The Square (2017) de Ruban Östlund

par Selenie  -  19 Octobre 2017, 07:23  -  #Critiques de films

Palme d'Or à Cannes 2017, à ne pas confondre avec le film "The Square" (2008) de Nash Edgerton, ce film est signé du réalisateur-scénariste suédois Ruben Östlund déjà remarqué notamment pour ses films "Happy Sweden" (2009) et "Snow Therapy" (2015). Pour l'anecdote, il s'agit du premier film pour lequel le cinéaste n'est pas également responsable du montage. C'est sans conteste le plus ambitieux de Östlund où il est question d'humanité dans ce drame satirique. Le cinéaste explique la genèse du film : "2008 a marqué l'apparition du premier "quartier fermé" en Suède, un lotissement sécurisé auquel seuls les propriétaires en ayant l'autorisation peuvent accéder. Il s'agit là d'un exemple extrême qui montre que les classes privilégiées s'isolent du monde qui les entoure. C'est également un des nombreux signes de l'individualisme grandissant dans nos sociétés européennes alors que la dette du gouvernement s'alourdit, que les prestations sociales diminuent et que le clivage entre riches et pauvres ne cesse de se creuser depuis une trentaine d'années. Même en Suède, pourtant reconnue comme l'un des pays les plus égalitaires du monde, le chômage croissant et la peur de voir son statut social décliner ont poussé les gens à se méfier les uns des autres et à se détourner de la société. Un sentiment général d'impuissance politique nous a fait perdre confiance en l'état et nous a poussés à nous replier sur nous-mêmes. Mais est-ce l'évolution que nous souhaitons pour nos sociétés ? C'est cette réflexion qui nous a poussés, Kalle Boman et moi, à développer le projet de "The Square"...

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On suit donc un galeriste qui prépare la promo de sa nouvelle exposition mais qui va un peu perdre pied quand on lui vole son porte-feuille et son portable. Ce galeriste est joué par le méconnu Claes Bang, acteur danois surtout connu à la télévision danoise notamment sur la série TV "Anna Pihl" (2006-2008). On croise trois autres personnages importants, un artiste interprété par le britannique Dominic West vu dans "300" (2007) de Zack Snyder, "Pride" (2014) de Matthew Warchus et "Money Monster" (2016) de Jodie Foster, une journaliste jouée par l'américaine Elizabeth Moss remarquée dans la série TV "Mad Men" (2007-2014) et vue dans "Sur la Route" (2012) de Walter Salles et "High Rise" (2015) de Ben Weathley et enfin l'atout délirant du film avec l'acteur Terry Notary, spécialiste de la motion capture ayant œuvré sur des films majeurs des sagas "Le Hobbit" (2012-2013) de Peter Jackson et "La Planète des Singes" (2011-2014-2017) mais aussi sur les films "Avatar" (2009) de James Cameron, "Warcarft : le commencement" (2016) de Duncan Jones et "Kong : Skull Island" (2017) de Jordan Vogt-Roberts mais ce sont sur ses essais sur "La Panète des Singes" (2001) de Tim Burton qu'il a été remarqué par le cinéaste et qui l'ont décidé du choix... 02h20 d'un drame qui aborde plusieurs thématiques terriblement actuel sur le fossé riche-pauvre, sur le capitalisme qui creuse un fossé encore plus grand entre pouvoir et le peuple, peur et individualisme, responsabilité des médias et liberté d'expression... etc... Un message porté par le "Carré" du de l'artiste Arias définit par "Un sanctuaire où règnent confiance et altruisme. En son sein nous sommes tous égaux en droits et en devoirs...", réflexion fortement inspiré par Nietzsche. Un patchwork humaniste terriblement acerbe et pourtant d'une vraie acuité.

Le vrai premier point réussi est le scénario qui, en ne suivant qu'un personnage central,  ouvre pourtant un panel impressionnant de sujets tout en gardant un récit véritablement cohérent. Le seul (petit) soucis réside dans la bêtise du galeriste en tentant une recherche "puérile" et "dangereuse" pour retrouver son portable... En effet, riche, pourquoi s'embêter avec ça alors qu'il suffit d'aller en acheter un autre ?! Il faut croire à sa "peur" et, justement, à sa bêtise irréfléchie. Alors qu'il est en pleine promo très importante pour l'exposition à venir, le galeriste perd pied et, à l'insu de son plein gré, il va vivre une introspection. Il va s'en rendre compte par le biais des seuls protagonistes dont tout le monde semble se foutre, à savoir les enfants ! Intelligent et judicieux le réalisateur-scénariste amène le riche galeriste à éveiller son humanité en le mettant face à l'innocence et la vérité des enfants. Entre temps, ce sont les spectateurs qui regardent ce "pauvre" riche se perdre, d'abord en retrouvant son portable (là : peur, lâcheté et égoïsme), ensuite en tentant de sauver son projet professionnel (ici pouvoir bête et méchant des médias, limite de la liberté d'expression). Ruben Östlund signe un pamphlet contre une société aussi égoïste qu'hypocrite, qui creuse les différences de toutes parts mais qui laisse aussi une petite lueur d'espoir grâce à l'altruisme symbolisé par l'innocence des enfants. Un point de vue d'autant plus fort que le modèle suédois semble bel et bien se fissurer. Les performances d'acteurs sont à féliciter, surtout Elizabeth Moss en journaliste à l'instabilité suspecte mais aussi Terry Notary dans un court passage mais si marquant. Le cinéaste signe une mise en scène précise, inspirée au service d'une narration prenante, de propos passionnants dans un style qui fascine malgré une durée de film sans doute un peu trop importante. En effet, avec une histoire aussi dense et foisonnante il est dommage que cette durée créée inévitablement quelques longueurs qui poussent à l'ennui surtout si on n'accroche pas d'emblée au parti pris du cinéaste. Östlund réussit un formidable pamphlet psycho-sociologique et philosophique qui ne pêche finalement que par sa durée un poil excessive. En tous cas à voir et à conseiller.

 

Note :              

15/20

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