Mars Express (2023) de Jérémie Périn

L'idée est venue un peu par accident, puisque c'est Didier Creste, producteur entre autre de "Polina, Danser sa Vie" (2016) de Valérie Müller et Angelin Preljocaj ou "La Sainte Famille" (2019) de et avec Louis-Do de Lencquesaing, et également de la série animée "Lastman" créée et/ou écrite par Jérémie Périn et Laurent Sarfati qui propose d'abord à ces derniers de porter cette série en long métrage. Contre toute attente, les deux compères proposent plutôt de réaliser un film de science-fiction qui serait influencé par les films "2001 l'Odyssée de l'Espace" (1968) de Stanley Kubrick, le film d'animation "Les Maîtres du Temps" (1982) de René Laloux, "Robocop" (1987) de Paul Verhoeven et le film d'animation "Ghost in the Shell" (1995) de Mamoru Oshii, mais surtout les deux artistes précisent que leur histoire reprendra les célèbres injonctions établies par l'auteur Isaac Asimov pour ses romans du Cycle des Robots (1956-1986) : un robot ne peut pas porter atteinte à un être humain ni restant passif, permette qu'un être humain soit exposé au danger. Un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première li. Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première et deuxième loi. Trois injonctions qui ont marqué et influencé toute la SF depuis, et encore aujourd'hui. Le film est réalisé par Jérémie Plérin qui co-écrit le scénario avec son acolyte Laurent Sarfati, qui est aussi connu pour écrire également pour des séries TV comme "La Minute Blonde" ou "Scènes de Ménages". Le film, premier long métrage de son réalisateur, est produit par deux sociétés Everybody On Deck et Je suis Bien Content, auquel on doit quelques bijoux d'animation à la française avec "Persépolis" (2007) de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi, "Le Jour des Corneilles" (2012) de Jean-Christophe Dessaint ou "Avril et le Monde Truqué" (2015) de Franck Ekinci et Christian Desmares. Des producteurs qui croient au projet au point de réunir un budget confortable de 6,7 millions d'euros... 

An 2200, de retour sur Mars, Aline Ruby détective privée obstinée et Carlos Rivera droïde qui est une réplique de son partenaire décédé voici des années, sont engagés sur une nouvelle affaire, retrouver Jun Chow étudiante cybernétique et hackeuse qui détient un secret capable de menacer l'équilibre précaire et hyper robotisé de Noctis capitale de Mars. Mais la hackeuse est aussi traquée par une horde de tueurs cyber. Au fil de l'enquête Aline Ruby va aussi être confrontée aux plus sombres secrets de la cité... Le film est doté d'un casting voix impeccable avec pour le rôle de la détective Léa Drucker vue récemment dans "Close" (2022) de Lukas Dhont, "Les Femmes du Square" (2022) de Julien Rambaldi et "L'Eté Dernier" (2023) de Catherine Breillat et qui avait déjà prêter sa voix pour la série animée "50 Nuances de Grecs" (2018-2020) de Jul. Son partenaire a la voix de Daniel Njo Lobé acteur méconnu essentiellement aperçu dans des séries TV ou récemment dans le film "Une Histoire d'Amour" (2023) de et avec Alexis Michalik. Citons encore Sébastien Chassagne vu dernièrement dans "Les Petites Victoires" (2023) de Mélanie Auffret et "Yannick" (2023) de Quentin Dupieux, Mathieu Amalric vu dans "Vers un Avenir Radieux" (2023) de et avec Nanni Moretti et qui a entre autre prêter sa voix pour les films d'animation "Fantastic M. Fox" (2010) et "L'Île aux Chiens" (2018) tous deux de Wes Anderson, Marthe Keller grande actrice vu notamment dans "Marathon Man" (1976) de John Schlesinger, "Fedora" (1978) de Billy Wilder, "L'Ecole de la Chair" (1998) de Benoît Jacquot ou "Tout le Monde aime Jeanne" (2023) de Céline Devaux, puis enfin n'oublions pas la hackeuse Jun Chow incarnée par la jeune actrice Geneviève Doang spécialiste du doublage (nombre d'actrices d'origine asiatique comme Jamie Chung, Bae Doona ou encore Rinko Kikuchi) et aperçue dans un unique film à ce jour "Les Olympiades" (2021) de Jacques Audiard... Outre les films sus-cités comme influence et inspiration par le cinéaste lui-même, lors du film on pense plus à d'autres films, de grands films que sont "Blade Runner" (1982) de Ridley Scott, "Terminator 2" (1991) de James Cameron, "Total Recall" (1990) de Paul Verhoeven et "Strange Days" (1995) de Kathryn Bigelow. Le premier écueil pour un tel projet est de rester du bon côté de la ligne jaune entre copié-collé ou pompage pur et l'hommage ou jouer sur les références en sachant les digérer et les servir sous un angle nouveau.  Premier constat, l'écueil est joliment esquivé avec un film certe hyper référencé mais à bon escient, entre clins d'oeil clair et éléments du cahier des charges jamais superflus, qui servent toujours le récit pour une évolution constante de l'intrigue et des personnages. C'est une réussite.

Après ça reste un film d'animation, si on est impressionné par l'équilibre entre épure et précision, avec un rapport qualité-quantité de détails assez bluffant (échelle et proportion, ombre et profondeur...) on reste un peu bloqué pour ne pas dire frustré par des visages trop figés et trop impassibles qui empêchent toute émotion et toute nuance. Ce point est le gros défaut du film. L'intrigue est diablement efficace, reprenant un canevas Intelligence Artificielle, meurtre et complot connu mais toujours vraisemblable et pertinent dans ses réflexions philosophiques comme dans la question de l'avancée technologique si on s'imagine dans 200 ans. L'univers est cohérent de bout en bout ne prenant pas le spectateur que pour un enfant, le film reste un film de SF mature et prenant. De surcroît on apprécie le ton dramatique où n'importe qui peut mourir, le suspense reposant notamment sur ce point (qui va s'en sortir ?!) jusqu'à cette fin aussi inattendue que judicieuse, enfin une fin qui offre un contre-pied aussi savoureux que tragique. Un film d'animation pointilleux et élégant, trop peut-être si on pense aux visages, mais d'une intelligence et d'une acuité qui sert une intrigue passionnante. Une très bonne surprise.

Note :