Café de Paris (1938) de Yves Mirande et Georges Lacombe
À ne pas confondre avec le film éponyme (1943) de Edgar Neville, mais le titre et le film font surtout référence au Café de Paris, alors célèbre café parisien qui était d'abord au n°10 boulevard des Italiens avant de se déplacer au n°41 avenue de l'Opéra mais aujourd'hui disparu. Le film est un policier façon Hercule Poirot dans un restaurant mais au style bien français avec en arrière-plan la bonne société parisienne et ses travers. Le film est réalisé et écrit par Yves Mirande connu pour des films comme "La Merveilleuse Journée" (1932), "Sept Hommes, Une Femme" (1936), "Messieurs les Ronds de Cuir" (1936) ou plus tard "Paris-New-York" (1940). Si l'oeuvre reste son film il a été assisté sur le tournage par deux compères, le réalisateur Georges Lacombe qui a été assistant de René Clair avant de signer des films comme "La Femme Invisible" (1933) ou "Martin Roumagnac" (1946), puis au scénario par Robert Vernay notamment connu pour les deux versions de "Le Comte de Monte Cristo" (1943-1954)... La soirée du Réveillon bat son plein dans les salons du Café de Paris où la clientèle parisienne cosmopolite et mondaine s'est réunie. Les amuseurs et les fêtards rient et profitent, mes les rumeurs ou les ragots vont bon train également surtout lorsqu'arrive Lambert, patron haï et redouté du journal à scandale la Parlotte. Mais quand les lumières s'éteignent à Minuit, on s'aperçoit de la mort de Lambert lorsque tout se rallume, assassiné par un coup de couteau en plein restaurant. Ca tombe bien, le commissaire est dans les murs et aussitôt la Police bloque les issues et commence à interroger toute la clientèle. Bientôt arrive également sur les lieux le Substitut du Procureur et le chef de la Sûreté. Les trois enquêteurs se partagent le travail tout en espérant trouver le coupable avant les deux autres...
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Le casting est riche de quelques uns des plus beaux seconds rôles du cinéma français d'avant-guerre comme André Roanne, Maurice Escande, jean Coquelin, Marcel Carpentier, Alexandre Rignault ou Marcel Simon qui joue le directeur du Café de Paris. Tous ont joué un jour ou l'autre avec leurs partenaires dans d'autres oeuvres, et la plupart des acteurs du film tourneront à nouveau pour les réalisateurs et scénaristes du film. Les trois enquêteurs en chef sont incarnés par Roger Gaillard vu entre autre dans "L'Opéra de Quat'Sous" (1931) de G.W. Pabst, "La Chienne" (1932) de Jean Renoir et "Divine" (1935) de Max Ophüls, après lequel il retrouve Marcel Vallée donc qui débuta dans les courts métrages de et avec Max Linder et vu depuis dans "La Veuve Joyeuse" (1934) de Ernst Lubitsch ou "Topaze" (1951) de Marcel Pagnol, puis Jacques Baumer vu dans "La Belle Equipe" (1936) de Julien Duvivier, "Gribouille" (1937) de Marc Allégret, "Mollenard" (1937) de Robert Siodmak ou encore "Le Jour se Lève" (1939) de Jean Renoir. Les plus connus n'ont pas obligatoirement les rôles principaux, citons Pierre Brasseur acteur majeur des années 30 à 70 avec quelques chefs d'oeuvres comme "Quai des Brumes" (1938) et "Les Enfants du Paradis" (1945) tous deux de Marcel Carné ou "Les Yeux sans Visage" (1960) de Georges Franju, Julien Carette vu surtout chez Jean Renoir avec "La Grande Illusion" (1937), "La Marseillaise" (1938), "La Bête Humaine" (1938) et "La Règle du Jeu" (1939), puis l'immense Jules Berry vu notamment dans "Le Crime de Monsieur Lange" (1935) de Jean Renoir, "Le Jour se lève" (1939) de Marcel Carné et "Les Visiteurs du Soir" (1942) de Marcel Carné où jouera également Julien Carette. Citons tout de même "la victime" Jacques Grétillat qui passera des premiers rôles comme dans "Le Père Goriot" (1921) de Jacques de Baroncelli et "Danton" (1932) de André Roubaud aux seconds rôles comme dans "Gribouille" (1937) de Marc Allégret, "Le Joueur d'Echecs" (1938) de Jean Dréville ou "Quai des Orfèvres" (1947) de Henri-Georges Clouzot. Puis n'oublions pas les dames sans qui le Réveillon seraient moins enthousiasmant avec Simone Berriau qui retrouve Roger Gaillard après "Divine" (1935), Vera Korène et Florence Marly qui se retrouveront dans "La Brigade Sauvage" (1939) de Marcel L'Herbier et Jean Dréville, puis l'inénarrable Raymone, compagne et muse du poète Blaise Cendras à la ville qui sera abonnée au rôle de patronne de bar ou d'employée d'hôtel comme dans "Hôtel du Nord" (1938) de Marcel Carné et "Remorques" (1939) de Jean Grémillon...
Dès les premières secondes on est plongé dans l'effervescence du Café de Paris, les mondains et les nantis se réunissent dans un restaurant huppé pour faire la fête mais aussi pour se montrer et/ou faire affaires. Tout le gratin est là, toute la bonne société est là avec les journalistes, marchands d'armes, aristocrates, hommes politiques, maîtresses et amants, artistes... etc... le tout dans une joyeuse cacophonie où les rires se mêlent aux bons mots comme aux plus mesquins. En quelques minutes on plonge donc dans une sorte d'étude de moeurs aussi savoureuse que corrosive. Il y a plusieurs niveaux de lectures, d'abord les "on dit que" et les non-dits, les luttes intestines, les idylles interdites, les affaires plus ou moins véreuses, les convenances et les politesses hypocrites... etc... Puis quand arrive le meurtre on est amusé de la petite guéguerre entre les trois enquêteurs qui tentent d'aller vite pour devancer leurs collègues. L'intrigue devient passionnante tant les indices accusent tantôt l'un tantôt l'autre, un suspense qui joue les chaises musicales entre les salons du Café de Paris avec deux paramètres assez exceptionnels pour frôler du doigt un certain génie. D'abord la qualité des interprètes, des acteurs qui seraient presque dans leur élément, cabotinant parfois mais toujours si bien assorti dans ce milieu bourgeois avec plusieurs face à face savoureux, ensuite, c'est à l'image des merveilleux dialogues à la fluidité gourmande et aux répliques qui fusent dans des joutes savamment orchestrées. En prime l'élégance des belles et le charisme des "bêtes". Un film choral épatant comme c'est rarement le cas dans le genre, à tel point qu'on rêverait avoir une table à ce réveillon ! À voir, à revoir et à conseiller.
Note :