La Peur (2015) de Damien Odoul
8ème long métrage de Damien Odoul, artiste multi-disciplinaire assez peu connu finalement malgré plusieurs films dont "le Souffle" (2000) primé à la Mostra de Venise, et dont on peut citer encore les films "La Richesse du Loup" (2012) et récemment "Théo et les Métamorphoses" (2021). Pour ce nouveau projet le cinéaste aborde un sujet déjà maintes fois abordé au cinéma, la Première Guerre Mondiale en adaptant le roman éponyme (1930) de Gabriel Chevallier, auteur ayant connu les tranchées de 14-18 surtout conu pour son roman "Clochemerle" (1934). Précisons que ce livre a été retiré des ventes en 1939 pour être de nouveau réédité en 1951. Le réalisateur-scénariste co-signe le scénario avec Loïc Gaillard qui signe là son premier long, puis Aude Py scénariste des films "Chrysalis" (2007) de Julien Leclercq et "Julia" (2008) de Erick Zonca. Notons que le film est produit notamment par Jean-Pierre Guérin qui était derrière de belles réussites comme "Les Adieux à la Reine" (2012) de Benoît Jacquot, "Le Grand Soir" (2012) de Delépine-Kervern, "Fleur de Tonnerre" (2016) de Stéphanie Pillonca-Kervern ou dernièrement "En Attendant Bojangles" (2021) de Régis Roinsard. "La Peur" a obtenu en 2015 le prix Jean Vigo...
Comme bon nombre de jeunes gens optimistes et patriotes, Gabriel s'engage et rejoint le front dès 1914 en croyant dur comme fer que la victoire serait assurée avant Noël. Très vite l'enfer des tranchées va se révéler effroyable et il va connaître la peur, la vraie, celle qui pétrifie et qui lient les soldats... Au casting, le cinéaste a fait appel à des inconnus et amateurs qui ont la plupart jamais été devant une caméra. Citons ainsi le protagoniste principal incarné par Nino Rocher, puis ses camarades joués par Eliott Margueron, Pierre-Martial Gaillard, Yarrow Martin, Jonathan Jimeno Romera, Théo Chazal, Florian Collet.. etc... Puis quelques jeunes femmes avec Aniouta Maïdel, Amélie Martinez... Un casting malin, rappelant aussi que la plupart des soldats étaient très jeunes, naïfs et innocents. Par là même, par soucis d'authenticité le réalisateur s'est appliqué à marquer l'importance de la province, notamment en utilisant le patois inhérent aux régions comme l'occitan rappelant que la majorité des soldats provenaient des campagnes, qu'ils étaient encore nombreux à ne pas parler un français "à la parisienne" et que même beaucoup étaient encore illettrés. Damien Odoul s'est aussi beaucoup inspiré des oeuvres de l'artiste allemand Otto Dix, du peintre espagnol Goya et à priori même des images récentes de la bataille de Kobané en Syrie. Le plus dure pour le réalisateur est d'explorer d'autres chemins (des dames !) que ceux déjà choisis par les précédents films sur le sujet, et pas des moindres puisque 14-18 a été un terrain fertile pour de nombreux grands films comme "À l'Ouest Rien de Nouveau" (1932) de Lewis Milestone, "Les Croix de Bois" (1936) de Raymond Bernard, "La Grande Illusion" (1937) de Jean Renoir, "Les Sentiers de la Gloire" (1957) de Stanley Kubrick, "Capitaine Conan" (1996) de Bertrand Tavernier, "La Chambre des Officiers" (2001) de François Dupeyron et récemment "1917" (2020) de Sam Mendes.
D'emblée, la volonté de se focaliser sur la "peur" des soldats est sans doute une bonne idée même si ce n'est pas spécialement inédit, le réalisateur insistant sur la volonté de "rendre son film le plus viscéral possible" expliquant : "C'est le ventre des enfers dont il est question, et rien d'autre. Qui dit enfer dit "Catabase", la descente au pays des ombres de la mythologie grecque, comme une épreuve initiatique. Cette grande destruction dont on parle, le désastre et ses expressions traumatisantes, hallucinatrices, voilà ce que je voulais montrer." Salutaire et inspirant comme objectif mais c'est justement sur ce point que le cinéaste râte un peu sa cible. En effet, sur les "visions" manquent singulièrement d'imagination et sont peu évocatrices, sur ce point on ne peut que revenir au magnifique "Les Croix de Bois" (1936). L'autre bémol vient de la peur elle-même, elle n'est pas si palpable que dans d'autres films précédents et reste assez "sage" à l'instar des horreurs des tranchées qui se résument à des cadavres plus ou moins biens placés et/ou empilés. Par contre le réalisateur fait d'autres choix plus judicieux, avec des couleurs qui se délavant au fil du temps pour devenir de plus en plus terne, ce qui fait un parallèle saisissant avec l'évolution de l'uniforme ; rappelons que les soldats français étaient des cibles de choix en uniforme 1870 en rouge et bleu trop voyant avant de passer à un uniforme plus "discret" en 1915. Damien Odoul signe un film ludique sans être trop explicatif mais qui manque de force et d'audace pour finalement rester très scolaire. Pas très grave, ça reste un film à conseiller car 14-18 reste toujours une période passionnante car comme il le précise lui-même : "un cas d'école pour une réflexion sur ce qui est la matière même de l'Histoire : le poids des morts sur les vivants." Note généreuse
Note :