Oranges Sanguines (2021) de Jean-Christophe Meurisse

par Selenie  -  22 Avril 2022, 09:56  -  #Critiques de films

Voilà un film qu'on peut sans mal qualifier de OFNI (Objet Filmé Non Identifié) et qui va assurément ne laisser personne indifférent. Attention ! Disons-le de suite, si le film est interdit au moins de 12 ans, nous pensons même que moins de 16 ans ne serait pas choquant. Après un court métrage remarqué avec "Il est des Notres" (2013) et un premier long avec "Apnée" (2016), le réalisateur Jean-Christophe Meurisse revient donc avec un film aussi audacieux que culotté autant sur la forme que sur le fond que son précédent "Apnée" mais en allant encore plus loin sur le propos comme sur la violence. On pourrait même préciser que c'est un film pour personne averti. Le cinéaste qualifie son film de "western, la rencontre de plein de méchants, avec un aspect social en plus. Le danger quand on est politique, c'est de tomber dans le militantisme , j'espère avoir évité cela. Quand je fais du cinéma, je ne fais pas de l'éducation nationale, et encore moins de la politique au sens partisan." Le réalisateur-scénariste co-signe le scénario avec deux  autres scénaristes, Amélie Philippe pour sa première expérience et Yohann Gloaguen qui a signé plusieurs courts métrages de "À Tout de suite" (2004) à "Cortège" (2020) en passant par "Comme un Air" (2006) ou "Nous Autres" (2018). Précisons que Jean-Christophe Meurisse est le fondateur de la troupe de théâtre Les Chiens de Navarre dont la plupart des membres participent au film... En France, on suit plusieurs personnages qui sont alors à un tournant de leur vie. Un couple de retraités espère gagné un concours de danse rock'n roll pour rembourser leurs dettes, ils ont un fils avocat qui doit aider un ministre soupçonné de fraude fiscal, ce dernier va rencontrer un psychopathe qui va s'en prendre à une adolescente qui s'est préparé auparavant pour sa première fois. Quelques jours qui vont être une éternité...  

Au casting débutons par les Chiens de Navarre avec Alexandre Steiger l'avocat remarqué dans "L'Ordre et la Morale" (2011) de et avec Mathieu Kassovitz et vu récemment dans "Eiffel" (2021) de Martin Bourboulon et "The French Dispatch" (2021) de Wes Anderson, Céline Fuhrer soeur de l'avocat aperçue dans "Chanson Douce" (2019) de Lucie Borleteau, Anthony Paliotti frère de l'avocat vu récemment dans "Les Confins du Monde" (2018) de Guillaume Nicloux et "Paul Sanchez est Revenu" (2018) de Patricia Mazuy, les parents danseurs sont incarnés par les ex-"Deschiens" (1933-1995) Olivier Saladin et Lorella Cravotta qui étaient aussi ensemble à l'affiche de "Tatie Danielle" (1990) de Etienne Chatiliez. Précisons que Fuhrer, Saladin, Steiger se retrouvent aussi avec le réalisateur après "Apnée" comme leur partenaire Fred Blin le psychopathe aperçu dans un seul autre film "Blanche Nuit" (2013) de Fabrice Sébille, et Pascal Tagnatti chauffeur de taxi aperçu notamment dans "Fidelio l'Odyssée d'Alice" (2014) de Lucie Borleteau et "La Loi de la Jungle" (2016) de Antonin Peretjatko. Les autres rôles principaux sont tenus par Christophe Paou ministre vu par exemple dans les films "Cornelius, le Meunier Hurlant" (2017) de Yann Le Quellec et "Je voudrais que Quelqu'un m'attende Quelque Part" (2019) de Arnaud Viard, la jeune Lilith Grasmug aperçue dans "Sophia Antipolis" (2018) de Virgil Vernier et bientôt dans "Le Passager de la Nuit" (2022) de Mikhaël Hers, Denis Podalydès vu récemment dans "Le Monde d'Hier" (2022) de Diastème et "En Corps" (2022) de Cédric Klapisch, acteur prolifique et omniprésent qui retrouve plusieurs partenaires Guilaine Londez après "Liberté-Oléron" (2001) et "Bancs Publics (Versailles Rive Droite)" (2009) de Bruno Podalydès, cette dernière retrouve aussi Olivier Saladin après "Le Bonheur est dans le Pré" (1995) de Etienne Chatiliez, Podalydès retrouve aussi Vincent Dedienne et Blanche Gardin après "Effacer l'Historique" (2020) du duo Kervern-Delépine et enfin, pour finir citons Patrice Laffont animateur TV connu qui joue ici comme souvent au cinéma son propre rôle comme dans "La Cité de la Peur" (1994) de Alain Berberian ou "Vilaine" (2008) de Jean-Patrick Benes et Allan Mauduit... On sent d'emblée que le budget a dû être serré, les décors sont simples, natures qu'on devine facile à trouver, pratiquement pas de stars en tous cas abordables, une mise en scène directe, sans esbrouffe mais inspirée sur certaines séquences. Le film débute avec un concours de danse qu'on pourrait qualifier de locale et populaire où un jury s'engueule sur des détails qui n'en sont pas pour tout le monde. Quelques minutes qui annonce la couleur, ça va être bête et méchant mais au combien politique, un miroir grossissant d'une société, la notre nous français. Mais on savoure d'abord car on pense être dans une comédie vacharde façon Groland mais en plus acide encore. Petit à petit on fait connaissance avec tous les protagonistes, en gros le couple de retraités danseurs sont reliés indirectement au ministre via leur fils avocat, le ministre est relié indirectement à l'adolescente via la psychopathe... etc...

Le tout dans un scénario plutôt bien ficelé qui crée des parallèles entre les personnages avec des liens en filigrane qui se dessinent comme le ministre des finances face aux retraités surendettés, le ministre aux moeurs tendancieux et une ado prête pour sa première fois, l'avocat qui ne semble jamais vraiment à sa place... Il y a des passages assez hilarants, mais aussi des passages plus malaisants pour ne pas dire choquants toujours dans une ambiance singulière comme un brûlot sans concession et féroce de notre société. Et ce qu'on aime c'est que le film n'est jamais moralisateur, que le réalisateur ose et secoue, on se retrouve souvent dans une situation inconfortable mais on reste aussi tant on est constamment entre fascination et malaise devant ce miroir pas si déformant que ça. Certains passages frappent forts (attention aux âmes sensibles !) mais le réalisateur rappelle que l'affaire du rapt de l'adolescente (du rapt lui-même à l'issue judiciaire !) est tirée d'un fait divers véridique survenu aux Etats-Unis en 2015, ou que le débat au ministère sur la question du budget a été supervisé par des conseillers politiques pour le réalisme. Le réalisateur a su aussi gérer entre écriture et improvisation ce qui donne de la vitalité au récit comme justement ce débat au ministère, cette séquence hilarante avec la gynéco ou, surtout, cette scène "luchinienne" entre les deux avocats Podalydès et Steiger sur l'arrogance et l'insolence. On notera aussi un clin d'oeil au Buffalo Bill du film "Le Silence des Agneaux" (1991) de Jonathan Demme. Ce face à face est d'ailleurs très intéressante car renvoie au projet même du film signé Jean-Christophe Meurisse. N'oublions pas les acteurs, tous absolument épatants dans des rôles parfois difficiles et/ou particulièrement ingrats, mention spéciale à Christophe Paou/ministre, Lilith Grasmug/ado révélation du film, sans compter deux personnages qui font froid dans le dos (taxi et psycho). Le cinéaste signe une comédie dramatique acide et clivante, constamment entre drôlerie et répulsion, malaise et fun. Un film qui n'a fait "que" 50000 entrées France ce qui ne surprend pas tant le bouche à oreille a dû faire peur à la majorité, mais un film qui a tout pour devenir culte, un film qui ne peut laisser indifférent, qui secoue certe mais qui à la grande qualité d'une audace trop rare pour passer à côté. A voir et à conseiller... aux âmes courageuses !

 

Note :                

17/20
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