En Attendant Bojangles (2022) de Régis Roinsard
3ème film après "Populaire" (2012) et "Les Traducteurs" (2020), Régis Roinsard a choisit cette fois d'adapter le roman éponyme (2016) de Olivier Bourdeaut, un premier roman succès surprise à l'époque. Pour ce projet le réalisateur-scénariste retrouve en co-scénariste Romain Compingt qui était déjà sur ses deux précédents films, scénariste dont on peut aussi citer son travail sur les films "Divines" (2016) de Houda Beniyamina et "Les Magnétiques" (2021) de Vincent Maël Cardona. Les deux compères ont néanmoins modifié quelques paramètres, d'abord l'histoire est transposé aux années 50-60 et le point de vue du père remplace celui de l'enfant. Le cinéaste précise : "J'ai une faiblesse pour ces deux décennies, et les années 80. Des années sans téléphone. Quelles décennies illustrent mieux la fête que ces trois époques ?" (...) "La notion de point de vue était capitale et ce choix nous semblait le bon. Mais, d'un seul coup, à la fin, celui du fils prend le pas. On glisse vers lui."...
Camille et Georges s'aiment et leur bonheur est visible et démonstratif. Ils adorent danser sur leur chanson favorite "Mr. Bojangles" de Nina Simone, ils aiment sortir, s'amuser, profiter... Jusqu'au jour où Camille dépasse une certaine limite qui la fragilise psychologiquement. Soudain pris au dépourvu, Georges va tenter d'éviter le pire avec l'aide de leur fils Gary... Camille est incarnée par Virginie Efira, omniprésente ces derniers mois avec "Benedetta" (2021) de Paul Verhoeven, "Lui" (2021) de et avec Guillaume Canet et "Madeleine Collins" (2021) de Antoine Barraud. Georges est joué par Romain Duris vu récemment dans "Eiffel" (2021) de Martin Bourboulon. Leur fils est interprété par le jeune débutant Solan Machado-Graner. L'ami est incarné par Grégory Gadebois qui retrouve Duris après "Cessez-le-Feu" (2017) de Emmanuel Courcol, et retrouve Efira après "Police" (2020) de Anne Fontaine, l'acteur est particulièrement prolifique puisqu'il s'agit de son 7ème film en moins de deux ans avec notamment "Présidents" (2021) de Anne Fontaine et "Délicieux" (2021) de Eric Besnard... Régis Roinsard a donné comme référence à son actrice Virginie Efira les personnages joués par Nathalie Wood notamment dans les films adaptés de Tennessee Williams. Les parties musicales du film ont leur importance, la musique a été confiée au duo Olivier et Clare Manchon du groupe américain Clare and the Reasons, tandis que les chorégraphies sont signées de Marion Motin, danseuse et chorégraphe ayant notamment travaillé avec et pour des artistes comme Shy'm, Stromae ou Christine and the Queen... Le film débute comme une fantaisie absurde et burlesque, une comédie romantique un peu folle sous couvert de totale liberté et de passion. Le début du film est une vraie bulle de champagne, une gourmandise de séduction et de charmes bien qu'on sente pourtant qu'il y a d'ores et déjà comme un malaise sous-jacent qu'on décèle dans quelques petits détails concernant Camille/Efira.
Le premier acte décrit d'abord un coup de foudre plein de folie, le genre de bonheur qu'on rêve tous de connaître et qui nous emporte. Le second acte concerne la famille, des mois de bonheur à la fois simple et compliqué, simple comme si la société n'avait pas de prise sur la liberté totale (on insiste !) et compliqué car la société fait son poids qu'on le veuille ou non. Une famille dont les parents tentent de vivre comme bon leur semblent, suivi avec plaisir par un fils, "un enfant charmant et intelligent qui faisait la fierté de ses parents". Une famille composé aussi d'une grue nommée Superfétatoire et 'd'un ami à priori sénateur surnommé Ordure (!). Le ton est donné. On pourrait se croire dans un monde parallèle façon "Au Bonheur des Ogres" (2013) de Nicolas Bary, ou un univers à la Podalydès ("Les 2 Alfred" sortit cet été) sauf qu'ici l'histoire vire au drame de façon presque inattendu. Camille est une femme jouissive et fantasque mais cache une fêlure psychologique qui va prendre de plus en plus de place. Au départ on devine que quelque chose ne vas pas aller, mais petit à petit les fêlures vont apparaître, créant malaise, accident, crise jusqu'à un point de non retour où Georges comprend que leur univers a aussi besoin d'un retour les pieds sur terre. On est un peu désarçonné par un style qui promet une comédie, d'ailleurs on rit, on sourit beaucoup, c'est touchant et drôle, mais on comprend aussi qu'on est surtout dans un drame qui se cache, qui tente de trouver une issue, on est ému, c'est déchirant, on pleure soudain beaucoup. Régis Roinsard signe un film à la fois flamboyant et triste, une fable moderne et virevoltante qui nous rappelle malheureusement à la dure réalité de la vie alors même que l'histoire tente de nous prouver que tout est possible. Un film assez unique avec en prime une famille presque idéale incarnée par des acteurs prodigieux. Un très bon, beau et grand moment qui laisse un goût amer, celui de la fatalité. Un film qui ne peut laisser indifférent.
Note :