Les Olympiades (2021) de Jacques Audiard
Après son western à l'américaine "Les frères Sisters" (2018), Jacques Audiard a voulu revenir chez lui, chez nous, revenir aux sources et à la fois aux antipodes avec un milieu urbain. L'inspiration lui est venue grâce à une amie qui lui a fait découvert des nouvelles graphiques et bandes dessinées (2015) de Adrian Tomine, à savoir les nouvelles "Amber Sweet", "Killing and Dying" et "Hawaiian Getaway". Evidemment, les récits sont transposés en France, et plus précisément à un quartier du 13ème arrondissement de paris auquel fait référence le titre. Le cinéaste précise : "Ce quartier correspond à un plan de rénovation du quartier dans les années 70, d'où son homogénéité architecturale vraiment constatable. En souvenir des jeux olympiques d'hiver de Grenoble de 1968, chaque tour porte le nom d'une ville olympique : Sapporo, Mexico, Athènes, Helsinki, Tokyo... Et les rues, des noms de discipline olympique : rue de Javelot, rue du Disque... Les Olympiades est un quartier très original, exotique, vivant, socialement et culturellement mélangé." Pour ce projet, Audiard a d'abord collaboré avec Céline Sciamma qui venait de signer le magnifique "Portrait de la Jeune Fille en Feu" (2019), puis ils ont été rejoint par Léa Mysius, autre réalisatrice-scénariste particulièrement remarquée pour sa jolie "Ava" (2017), les deux femmes cinéastes ont en commun d'avoir écrit également pour André Techiné, "Quand on a 17 ans" (2016) pour Sciamma et "L'Adieu à la Nuit" (2019) pour Mysius. Précisons, que vis à vis de l'oeuvre de Adrian Tomine, seul le personnage de Camille a été inventé pour le film et rajouté à l'histoire...
Aujourd'hui, quartier des Olympiades, Emilie jeune femme d'origine asiatique rencontre Camille beau black qui est aussi attiré par Nora jolie brune qui elle-même rencontre ensuite une autre brune, Amber. Trois femmes et un homme, plusieurs possibilités où il sont parfois amis parfois parfois les deux... la star du film s'avère être la sublime et magnétique Noémie Merlant qui était justement dans "Portrait de la Jeune Fille en Feu", mais vue également dernièrement dans "Curiosa" (2019) de Lou Jeunet et "Jumbo" (2020) de Zoé Wittock. Si elle est la plus connue du casting, elle est sur un pied d'égalité avec ses partenaires Lucie Zhang, jeune inconnue ont l'expérience se résume à un petit rôle dans le court métrage "Désire" (2020) de Jingqian Zhou, Jehnny Beth chanteuse et musicienne aperçue au cinéma dans "Un Amour Impossible" (2018) de Catherine Corsini et "Kaamelot : Premier Volet" (2021) de et avec Alexandre Astier, puis le jeune homme incarné par Makita Samba aperçu dans de petits rôles dans "À Moi Seule" (2012) de Frédéric Videau et "Angelo" (2019) de Markus Schleinzer. Citons ensuite Océane Caïraty, ex-footballeuse pro de Lyon et de l'équipe de France reconvertie comédienne en 2017 essentiellement au théâtre, puis enfin Geneviève Doang qui a construit surtout une carrière dans le doublage depuis une dizaine d'années mais qu'on a pu apercevoir en infirmière de la Résistance dans "Terminator Dark Fate" (2019) de Tim Miller... Audiard avoue une référence majeure, à savoir le film "Ma Nuit chez Maud" (1969) de Eric Rohmer, mais là où le réalisateur de la Nouvelle Vague à une vision platonique à son histoire Audiard choisit un processus inverse avec des trentenaires qui couchent le premier soir dirigés par leurs désirs instantanés et leur impulsivité. Le réalisateur-scénariste précise alors sa pensée : "Mais que se passe-t-il après ? Y-a-t-il la possibilité d'un discours amoureux ?" Le cinéaste est alors judicieusement dans l'air du temps et s'inscrit dans une démarche d'une modernité insolente. Car oui aujourd'hui la liberté sexuelle est sans doute plus que jamais réelle et se contrefout des barrières. L'autre choix très malin du scénario est d'avoir choisit des protagonistes d'origines différentes sans jamais tomber dans la démagogie politico-sociale, ni dans le jugement ni dans des débats ou on devine forcément un propos de tolérance. Audiard évité cet écueil aussi éculé que galvaudé pour se focaliser sur les sentiments et les émotions sans se soucier à aucun instant de la couleur de peau ou de religion comme on pourrait notamment s'y attendre sur les dernières minutes.
Dès les premières secondes le réalisateur impose une sensualité qui paraît naturelle et sans tabou, mais bien loin de l'esbroufe démonstrative d'un Kechiche comme dans "Mektoub my Love" (2018) dont il serait l'anti-thèse. Audiard, c'est le réalisateur intelligent et cohérent, créatif sur le fond comme sur la forme et il le prouve encore avec ce film. Le Noir et Blanc est sublime de sobriété et donne un contraste visuel à la modernité du propos, à l'instar des Olympiades et de ses tours très rectilignes qui font aussi contrastes aux flous et hésitations des sentiments amoureux que connaissent les personnages. Deux paramètres qui vont pourtant connaître deux exceptions, la couleur apparaît que dans l'optique de sexe virtuel, et les immeubles bitumés laissent place à un parc verdoyant. Les corps nus et la chair ne sont jamais érotisés façon fantasmes, mais toujours montrés dans un naturel du quotidien, où ce qui compte est de prendre du plaisir, d'avoir un peu de bonheur, tout en ayant le plus de liberté possible et en laissant un peu de place à la séduction même si il faut faire attention ! Et surtout sans oublier qu'on a droit aussi à l'humour même quand on parle d'amour ou qu'on fait l'amour. Certains moments sont très drôles (l'anecdote de Amber Sweet surtout), et d'autres très émouvants mais sans être larmoyant ou pathos, et même dans sa modernité de traitement des émotions et des sentiments on n'est jamais dans le pathétique ou le cynisme mais plutôt dans une envie simple d'être libre de ses choix et dans un optimisme qui fait du bien. Evidemment on ne peut que saluer le casting, un quator d'acteurs beaux et charismatiques, sans pour autant être "hors normes", ils sont à la fois eux-mêmes et tout le monde. Noémier Merlant est une fois de plus sublime et reste sans aucun doute la plus grande actrice de sa génération, star mais sans jamais vampiriser l'écran et en laissant ses partenaires moins connus assumer et assurer leur rôle. Sans aucun doute Jehnny Beth et surtout Makita Samba et Lucie Zhang sont les révélations qu'on va revoir très vite. Puis pour terminer, précisons que les Olympiades sont filmés comme une ville intemporelle, voir universelle, jamais on y voit Paris, pas de coté carte postale, mais un ensemble de béton qui se libère au fur et à mesure de son carcan, et sans jamais filmer ce béton comme une prison ou un ghetto faisant ainsi face à son "Dheepan" (2015). Jacques Audiard signe une film aussi élégant sur le fond que sur la forme, impressionne même tant le film est frôle la perfection.
Note :