Goliath (2022) de Frédéric Tellier

par Selenie  -  10 Mars 2022, 09:49  -  #Critiques de films

Après le thriller d'après l'histoire vraie autour d'un tueur en série avec "L'Affaire SK1" (2014) et l'hommage aux hommes en rouge avec "Sauver ou Périr" (2018), le réalisateur-scénariste Frédéric Tellier revient avec une autre histoire inspiré de faits réels. C'est en lisant le livre sur les conséquences dramatiques autour de la surconsommation amenant à la surculture, l'alerte dans le milieu agricole et notamment l'utilisation de pesticides pour optimiser les rendements. La cinéaste travaille sur ce projet depuis plusieurs années : "Ce travail d'enquête a en tous cas donné lieu à une première version de récit de 70 pages avec une dizaine de personnages, et avec l'idée qu'il s'agirait d'un film mosaïque où tout s'imbriquerait pour observer comment la force du mal s'immisce chez les hommes en général, comment on arrive paradoxalement à produire une agriculture si performante, alors qu'on jette tant d'excédents de cette production à chaque fin de mois, et que dans un silence très dérangeant un agriculteur se suicide tous les deux jours, de désespoir, d'épuisement, de dettes. Simon Moutaïrou est arrivé à ce moment-là, pour qu'on entre plus précisément ensemble dans la dramaturgie de Goliath." Le cinéaste co-signe donc le scénario avec Simon Moutaïrou, scénariste notamment des films "L"Assaut" (2011) et "Braqueurs" (2016) tous deux de Julien Leclercq, puis de "Burn Out" (2018) et "Boîte Noire" (2021) tous deux de Yann Gozlan. Au final, si le film s'inspire de faits réels, ils sont surtout source d'inspiration l'affaire même du film reste fictionnel... Après l'acte désespéré d'une anonyme, un scandale éclate contre l'utilisation du pesticide Tétrazine. France, une militante d'un collectif anti-pesticide se bat comme jamais bientôt appuyé par Patrick, un avocat spécialiste de l'environnement. Mais ils savent aussi que c'est se battre contre un géant de l'agrochimie, Phytosanis, qui tente par tous les moyens d'étouffer l'affaire dans l'oeuf, notamment grâce à Mathias, lobbyiste brillant mais impitoyable...

L'activiste France est interprétée par Emmanuelle Bercot, réalisatrice du récent "De son Vivant" (2021) et actrice dans "Le Bal des Folles" (2021) de et avec Mélanie Laurent ou dans "L'Ennemi" (2021) de Stephan Streker où elle jouait d'ailleurs une avocate, elle retrouve après le collectif "les Infidèles" (2012) Gilles Lellouche qui incarne l'avocat environnemental après le carton de "BAC Nord" (2021) de Cédric Jimenez et l'excellent "Adieu Monsieur Haffmann" (2022) de Fred Cavayé. Le lobbyiste est incarné par Pierre Niney qui retrouve le réalisateur après "Sauver ou Périr" et qui retrouve le scénariste après "Boîte Noire" (2021). Précisons qu'à l'origine ces trois rôles principaux n'étaient prévus ainsi, Emmanuelle Bercot devait être l'avocate, Lellouche le lobbyiste et Niney l'activiste, mais c'est sur l'insistance de Lellouche qui souhaitait jouer l'avocat que le réalisateur a modifié ses idées de départ. Autour d'eux citons Laurent Stoker vu récemment dans "Mes Très Chers Enfants" (2021) de Alexandra Leclère et bientôt dans "Hommes au Bord de la Crise de Nerfs" (2022) de et avec Audrey Dana, Yannick Renier vu dernièrement dans "Fils de Plouc" (2021) des frères Harpo et Lenny Guit et "Space Boy" (2021) de Olivier Pairoux, Marie Gillain devenue particulièrement rare avec un seul film ces 5 dernières années avec "Mystère" (2021) de Denis Imbert, Chloé Stefani qui était dans les deux précédents films du réalisateur, Lorène Devienne chanteuse déjà vu au cinéma retrouvant ainsi le réalisateur et son partenaire Pierre Niney après "Sauver et Périr"" et "Boîte Noire", Josiane Pinson en présidente du tribunal après avoir été celle du FMI dans "Adults in the Room" (2019) de Costa Gravas, et enfin, Jacques Perrin, grand acteur ayant débuté gamin dans "Les Portes de la Nuit" (1946) de Marcel Carné, devenu acteur fétiche pour Pierre Schoendoerffer et Costa Gravas avant de devenir cinéaste militant avec les sublimes documentaires "le Peuple Migrateur" (2001), "Océans" (2010) ou "Les Saisons" (2016) le plus souvent en collaboration avec Jacques Cluzaud... Le film débute de façon assez chirurgical, présentant de façon méthodique dans le bon sens du terme les différents protagonistes et les enjeux. D'emblée on est touché par des gens "normaux" qu'on connait tous un peu autour de nous, on est énervé par les lobbies et fataliste devant la puissance des consortiums capitalistes. On salue l'abnégation de l'avocat magnifiquement interprété par Gilles Lellouche qui montre parfaitement l'impitoyable machine du pot de terre contre le pot de fer. On est ému par Emmanuelle Bercot, cette activiste battante et désespérée par un époux touché par la maladie.

Et pourtant on est surtout obnubilé, focalisé sur ce jeune lobbyiste incarné par un Pierre Niney épatant ; il incarne un ambitieux aux dents longues implacable, égoïste ou plutôt baigné par un capitalisme cynique qui reste la règle du jeu mondialiste. Il est aussi manipulateur, façon pervers narcissique des lobbies, mais n'est-ce pas l'apanage logique de son job ?! Sans oublier le personnage joué symboliquement par Jacques Perrin qui explique : "Il explique d'ailleurs à l'avocat qu'il n'a plus la force pour tout ça. D'autant plus qu'il a une famille, qu'il sait le prix à payer pour ces combats et qu'il a bien plus à perdre qu'à gagner..." Il y a bien quelques détails gênants, ou si accessoires qu'on se demande pourquoi avoir fait des choix aussi sous-exploités ou si superflus comme cette activiste qui serait à la fois prof le jour et ouvrière la nuit (Mouais ?!), ou cette charge policière gratuite aussi bien sur la forme que sur la forme. Le côté fataliste est aussi très présent, un climax dépressif omniprésent que le réalisateur aurait pu atténuer pour appuyer ce qui a pourtant son importance dans son film : l'espérance. Une nuance qui aurait pu se jouer plus visuellement et/ou en jouant sur la lumières ou les couleurs. En conclusion, Frédéric Tellier signe le "Dark Water" (2020) de Todd haynes à la française, un film prenant, émouvant, passionnant, qui ne laissera personne indifférent même si ce film si pertinent ne changera malheureusement pas grand chose, l'espérance n'est pas l'espoir.

 

Note :                  

14/20
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