent ses paysans. Mais il va devoir d'abord apprendre les us et coutumes de la Cour, et notamment faire montre d'esprit dans les joutes verbales assassines qui amusent la noblesse mais aussi le Roi...

Le jeune noble de province est incarné par Charles Berling alors en pleine ascension après "Nelly et Monsieur Arnaud" (1995) de Claude Sautet et "Love, Etc" (1996) de Marion Vernoux. Une des intriguantes de la Cour est interprétée par Fanny Ardant qui retrouve après "Le Colonel Chabert" (1993) de Yves Angelo son partenaire Albert Delpy qui joue aussi aux côtés de son épouse à la ville Marie Pillet avec qui il a eu l'actrice Julie Delpy. Le couple a joué et jouera pour Patrice Leconte plusieurs fois mais ne se retrouveront ensemble que sur "Les Grands Ducs" (1996). Comme le couple Delpy, plusieurs acteurs du film ont déjà joué ou joueront à nouveau pour Patrice Leconte, en premier lieu Jean Rochefort qui joue là dans le 5ème des 7 films sous la direction de Leconte de "Les Vécés étaient fermés de l'Intérieur" (1975) à "L'Homme du Train" (2002) en passant par "Le Marie de la Coiffeuse" (1990) et "Les Grands Ducs", Judith Godrèche qui joue sa fille venait de jouer dans "Tango" (1993), Bernard Giraudeau a évolué avec Leconte sur "Viens chez Moi, j'habite chez une Copine" (1981) et "Les Spécialistes" (1985), Jacques Mathou qui est alors au 2nd film sur les 7 en comptant sa voix pour le film d'animation "Le Magasin des Suicides" (2012), Philippe Magnan 2ème sur 4 il retrouvera alors son partenaire Philippe du Janerand 1er sur 4 sur le magnifique "La Veuve de Saint-Pierre" (1999), et qui retrouvera dans le récent "Eugénie Grandet" (2021) de Marc Dugain l'acteur Urbain Cancelier autre fidèle du réalisateur qui prêtera aussi sa voix dans "Le Magasin des Suicides". Et enfin citons Carlo Brandt acteur vu en costume dans "Louis, Enfant Roi" (1993) de Roger Planchon, "Marie Antoinette" (2006) de Sofia Coppola et "Kaamelott : Premier Volet" (2021) de et avec Alexandre Astier dans lequel il reprend son rôle de la série éponyme (2007), puis Laurent Valo, acteur adepte de la langue des signes qu'on reverra en sourd-muet dans "Sur mes Lèvres" (2001) de Jacques Audiard... "Dans ce monde (c'est-à-dire à la cour), un vice n'est rien mais un ridicule tue", cette réplique annonce la couleur. A la Cour du Roi l'arme la plus fatale est dans la langue et l'esprit. Il y a tant de courtisans, nobles et autres qui rêvent d'obtenir une audience qu'il est devenu important voir indispensable de se faire remarquer, et les bons mots, le bon esprit devient un moyen de se faire un nom et donc de se faire une place à la Cour. Les rivalités et les jalousies assaisonnent les joutes verbales à tel point que les jeux d'esprits sont avant tout des flèches empoisonnées. On est forcément passionné par le fait que le scénario repose sur des faits et des coutumes de la Cour, et on peut noter une vraie authenticité historique, par exemple : le personnage principal Ponceludon de Malavoy est inspiré de Aubin Louis Hédouin de Malavois dont la demeure est bâtie sur d'anciens marais asséchés au 18ème siècle, le personnage de la fille du marquis de Bellegarde tente de créer un scaphandre sous-marin, ce qui n'a rien d'irréel et fait justement référence au scaphandre de Fréminet créé en 1774, on croise le personnage de Charles-Michel de l'Epée un des premiers à s'intéresser à la langue des signes pour les sourds-muets...

Sans compter une très belle reconstitution historique, dont on peut citer d'ailleurs comme lieux de tournage les Jardins du Château de Versailles, le château de Villiers-le-Bâcle (qui appartient à l'humoriste Yves Lecoq), et surtout les châteaux de Neuville et de Champs-sur-Marne qui ont également été vu dans le chef d'oeuvre "Les Liaisons Dangereuses" (1988) de Stephen Frears. Ironie du sort, on ne peut occulter le fait que le film de Patrice Leconte a des points communs avec ce dernier. En effet, époque similaire, on peut y voir un parallèle avec les personnages dont surtout le personnage de la comtesse de Blayac renvoie à Madame de Merteuil, les jeux de séduction, l'importance de savoir manier la langue, les pièges de la Cour, ... etc... Mais si il y a des efforts sur les faits historiques il y a pourtant plusieurs maladresses, voir d'erreurs plutôt fâcheux. Ainsi il n'y a jamais eu d'évêché à Caen, il est difficile de croire à un signe pour traduire l'heure qui serait de montrer le poignet,  la Cour,... etc... ,Mais le pire reste l'incarnation du couple royal, Louis XVI et Marie-Antoinette. Rappelons que la Reine était loin d'être stupide, et Louis XVI faisait 1m92 et qu'il était aussi plus intelligent qu'on le pense encore trop souvent aujourd'hui et était féru de technologie. Le couple est montré de façon grotesque, ce qui est particulièrement dommageable et décevant alors que le reste du film est une vraie réussite. Heureusement, Patrice Leconte se rattrape un peu avec quelques idées assez géniales comme la mise en valeur des... pieds ! Les gros plans qui s'attardent sur les pieds parsèment le film comme un pied de nez à l'esprit, à la tête donc. Ainsi on peut noter par exemple les empreintes de pieds de la comtesse de Blayac lors de sa toilette, les boucles des chaussures de Ponceludon lors d'un pari, le vol de la chaussure de Guéret qui dévoile une chaussette trouée, les pieds du pendu, le roi et le sioux, le croche-patte lors du bal, les pieds de Mathilde... etc... Evidemment, on ne peut que savourer les dialogues et monologues, les joutes et les répliques sont succulentes pour qui aiment le verbe fleuri, surtout des saillies belliqueuses faut bien l'avouer mais pas toujours dénuées de poésie comme ce jeu des "bouts rimés" dont on peut citer : "Toujours fidèle à sa conduite / L'Abbé, sans nuire à sa beauté, / Peut faire deux mots d'esprit de suite, / L'un en hiver, l'autre en été."... Patrice Leconte signe un très beau film historique, ludique, intelligent et intelligible avec une histoire qui s'inscrit dans la grande avec cynisme et surtout avec malice malgré un propos qui reste dramatique. Un très bon moment qui pêche surtout par un couple royal bêtement faussé qui contraste trop avec le reste.

 

Note :            

 

17/20
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