Rien à Foutre (2022) de Emmanuel Marre et Julie Lecoustre
le cinéaste Emmanuel Marre a eu l'idée du film sur un vol Ryanair, alors qu'il était au premier rang face à une hôtesse de l'air qui semblait aller mal. Le cinéaste précise : "Et puis, il a eu le "ding", elle a décroché un immense sourire et a commencé à sortir le chariot des boissons, proposer des trucs à vendre... La dichotomie entre ces deux images, ce moment d'introspection et cette agitation professionnelle, était puissante et amenait une question : qu'a-t-elle laissé au sol, cette jeune femme, avant de s'envoler ? Plus tard, j'ai repensé à cette scène et à un tableau de Hopper, L'Ouvreuse, et j'ai eu envie de déplier cette double image." Pour ce projet il a rencontré plusieurs personnes travaillant pour les compagnies low-cost pour un constat : malgré les conditions de travail et les salaires misérables hôtesse de l'air fait toujours rêvé même en low-cost. Au départ ce projet devait se faire en solo puis finalement Emmanuel Marre a proposé un duo à Julie Lecoustre qu'il retrouve donc après leur moyen métrage en commun "D'un Château l'Autre" (2018). Il s'agit du premier long métrage des deux réalisateurs-scénaristes, avant cela Emmanuel Marre a signé plusieurs courts métrages et a collaboré avec Antoine Russbach sur le court "Michel" (2008) et le long "Ceux qui Travaillent" (2018)...
Cassandre, 26 ans, est hôtesse de l'air sur une compagnie low-cost. Vivant au jour le jour elle enchaîne les vols et les soirées festives sans lendemain fidèle à son pseudo internet "Carpe Diem". Mais sans attache réelle, libre mais seule, et en subissant bientôt un travail qu'elle aime mais une pression professionnelle toujours plus forte, elle commence à perdre pied... L'héroïne est incarnée par Adèle Exarchopoulos qui multiplie les expériences ciné ces derniers temps avec l'oubliable "Forte" (2020) de Katia Lewkowicz, l'OFNI "Mandibules" (2020) de Quentin Dupieux et le succès "BAC Nord" (2021) de Cédric Jimenez. Autour d'elle de nombreux acteurs amateurs ou débutants, mais citons Jonathon Sawdon aperçu dans "Une Promesse" (2014) de Patrice Leconte, Mara Taquin vue récemment dans "After Blue (Paradis Sale)" (2022) de Bertrand Mandico, deux acteurs qui retrouve le réalisateur Emmanuel Marre après le court métrage "Le Film de l'Eté" (2017), Alexandre Perrier aperçu dans "Bang Gang" (2016) de Eva Husson et surtout Jean-Benoît Ugueux qui retrouve Adèle Exarchopoulos après "Le Fidèle" (2017) de Mickaël R. Roskam et vu depuis dans "I Feel Good" (2018) du duo Benoît Delépine et Gustave Kervern retrouvant ce dernier sur "Poissonsexe" (2020) de Olivier Babinet... On suit donc Cassandre, hôtesse de l'air dans une compagnie low cost qui vit au jour le jour, alternant vols, fêtes et beuveries. On ne sait pas vraiment ce qu'elle veut, elle non plus d'ailleurs. Durant près d'une heure le scénario suit un rond-point où Cassandre effectue un vol, sort en discothèque, va sur Tinder, couche sans lendemain, effectue un nouveau vol, sort, couche, se saoule, et rebelote. On se demande où va nous mener ce tournez-manège, on se demande où tout ça va mener Cassandre. Les deux réalisateurs penchent vers une sorte de docu-fiction sur la face cachée des hôtesses de l'air, car oui effectivement le fantasme a ses limites, il y a les low cost et les Emirates. Les deux cinéastes précisent : "On a appris beaucoup sur les conditions de vie des hôtesses : elles sont très jeunes, viennent de toute l'Europe, de plus en plus des pays de l'Est, et vivent souvent en petites communautés apatrides, dans des colocations près des aéroports. Elles sont en décalage permanent, on leur donne un planning hebdomadaires et elles découvrent leurs destinations. Ca nous intéressait que le personnage se perde dans un non-temps, entre des non-lieux. Ca résonne avec le geste du "swipe", ce coup de pouce qui sur une application de rencontre, fait passer d'un rendez-vous potentiel à un autre. Et avec le fait que lorsqu'on demande à cassandre depuis combien de temps elle travaille, elle est obligée de regarder la chronologie de son instagram."
Oui, peut-être me direz-vous, mais quand elle réponds on se dit que "c'est tout" ?! Elle est jeune, ne travaille pas depuis si longtemps, et surtout les deux cinéastes semblent généralisés la situation dans le mal-être de Cassandre mais cette dernière semble être la seule à être mélancolique ou du moins un peu paumée, ses collègues sont toutes professionnelles et souriantes et on ne sent aucun appui ou lien tangible avec ses collègues. On remarque surtout son immaturité, personnellement et professionnellement, comme par exemple dans sa réponse toute puérile face à ses collègues grévistes. Puis soudain le récit quitte l'aéroport et les avions pour une partie "terrienne", et familiale. Soudain on se perd car on ne sait toujours pas ou veulent nous mener les deux réalisateurs. D'une chronique de la jeunesse en perdition à une immersion dans le low cost aérien, on passe alors à une sorte de comédie dramatique familiale pour une film qui s'éparpille autant que l'esprit de Cassandre, sans savoir où aller, sans savoir quelle direction prendre. Adèle Exarchopoulos porte le film, elle est touchante, mais pas aidée par un scénario un peu vain, symptomatique de cette mise en scène qui oscille entre immersion presque en façon found-footage, et une dimension contemplative avec des séquences étirées sans intérêts sur bâtiments divers et variés ou une héroïne qui fait de la trottinette électrique. Ca ne fait pas passer le schmilblick mais le côté auteuriste doit donner des ailes aux deux réalisateurs. En conclusion un film avec une base d'idées intéressante mais qui finit par se perdre dans son propre sillon. Quelques passages restent empreint d'une certaine grâce (merci Adèle) mais qui au final ne raconte rien de bien consistant. Dommage...
Note :