Yakuza (1975) de Sydney Pollack
Ce projet est d'abord celui de deux frères. Leonard Schrader évite la guerre du Viêtnam en partant pour le Japon durant les années 1969-1973 où il épouse une japonaise et où, surtout, il découvre les Yakuzas (Tout savoir sur eux ICI !). Il écrit un premier script qu'il montre à son frère critique de cinéma, Paul Schrader qui peaufine le scénario. Les deux frères travailleront encore ensemble et retrouveront notamment le Japon avec "Mishima" (1985). La Warner est intéressé et le réalisateur Robert Aldrich est attaché au projet mais il veut améliorer un scénario qui ne lui plaît pas franchement et il veut comme acteur principal Lee Marvin, voir Charles Bronson. Lee Marvin décline et finalement la Warner impose le monstre sacré Robert Michum mais ce dernier refuse catégoriquement de travailler avec Aldrich (un mauvais souvenir de 'Trahison à Athènes" en 1959 peut-être ?!) et Aldrich est donc renvoyé. Après le succès de "Mean Streets" (1973) Martin Scorcese est envisagé mais c'est finalement Sydney Pollack qui est engagé alors qu'il vient de connaître deux énormes succès avec "Jeremiah Johnson" (1972) et "Nos Plus Belles Années" (1973) tous deux avec Robert Redford alors au sommet ce qui pousse un temps à peut-être envisagé cet acteur pour le rôle principal. Néanmoins, Pollack et Mitchum s'entendent, maos Pollack demande tout de même une réécriture du scénario ce que refuse Paul Schrader qui est alors évincé. Le scénario est repris par Robert Towne connu pour avoir écrit les polars "Bonnie and Clyde" (1967) de Arthur Penn, "Les Flics ne Dorment pas la Nuit" (1972) de Richard Fleischer et "Chinatown" (1974) de Roman Polanski. Pour ce film entre deux cultures, la Warner s'associe à la production avec la mythique TOEI Company... Un détective à la retraite, Harry Kilmer est appelé à la rescousse par George Tanner, un ami de longue date connu à la guerre qu'il n'avait pas vu depuis des années. Il lui demande de l'aider à retrouver sa fille kidnappé par les yakuzas après que Tanner n'ait pu livrer des armes comme prévu. Kilmer accepte mais aussi pour pouvoir revoir l'amour de sa vie, une japonaise qu'il avait aider à la fin de la guerre et dont le frère yakuza pourrait l'aider...
L'ex-détective est incarné par Robert Mitchum, monstre sacré de l'Âge d'Or dont on peut citer les chefs d'oeuvres "La Nuit du Chasseur" (1955) de Charles Laughton, "Les Nerfs à Vif" (1962) de Jack Lee Thompson ou "La Fille de Ryan" (1970) de David Lean. Son ami commanditaire est interprété par Brian Keith populaire grâce à la série TV "Cher Oncle Bill" (1966-1971) mais surtout vu au cinéma dans des westerns dont "Le Jugement des Flèches" (1957) de Samuel Fuller ou "Nevada Smith" (1966) de Henry Hathaway, des amis sont joués par Richard Jordan remarqué dans les westerns "L'Homme de la Loi" (1971) et "Les Collines de la Terreur" tous deux de Michael Winner, puis Herb Edelman qui retrouve Pollack après "Nos Plus Belles Années" (1973) et retrouvera aussi le Japon pour "Otoko Wa Tsurai Yo : Torajiro Haru No Yume" (1979) de Yoji Yamada. Côté nippon, citons l'acteur américain hawaïen James Shigeta qui retrouvera Robert Mitchum dans "La Bataille de Midway" (1976) de Jack Smight et qu'on verra dans "Piège de Cristal" (1988) de John McTiernan et "Aniki, mon Frère" (2000) de Takeshi Kitano. Citons ensuite les acteurs japonais, Ken Takakura star de la TOEI avec entre autres "A deux Sabres" (1963) de Tomu Uchida ou "La Pivoine Rouge : le Jeu des Fleurs" (1969) de Tai Kato, et qui a déjà tourné dans une production hollywoodienne avec "Trop tard pour les Héros" (1970) de Robert Aldrich et qui retrouvera un thriller nippon-américain avec "Black Rain" (1989) de Ridley Scott, l'acteur retrouvera son partenaire Eiji Okada dans "Antartica" (1983) de Koreyoshi Kurahara, Eiji Okada est la révélation internationale de "Hiroshima mon Amour" (1959) de Alain Resnais, devient une star également avec des films cultes comme "La Femme des Sables" (1964) de Hiroshi Teshigahara et "Lady Snowblood" (1973) de Toshiya Fujita, il retrouve après le film français "Rififi à Tokyo" (1963) de Jacques Deray sa partenaire Keiko Kishi, francophile épouse du réalisateur français Yves Ciampi vue notamment dans les films "Printemps Précoce" (1956) de Yasujiro Ozu, "Dix Femmes en Noir" (1961) de Kon Ichikawa ou "Le Samouraï du Crépuscule" (2002) de Yoji Yamada. Précisons que la musique du film est signée de Dave Grusin qui signera plusieurs autres films de Sydney Pollack ensuite, mais surtout l'album de la B.O. ne sera commercialisé qu'en juillet 2005 par le magazine en ligne Film Score Monthly !... Le film débute assez vite, voir trop, ainsi l'ex-détective accepte quasiment aussitôt la mission sans trop poser de question alors que les Yakuzas ne sont pas le gang du coin de la rue tout de même, et ce, même si de retrouver l'amour de sa vie est en soit une raison suffisante. A mi-chemin entre "La Maison de Bambou" (1955) de Samuel Fuller et le "Black Rain" (1989) de Ridley Scott, le film de Pollack permet de voir l'évolution d'une société ancestrale qui évolue malgré elle vers une modernité occidentale. Des valeurs traditionnelles symbolisées par les rites et les coutumes yakuzas avec au centre les questions d'honneur, de loyauté et d'engagement. Si on est avant tout pris dans l'intrigue très "virile", on constate vite que la position de la femme est encore taboue et que le patriarcat est encore la norme.
Le contraste culturel occident/orient est évidemment la base qui enrichit une intrigue policière sommes toute assez classique, mais il faut noter aussi que le Japon est alors en pleine explosion économique. Le passé commun d'après guerre et le secret sous-jacent entre Kilmer et la femme japonaise est le plus intéressant et reste l'atout du film. Mais le film peut aussi donner la sensation qu'il aurait pu aller plus loin dans la violence et sur ce point on rejoint le dépité Paul Schrader : "J'ai écrit un film violent et souterrain sur le sang, le devoir et l'obligation. Il en a fait une sorte de film transculturel riche, romantique. L'un ou l'autre de ces films seraient intéressants s'ils étaient pleinement réalisés, mais le produit final se situe entre ces deux styles. Cela n'a pas satisfait le public venu voir le monde cruel des gangsters et cela n'a pas satisfait le public de Jeremiah Johnson - le public de Sydney - qui est venu voir un réalisme poétique." Effectivement, on a la sensation du cul entre deux chaises par moment, on sent la réécriture. Schrader doit avoir raison d'ailleurs au vu de l'échec au box-office, amassant sur le sol américain seulement 1,5 millions de dollars pour un budget de 5 millions. Par contre on est contre l'avis de Schrader qui aurait semble-t-il préféré Robert Redford à Robert Mitchum, pourtant ce dernier apporte la maturité et l'expérience nécessaire à un homme qui a vécu, et qui se situe au crépuscule d'une existence désenchantée. Assez rare pour le noter, on sera bousculé par un dernier acte violent qui allie à merveille les armes feu à l'américaine et duels au sabre, avec en prime une scène marquante comme conclusion, un adieu douloureux dans tous les sens du terme qui est une des plus belles fins du cinéma selon un certain Quentin Tarantino qui est un grand admirateur du film.
Note :