À nos Amours (1983) de Maurice Pialat
Ce projet est parti d'une idée et d'un scénario de Arlette Langmann, épouse et collaboratrice de Claude Berri, mais également une fidèle de Maurice Pialat puisqu'elle a été sa monteuse puis sa scénariste dès "L'Enfance Nue" (1968), et offre avec ce film leur dernière collaboration. D'ailleurs le personnage masculin principal est inspiré justement de Claude Berri, son alter ego dans le film, Dominique Besnehard confirmait à l'époque : "Le scénario est complètement autobiographique. (...) Ce qui a été très important pour moi avant d'affronter le tournage, c'est que je connaissais très bien toute cette famille et les rapports qu'ils avaient entre eux, j'étais imprégné de cet univers un peu violent de personnes qui ne savent pas s'aimer au même moment, ou qui n'arrivent jamais à se dire qu'ils s'aiment." Le scénario est ensuite co-signé logiquement avec Pialat lui-même. Après un interlude plus "policier" avec "Loulou" (1980) le réalisateur-scénariste revient ainsi avec la thématique familiale sur fond de crise. A noter que sur ce film Pialat est assisté de deux assistants-réalisateurs qui deviendront célèbres, Cyril Collard futur cinéaste de "Les Nuits Fauves" (1992) et Florence Quentin futur réalisatrice et scénariste attitrée de Etienne Chatiliez. Le film sera un joli succès engrangeant pas loin du million d'entrées France, et en prime deux Césars, du Meilleur film ex-aequo avec "Le Bal" de Ettore Scola, et Meilleur espoir féminin pour une certaine Sandrine Bonnaire... Suzanne 16 ans est en vacances sur la Côte d'Azur. Elle joue avec Luc, sortant avec lui puis le repoussant, avant de coucher avec un inconnu. De retour à Paris elle multiplie les aventures ce qui n'est pas sans créer des tensions à la maison. Quand ses parents se séparent cela empire notamment avec son frère qui devient violent face à un Suzanne qui a bien l'intention de continuer à être volage...
L'adolescente Suzanne est incarnée par la toute jeune Sandrine Bonnaire, choisie pour le rôle alors tout juste âgée de 15 ans et qui venait juste de faire des apparitions discrètes dans "La Boum" (1980) de Claude Pinoteau et "Les Sous-Doués en Vacances" (1982) de Claude Zidi. Elle va vite devenir une star en enchaînant avec "Sans Toit ni Loi" (1985) de Agnès Varda et en retrouvant Pialat pour "Sous le Soleil de Satan" (1987). Les parents sont interprétés par Evelyne Ker, qui a débuté dans "Les Fruits Sauvages" (1953) de Hervé Bromberger, et vue entre autre dans "Classe Tous Risques" (1959) de Claude Sautet et "Et Vive la Liberté !" (1977) de Serge Korber, puis Maurice Pialat lui-même qui fait l'acteur de temps en temps, pour les autres comme dans "Que la Bête Meure" (1969) de Claude Chabrol ou "Mes Petites Amoureuses" (1973) de Jean Eustache, puis chez lui en retrouvant notamment Sandrine Bonnaire dans "Sous le Soleil de Satan". Le frère est lui joué par Dominique Besnehard, agent artistique et découvreur de talent renommé et acteur de second rôle récurrent depuis "Un Sac de Billes" (1975) de Jacques Doillon. Citons ensuite Cyril Collard dans son premier long métrage (sinon déjà été acteur ou scénariste ou réalisateur sur des courts métrages), Pierre-Loup Rajot qui se lance cette même année avec aussi "La Scarlatine" (1983) de Gabriel Aghion et "Garçon !" (1983) de Claude Sautet, Christophe Odent qui sera un acteur fidèle de Bertrand Tavernier avec "La Vie et Rien d'Autre" (1989), "L'Appât" (1995) et "Laissez-Passer" (2002), puis Jacques Fieschi qui deviendra surtout scénariste notamment en retrouvant Pialat sur "Police", Cyril Collard sur "Les Nuits Fauves", devant un collaborateur fétiche de Nicole Garcia sur tous ses films jusqu'au tout récent "Amants" (2022)... Après un joli générique où Sandrine Bonnaire est filmée à la fois sensuelle et virginale sur un bateau, le film débute comme un film d'ados en vacances comme il y en avait à foison à l'époque mais on comprend vite que Suzanne passe d'un homme à un autre sans avoir de sentiments, ni même de plaisirs. Une façon de faire qui pourrait passer mais on est déjà plus dans la Parenthèse Enchantée et une réputation de "marie-couche-toi-là" est vite faite. On se doute que Suzanne cherche surtout à être aimer ou est-ce plutôt elle qui cherche à aimer ?! Cela se confirme quand elle dit avoir "le coeur sec", ce à quoi son père lui réponds "Tu crois aimer et puis en fait tu attends seulement qu'on t'aime".
Evidemment, la réputation de leur fille devient encore plus problématique quand le papa quitte le domicile familial, maman devient dépressive, et le frère aussi paumé que le reste de la famille devient violent et trouve comme excuse la liberté sexuelle trop scandaleuse de sa soeur. Ainsi les premières amours adolescentes correspondent à la fin de l'amour parentale. Mais alors que Pialat filme cette famille de façon viscérale, directe et brute on s'essouffle aussi et on s'agace devant tant de cris incontrôlés et incontrôlables. La violence physique est impressionnante (de vrais baffes et de vrais coups ?!) et saisissante de réalisme, ce qui crée un paradoxe étonnant avec les scènes intimes où on ne croit jamais aux baisers qui sont d'une pudeur peu crédible (on baise le menton ?!). Très vite, les scènes familiales, surtout avec mère-fils sont insupportables de surjeu et d'hystérie. Par contre on adore les séquences père-fille, où on ressent un réel lien filial entre Sandrine Bonnaire en ado ingénue quoi qu'elle en dise, et Pialat en père tendre et compréhensif. Un lien devant la caméra qui fonctionne d'autant bien que les deux acteurs improvisent la plupart de leurs scènes. Dans le scénario original, le père devait mourir, d'où le passage où Suzanne s'inquiète de l'oeil jaune de son père. Plus anecdotique, on notera qu'un certain Vincent Van Gogh est cité plusieurs fois dans le film, renvoyant en avance au futur film de Pialat "Van Gogh" (1991). En conclusion, un drame familial plus qu'une chronique adolescente, où Pialat décrit frontalement une famille dysfonctionnelle. Du Pialat pur jus, du réalisme abrupte et touchant plus ou moins fin et subtil.
Note :