Adieu Monsieur Haffmann (2022) de Fred Cavayé

par Selenie  -  13 Janvier 2022, 09:57  -  #Critiques de films

Le réalisateur Fred Cavayé change une fois de plus de braquet, après les films d'action "Pour Elle" (2008), "À Bout Portant" (2010) et "Mea Culpa" (2014), puis après un passage dans la comédie avec "Radin !" (2016) et "Le Jeu" (2018) voici donc qu'il porte le projet d'un drame historique en adaptant la pièce d'un ami de 20 ans. La pièce éponyme (2018) de Jean-Philippe Daguerre a été la vainqueur des Molières 2018 avec entre le Molière de l'auteur francophone et celui du théâtre privé, et sur laquelle Fred Cavayé précise : "Je vois la pièce et je découvre que ce n'est pas vraiment le sujet. Je me l'étais raconté tout seul ! Le texte était vraiment formidable mais j'avais envie de l'emmener ailleurs. Ce que Jean-Philippe m'a autorisé à faire en m'pffrant toutes les libertés possibles. (...) J'ai donc gardé le point de départ d'Adieu Monsieur Haffmann et fait évoluer les personnages différemment, surtout celui de François..." Cavayé co-écrit le scénario avec Sarah Kaminsky passée surtout par la comédie en co-signant "Raid Dingue" (2016) et "La Ch'tite Famille" (2018) tous deux de et avec Dany Boon, puis le biopic "Gauguin - Voyage à Tahiti" (2017) de Edouard Deluc... Paris 1941-42, Joseph Haffmann est un joaillier réputé et talentueux mais juif. Pour fuir l'occupation allemande il décide de partir avec sa famille et conclut un accord avec son employé François pour qu'il reprenne la boutique en attendant des jours meilleurs. Echange de bon procédé donc qui permet enfin à François d'espérer fonder une famille avec sa fiancée Blanche. Mais Monsieur Haffmann se retrouve dans la cave de la boutique n'ayant pu suivre sa famille à la gare surveillée par les allemands. Haffmann se retrouve donc obligé de se cacher et devant l'employé de François tandis que les allemands deviennent des clients importants de la boutique...

Le rôle titre est incarné par Daniel Auteuil qui retrouve l'Occupation après avoir été résistant dans "Lucie Aubrac" (1996) de Claude Berri et vu pour la dernière fois au cinéma dans l'excellent "La Belle Epoque" (2019) de Nicolas Bedos. Son employé est interprété par Gilles Lellouche qui retrouve Cavayé après "À Bout Portant" et "Mea Culpa", il retrouve également la période 39-45 après "HhHH" (2017) de Cédic Jimenez réalisateur qu'il a retrouvé récemment pour "Bac Nord" (2021), tandis que sa fiancée est jouée Sara Giraudeau vue dernièrement dans "Médecin de Nuit" (2021) de Elie Wajeman et "Le Discours" (2021) de Laurent Tirard. Parmi les autres protagonistes citons Mathilde Bisson vue entre autre dans "Jamais le Premier Soir" (2014) de Mélissa Drigeard et "La Vertu des Impondérables" (2019) de Claude Lelouch, "Anne Coesens vue dans "La Taularde" (2016) de Audrey Estrougo et "Never Grow Old" (2019) de Ivan Kavanagh, Frans Boyer qui retrouve Cavayé et Lellouche après "À Bout Portant" et qui change de guerre mondiale après "Au Revoir Là-Haut" (2017) de et avec Albert Dupontel et "Le Collier Rouge" (2018)  de Jean Becker. Puis enfin citons l'officier allemand incarné par Nikolaï Kinski, fils d'un certain Klaus Kinski et donc demi-frère de Nastassja Kinski, déjà vu en France dans les films "La Comtesse" (2009) de et avec Julie Delpy et "Yves Saint-Laurent" (2014) de Jalil Lespert... Occupation allemande, secret, caché voir terré durant une longue période, collaboration avec l'ennemi, on peut penser au populaire "Au Bon Beurre" (1982) de Edouard Molinaro, mais aussi au récent "Une Vie Secrète" (2021) du trio Garano-Arregi-Goenaga même si l'époque et le pays sont différents. Où comment cette phase citée par Blanche/Giraudeau : "avant on n'avait rien maintenant il veut tout." résume une question de survie en une peur incontrôlable. Le véritable atout du film réside dans son scénario, à la fois simple et logique, cohérent et terriblement humain entre le respect, l'honnêteté, la solidarité entre deux hommes que tout opposent pourtant, puis l'égoïsme, la cupidité, la peur surtout qui viennent viciés les rapports sans compter sur le sujet épineux de la stérilité, l'envie d'avoir un enfant. Cet ultime paramètre est à la fois hors sujet vis à vis de l'Occupation allemande et de la situation juive de monsieur Haffmann mais il permet aussi de situer cette petite histoire humaine en huis clos dans un contexte qui n'est pas uniquement guerrier, car même en tant de guerre les hommes et les femmes ne continuent-ils pas à vivre, à espérer, à rêver, à aimer ?!

Le drame humain, social et forcément historique est mis en place avec subtilité, sobriété, c'est touchant, voir émouvant mais on sent aussi le malaise qui est particulièrement palpable lorsque Blanche/Giraudeau, encore elle, réagit aussitôt arrivé dans l'ex-logement des Haffmann : "On dirait qu'on est des voleurs"... On est encore dans le "malaise honnête" quand Haffmann se retrouve coincé dans sa cave alors que le couple s'est déjà installé dans la maison, chacun tentant de rester à la fois digne et loyal envers leur marché conclu. On imagine sans mal la gêne des uns et des autres dans un contexte inhabituel et si peu naturel dans l'ordre des choses où la différence de niveau social joue un rôle central. Mine de rien c'est aussi à cet instant qu'on constate le formidable casting, le face à face Lellouche-Auteuil que Fred Cavayé explique parfaitement : "La rencontre de ces deux-là, au sommet de leur génération, me passionnait. En plus Daniel étant plus âgé, leur rapport hiérarchique s'établissait naturellement." Sara Giraudeau n'est pas en reste, bien qu'un peu en retrait vis à vis de ses deux partenaires masculins, mais qui est pourtant bel et bien le fil conducteur, le entre les deux hommes, le lien qui va tout faire basculer, celle qui s'aperçoit de l'évolution des choses, qui constate le danger de leur situation, à tous les trois, et qui va malgré sa discrétion, ses appréhensions, va rester digne et courageuse de bout en bout. On va surtout regretter un officier allemand merveilleusement incarné par le fils Kinski, très sous-exploité finalement, qui aurait pu être un fusible plus fatal et/ou plus essentiel dans l'évolution tragique de l'histoire surtout qu'une scène centrale insinue qu'il a tout compris. Cet officier est un personnage finalement peu étoffé, c'est dommage. Néanmoins, on reste passionné par ce thriller historico-psychologique qui dresse un triangle humain riche de sentiments et d'émotions complexes. La fin est aussi un peu mitigé, le twist est merveilleusement amené, l'ultime rebondissement est une vraie réussite qu'on aura pas vu venir, tandis qu'il y a malgré tout une sorte de happy end, voir deux si on se laisse imaginer les semaines qui suivraient cette fin de film... Fred Cavayé nous surprend encore et de belle manière avec ce drame historique malin de bout en bout avec une jolie reconstitution et des acteurs au diapason effectivement au sommet de leur art. Un très bon moment à conseiller.

 

Note :        

15/20
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