Clair-Obscur (2021) de Rebecca Hall
Vue dans des films comme "Le Prestige" (2006) de Christopher Nolan, "Vicky Cristina Barcelona" (2008) de Woody Allen ou "Une Promesse" (2013) de Patrice Leconte, l'actrice Rebecca Hall passe derrière la caméra pour la première fois avec un sujet rarement traité au cinéma, pour ne pas dire jamais à savoir le "passing" (Tout savoir ICI !), ethnique dans ce cas précis. La cinéaste adapte le roman "Passing" (1929) de Nella Larsen, elle-même afro-américaine qui se faisait à priori passer pour blanche ; roman traduit en français sous deux titres soit "Passer la Ligne" soit "Clair-Obscur", titre gardé pour le film. Mais Rebecca Hall s'inspire aussi de son propre grand-père qui était afro-américain dont elle dit qu'il se faisait passer pour blanc régulièrement. On remarque qu'à la production de ce projet on trouve deux noms connus, le réalisateur Oren Moverman à qui on doit les sublimes "The Messenger" (2009) et "Rampant" (2012), puis l'acteur afro-américain Forrest Withaker vu dernièrement dans "Jingle Jangle" (2020) de David E. Talbert et "Respect" (2021) de Liesl Tommy. blanc régulièrement. Rebecca Hall ne joue pas dans son film, mais elle assume donc la réalisation et le scénario adapté...
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À New-York dans les années 20, Clare est une femme noire qui se fait passer de temps en temps pour blanche, mais un jour son destin bascule lorsqu'elle croise Reenie, un ancienne amie perdue de vue qui se fait passer pour blanche depuis des années et ce, même auprès de son époux, un raciste riche et blanc. Reenie s'immisce de plus en plus dans la vie de Clare mettant ainsi son secret en danger... Reenie est incarnée par Ruth Negga vue dans "Twelve Years a Slave" (2013) de Steve McQueen, "Loving" (2016) de Jeff Nichols et "Ad Astra" (2019) de James Gray, son époux est interprétée par Alexander Skarsard qui retrouve Rebecca Hall avec laquelle il a joué dans "Godzilla vs Kong" (2021) de Adam Wingard, et retrouve après "War on Everyone" (2016) de John Michael McDonagh sa partenaire Tessa Thompson qui incarne Clare, qui retrouve aussi après "Selma" (2014) de Ava DuVernay celui qui joue son époux, Andre Holland vu également dans "Moonlight" (2016) de Barry Jenkins. Citons ensuite Bill Camp qui retrouve Ruth Negga après "Twelve Years a Slave" et "Loving", puis l'acteur Gbenga Akinnagbe vu dans "Hors de Contrôle" (2010) de Martin Campbell et "Detroit" (2017) de Kathryn Bigelow... Au vu du sujet précisons 2-3 choses : les actrices Ruth Negga et Tessa Thompson sont identifiées sans soucis comme des afro-américaines noires, néanmoins ajoutons que Ruth Negga a une mère irlandaise et un père éthiopien, tandis que Tessa Thompson a une mère mexico-européenne et un père afro-panaméen. Le fait que Rebecca Hall est optée pour un Noir et Blanc n'est certainement pas anodin, ce choix permet aussi de croire à des afro-américaines à la peau claire voir blanche. Comment croire sinon à ce que des blacks passent pour blancs ?! Précisons également, que si le "passing" a bel et bien existé la grande majorité des afro-américains qui y ont eu recours étaient en fait des métis. Le Noir et Blanc est donc un joli procédé pour forcer notre perception sur deux afro-américaines qu'on doit imaginer blanche, un joli procédé même si ça paraît peu subtil sur le fond ça fait toujours son effet sur la forme. Néanmoins, il s'agit de deux actrices connues qu'on a bien du mal à voir autrement que noires, même en Noir et Blanc et il faut un certain temps avant d'y croire un minimum. Et finalement c'est la richesse du récit qui permet de s'intéresser à l'histoire, car plus qu'une histoire de "passing" le scénario est assez riche et dense pour aborder d'autres thématiques.
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Ainsi, n'oublions pas que l'histoire se situe lors de ce qu'on appelle la "Renaissance de Harlem" (Tout savoir ICI !), avec une réelle ébullition artistique et intellectuelle dans la communauté afro-américaine, une certaine liberté (même si c'est essentiellement à Harlem), mais on est aussi dans une période sombre où les lynchages sont encore légions (même si essentiellement dans le Sud)... Ce qui explique aussi les deux points de vue des deux amies ; Clare se fait passer pour blanche avec parcimonie, avec une appréhension, sans abuser et reste sinon dans le giron de sa communauté et reste avant tout en société avec les siens, tandis que Reenie a quitté sa communauté pour assumer une vie de blanche durant des années, jusqu'à épouser un raciste, elle semble heureuse mais pourtant elle passe de plus en plus de temps avec les afro-américains lorsqu'elle revoir Clare. La dimension psychologique est ici loin d'être anodine. Se perdre durant des années loin de ce qu'elle a connu, durant des années à acquiescer au racisme de son mari, Reenie semble prête à tout perdre sans se l'avouer réellement. Et dans le même temps, l'effervescence à Harlem donne de l'espoir pour les afro-américains, mais elle crée aussi une bourgeoisie au sein de leur communauté ce qui pousse aussi à un décalage social et à un rapport social nouveau comme en témoigne l'employée afro-américaine de Clare et de son époux. La vraie réussite du film est d'avoir su toucher du doigt la situation des afro-américains à une époque charnière, à la fois sous-citoyens mais avec un peu d'espoir avec une question sous-jacente : vaut-il mieux tenter une coopération (au sens plus ou moins large du terme) avec les blancs où faut-il plutôt opter pour une solidarité communautaire et espérer une élite noire ?! Rebecca Hall ne préfère pas répondre, elle reste neutre mais démontre qu'au sein de la communauté afro-américaine les choix de chacun ne sont jamais aisés. En conclusion, le seul petit bémol serait la capacité à croire que ces deux femmes puissent réellement passer pour blanche sans que les blancs ne réagissent d'aucune manière, mais aidé par un Noir et Blanc de toute beauté, une photographie sublime, deux femmes touchantes, et surtout un scénario passionnant jusque dans les détails intergénérationnels, intercommunautaires, ou même de castes. Un superbe film donc à voir et à conseiller.
Note :