Madeleine Collins (2021) de Antoine Barraud
4ème long métrage après "Song" (2007), "Les Gouffres" (2012) et "Le Dos Rouge" (2015) pour Antoine Barraud, entre coupé de plusieurs courts et/ou documentaires. Un retour toujours aussi ambitieux après des précédents films qui ont eu du mal à trouver leur public. Pour ce projet le réalisateur-scénariste voulait une variation autour de la double vie : "La double vie, on l'a vu de nombreuses fois au cinéma, mais quasiment jamais avec une femme. Parce que la question des enfants, s'il y en a, se pose immédiatement (...) Cet obstacle de la grossesse visible ou pas sur lequel je butais forcément très vite et qui ne se poserait pas pour un homme m'intéressait. Je me souviens de Danièle Dubroux, la réalisatrice du formidable Border Line, qui disait vouloir toujours "défendre l'indéfendable". Il y a de ça dans le personnage de Judith : elle est tout le temps en train de défendre l'indéfendable..." Avec ce projet le cinéaste renoue avec sa thématique de la perte d'identité abordé déjà dans "Les Gouffres" où Mathieu Amalric ressortait des entrailles de la Terre en étant quelqu'un d'autre. Mais il aura fallu plusieurs années à Antoine Barraud pour terminer son scénario, qui aura semble-t-il pris un tournant avec sa collaboration tardive avec Helena Klotz directrice artistique sur "Dheepan" (2015) de Jacques Audiard et surtout réalisatrice-scénariste de "L'Âge Atomique" (2012). Un résultat salué du Prix Sopadin du Jury du meilleur scénario 2017. Le réalisateur-scénariste avoue s'être particulièrement inspiré du film "Kramer contre Kramer" (1979) de Robert Benton..
Judith mène une double vie, en France elle est mariée à un chef d'orchestre réputé et mère de deux garçons qui ne sont au courant de rien, en Suisse elle est en couple avec un homme et ils ont une fillette, l'enfant ne sait rien mais lui est au courant de la double vie de Judith. Mais pour gérer elle a dû s'organiser autrement niveau professionnel qui lui permet de faire croire à son époux qu'elle doit voyager 3-4 jours par semaine. Mais évidemment, après 4-5 ans le fragile équilibre commence à se fissurer... Cette femme qui se partage est incarnée par Virginie Efira vue récemment dans "Benedetta" (2021) de Paul Verhoeven et "Lui" (2021) de et avec Guillaume Canet. Son époux est interprété par Bruno Salomone surtout habitué aux comédies comme "Brice de NIce" (2005) de James Huth ou le dyptique "Tamara" (2016-2018) de Alexandre Castagnetti, et qui retrouve ainsi Antoine Barraud scénariste du film d'animation "Gus, Petit Oiseau, Grand Voyage" (2015) de Christian De Vita. Un de leur fils est joué par Thomas Gioria révélé par le drame "Jusqu'à la Garde" (2017) de Xavier Legrand. Le second conjoint est interprété par l'acteur espagnol Guim Guttierrez remarqué dans "Azul" (2006) de Daniel Sanchez Arevalo, vu déjà dans un film français avec "Les Yeux Jaunes du Crocodile" (2014) de Cécile Telerman et récemment dans le très hollywoodien "Jungle Cruise" (2021) de Jaume Collet-Serra. Dans des rôles plus secondaires citons Jacqueline Bisset vue dernièrement dans "Messe Basse" (2020) de Baptiste Drapeau, Valérie Donzelli vue récemment "On est Fait pour s'Entendre" (2021) de et avec Pascal Elbé, Nathalie Boutefeu qui retrouve le réalisateur après "Les Gouffres" et "Le Dos Rouge", puis enfin l'israélien Nadav Lapid plus connu comme réalisateur lui-même notamment de "Le Genou d'Ahed" (2021)... Pour commencer on ne peut que saluer un casting judicieux, évidemment Virginie Efira dont la beauté solaire n'a rien d'extravagant et permet une empathie certaine, Quim Gutierrez est peu connu en France et permet ainsi d'être à la fois personne et tout le monde, mais le plus surprenant est sans doute le choix de Bruno Salomone en parfait contre-emploi, jusqu'au jeune Thomas Gioria dont la présence crée un lien subliminal avec son drame dans "Jusqu'à la Garde".
Le film débute par un prologue qui pourrait paraître hors du temps, hors du film, qu'on devine être un flash-back qui pose surtout la question le pourquoi du comment. Ensuite on remarque plusieurs détails qui n'en sont pas et qui permettent une crédibilité de l'intrigue : un des conjoints est au courant de la double vie, une double vie qui a duré max 5 années (ce qui est déjà pas mal !), deux familles pour deux niveau social différents où Judith passe de femme entretenue à l'inverse (pour résumer !), sans compter un époux qui se veut aveugle. Pour reprendre une référence on a une petite pensée pour le film "Les Nuits de la Pleine Lune" (1984) de Eric Rohmer où on peut entendre le proverbe "Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison."... On se doute qu'une telle vie est intenable, mais alors que les mensonges et les hasards finissent par acculer Judith le premier intérêt du film est de relier le récit à la première scène du film, et de comprendre comment elle a pu s'organiser surtout dans les premiers mois. Mais à l'instar de la vie compliquée de Judith en tant que spectateur on peut avoir du mal à comprendre, ou du moins à accepter quelques paramètres qui pourraient être des invraisemblances. Ainsi l'époux avale tout ce que sa femme lui dit notamment sur ses voyages, mais surtout on a bien du mal à suivre sur sa fausse pièce d'identité tant on ne voit pas le but ou la nécessité, puis comment avoir pu cacher la relation double aux grands-parents ?! Mais pourtant on y croit tant bien que mal, on se souvient de quelques faits divers encore plus improbables pour nous laisser s'y méprendre. Le montage est parfois aléatoire, des césures pas forcément utiles mais qui participent au mystère et au flou qui envahit l'esprit de Judith/Efira. Le plus gros défaut concerne le personnage du faussaire de faux papiers, rôle superflu et inutile qu n'apporte rien à l'histoire. Néanmoins, le scénario reste malin, le drame sous-jacent déchirant, la performance de Virignie Efira émeut pour un drame aussi prenant que triste qui nous lâche pas du début à la fin.
Note :