Le Ruban Blanc (2009) de Michael Haneke

par Selenie  -  24 Juin 2024, 09:22  -  #Critiques de films

Après sa période autrichienne se terminant de façon marquante avec "Funny Games" (1997), après une période française avec quatre films dont l'excellent "La Pianiste" (2001), et un décevant auto-remake "américain" "Funny Games U.S." (2007) voilà que le réalisateur autrichien Michael Haneke surprend avec un drame en costume et en Noir et Blanc. Lors de sa présentation au Festival de Cannes le cinéaste a précisé : "J'ai a l'esprit ce projet depuis une dizaine d'années. Je souhaitais évoquer un groupe d'enfants à qui l'in inculque des valeurs absolues et la façon dont ils intériorisaient cet absolutisme. Je tenais à en décliner les conséquences, à savoir un terrorisme de toutes sortes. Si l'on érige à l'absolu un principe, que ce soit un idéal politique ou religieux, il devient inhumain. J'avais pensé à La Main Droite de Dieu comme titre éventuel. Ces enfants se prennent pour la Main Droite de Dieu ; ils en ont compris les lois et suivent les idéaux à la lettre. Ils deviennent alors des punisseurs de ceux qui ne vivent pas selon leurs principes. C'est ainsi que le terrorisme prend sa source. Ce film ne doit uniquement être considéré comme une oeuvre sur le fascisme." Mais au départ le réalisateur-scénariste voyait plutôt son projet comme une série TV, c'est sa productrice française Margaret Ménégoz depuis "Le Temps du Loup" (2003) qui lui a suggéré de plutôt envisager un long métrage. C'est ainsi aussi que ce film est l'unique film de Haneke où il co-signe le scénario avec un scénariste tiers, ici c'est à Jean-Claude Carrière un des plus fameux scénaristes français de "Le Soupirant" (1963) de Pierre Etaix à "La Croisade" (2021) de Louis Garrel en passant par de nombreux Luis Bunuel, à qui il a été demandé de raccourcir le scénario. Le film reçoit en majorité de bonnes critiques avec en prime un Golden Globe du meilleur film étranger et la Palme d'Or à Cannes, que certaines mauvaises langues dénigrent en rappelant que la présidente du Jury d'alors était une certaine Isabelle Huppert, actrice du réalisateur dans "La Pianiste" (2001)... Allemagne du Nord, à l'aube de la Première Guerre Mondiale, où l'histoire de plusieurs enfants d'une petite communauté protestante, de leur chorale menée par l'instituteur du village jusque dans leur famille. Mais d'étranges accidents surviennent et prennent peu à peu le caractère d'un rituel punitif. Qui peut bien se cacher derrière ?... 

Bien qu'il s'agisse d'un fil choral les deux rôles principaux sont le professeur incarné par Christian Friedel dans son premier rôle et vu ensuite dans "Amour Fou" (2014) de Jessica Hausner, "Un Héros Ordinaire" (2015) de Olivier Hirschbiegel ou plus récemment "La Zone d'Intérêt" (2023) de Jonathan Glazer, puis une ado jouée par Leonie Benesch vue plus tard dans "Les Leçons Persanes" (2020) de Vadim Perelman et "La Salle des Profs" (2023) de Ilker Catak. Parmi les enfants citons Maria-Victoria Dragus remarquée ensuite dans "Baccalaureat" (2016) de Cristian Mungiu et "Marie Stuart, Reine d'Ecosse" (2018) de Josie Rourke, Roxane Duran vue ensuite surtout en France comme dans "Le Moine" (2011) de Dominik Moll, "Michael Kohlhaas" (2013) de Arnaud des Pallières, Respire" (2014) de Mélanie Laurent ou "Amants" (2020) de Nicole Garcia, puis Mercedes Jadea Diaz vue ensuite dans le dyptique "Vic le Viking" (2009-2011) et retrouvera dans "Die Vermessung der Welt" (2012) son partenaire Detley Buck qui retrouve de son côté l'actrice Steffi Kḧnert après son propre film "Männerpension" (1996), puis "Sonnenallee" (1999), "Herr Lehmann" (2003) et "Robert Zimmermann wundert sich über die Liebe" (2008) tous trois de Leander Haubmann. Citons ensuite le pasteur joué par Burghart Klaussner vu récemment dans le très bon "Good Bye, Lenin !" (2003) de Wolgang Becker qui retrouvera Christian Friedel dans  "Un Héros Ordinaire" (2015) et retrouvera dans "The Reader" (2015) de Stephen Daldry sa partenaire Susanne Lothar actrice fidèle de Haneke après "Le Château" (1997), "Funny Games" (1997) et "La Pianiste" (2001), puis retrouve après "Amen" (2002) de Costa-Gravas l'acteur Ulrich Tukur vu dans "La Vie des Autres" (2006) de Florian Henckel Von Donnersmarck et qui retrouve également après "Taking Sides" (2001° de Istvan Szabo sa partenaire Birgit Minichmayr vue dans "La Chute" (2004) de Oliver Hirschbiegel et "Le Parfum" (2006) de Tom Tykwer. Citons encore Ursina Lardi vue plus tard dans "Lore" (2012) de Cate Shortland ou "Enfants 44" (2015) de Daniel Espinosa et retrouvera dans "Un Homme très Recherché" (2014) de Anton Corbijn l'acteur Rainer Bock qui retrouvera Sebastian Hülk dans trois films, "Cheval de Guerre" (2011) de Steven Spielberg, "La Voleuse de Livres" (2013) de Brian Perceval et "Inglourious Basterds" (2009) de Quentin Tarantino, soit l'ironie du sort quand on sait que Haneke dénonce continuellement la façon complaisante de Tarantino de montrer la violence au cinéma. Puis n'oublions pas Josef Bierbichler vu notamment dans "Coeur de Pierre" (1976) et "Woyzeck" (1979) tous deux de Werner Herzog, Carmen-Maja Antoni surtout remarquée dans "le Temps des Cigognes" (1970) de Siegfried Kühn, et notons que dans la V.F. le narrateur a la voix d'un certain Jean-Louis Trintignant qui reviendra chez Haneke pour un rôle important... D'emblée Haneke nous surprend avec ce film, un Noir et Blanc sublime et intrigant qui sied parfaitement au rigorisme ambiant, un premier film en costumes après des films ancrés dans notre vie moderne et contemporaine, puis les premières secondes qui ne sont pas un plan fixe paraissant vide de sens. Le cinéaste impose un climat pesant dans une communauté conservatrice, protestante et austère dans ce qui est encore le Reich allemand depuis 1871. L'histoire se débute au début de l'été 1913 avec un première agression grave qui bouscule la petite communauté tant cette agression paraît gratuite. L'idée géniale du réalisateur-scénariste est de ne pas forcément rester focaliser sur les drames ni sur une éventuelle enquête, au contraire il décrit avec minutie les conventions et les règles qui régissent la communauté avec un pouvoir moral quasi dictatorial du pasteur, mais aussi au sein des familles et surtout autour de l'éducation des enfants. On est début 20ème, et si on est en Allemagne on peut aisément mettre en parallèle par exemple une communauté bretonne catholique, les similarités seraient sans doute bien plus évidentes qu'on ne le pense. Mais forcément plus le récit avance et plus on se dit que les ados du film se façonneront adultes avec la montée du nazisme. L'autre idée géniale du film est que Haneke laisse planer le doute, d'abord en instaurant un suspense où on ne peut s'empêcher de chercher ou de deviner les coupables jusqu'à ce final où le mystère s'impose sans pour autant estomper notre intime conviction. Le film paraît lent, ou plutôt lancinant, avec une certaine solennité appuyé par une voix Off un peu lourde au début et qui devient comme une pensée lucide des événements où les drames s'accumulent dans une atmosphère pesante. L'austérité, le mode de vie réac et parfois malaisant dérangent et instaurent une sorte de poison insidieux au sein de la communauté comme si les ados (enfants) accusaient des années de maltraitances plus ou moins violentes, des ados en perte de repères face à une éducation intransigeante et froide. Mais pas que, le baron paraît ainsi comme un père tyrannique devant ses paysans, les notables semblent d'ailleurs tous tout puissants au point d'user de violence plus ou moins légitime, pas forcément que physique d'ailleurs.

Le récit prend un tournant avec le discours du baron, soudain la méfiance, la suspicion et la paranoïa s'invite amenant forcément aux rumeurs et à la délation. Des termes qui nous hantent logiquement en pensant aux années suivantes. Le réalisateur ne montre pourtant pas la violence, elle est suggérée, encore plus en hors champ que dans ses films précédents, mais elle est à la fois plus pernicieuse et plus effroyable car elle nous touche plus personnellement surtout quand on a connu les sévices corporels qui étaient normaux dans notre enfance du 20ème siècle. Outre l'esthétique de son film, avec une magnifique photographie et une reconstitution d'époque soignée, le réalisateur ouvre aussi son récit à plus d'émotion. En effet, dans ses précédents films l'émotion était contenue voir freinée, avec des individus maître d'eux-même, presque en léthargie souvent, cette fois plusieurs scènes sont particulièrement fortes, touchantes ou effrayantes comme le cadeau du jeune fils à son père le pasteur seul instant où ce dernier paraît réellement ému, ou la rupture d'une violence misogyne assez inouïe. On constate donc que les notables ont le pouvoir et que les travailleurs, femmes et enfants sont soumis, les premiers sont des moutons, les seconds sont sous la coupe du droit et de la loi, et ainsi s'annonce le fascisme que les sillons de 14-18 vont favoriser. Rarement un film aura été d'une intelligence aussi pertinente qu'effrayante, à la fois film historique, thriller psychologique, drame de moeurs, Haneke signe son film le plus impressionnant tant il est riche et dense dans ses thématiques, la forme au service du fond à la perfection, Haneke signe et offre son chef d'oeuvre. A voir, revoir et à conseiller.

 

Note :  

19/20
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