Martin Roumagnac (1946) de Georges Lacombe
Ce projet est avant tout celui de la star Jean Gabin qui avait acheté les droits du livre dès la fin des années 30, roman éponyme (1935) de Pierre-René Wolf, qu'il voulait d'abord porté à l'écran avec le duo Marcel Carné-Jacques Prévert avec qui il venait de tourner "Quai des Brumes" (1938) mais ils préférèrent lui proposer à l'époque "Le Jour se Lève" (1939). Ensuite il y a eu la guerre, l'exil de 1941 à 1943 de Gabin à Hollywood parce qu'il ne voulait pas travailler pour les allemands, il tombe amoureux d'une certaine Marlene Dietrich, puis part s'engager pour libérer la France. Le retour au cinéma en 1945 s'avère difficile, le couple Gabin-Dietrich est prévu pour tourner dans "Les Portes de la Nuit" (1945) de Marcel Carné, écrit par Prévert, mais le couple renonce parce que Marlene Dietrich refuse de jouer la fille d'un collaborateur. Alors Gabin désire reprendre son projet auquel il croit en pensant que cela pourrait relancer sa carrière. Finalement c'est le réalisateur des films "La Femme Invisible" (1933) et "Café de Paris" (1938), Georges Lacombe qui va porter l'histoire sur grand écran, et co-signe le scénario en collaboration avec l'auteur et surtout avec Pierre Véry, romancier et scénariste qui a déjà adapté plusieurs de ses oeuvres au cinéma avec entre autre "Les Disparus de Saint-Agil" (1938) de Christian-Jaque et "Goupi Mains Rouges" (1943) de Jacques Becker, et qui retouve la même année son réalisateur Lacombe avec "Les Anciens de Saint-Loup" (1946)... Dans une petite ville de province, Blanche Ferrand tient une petite boutique d'oiselerie avec son oncle, et son rêve serait dépouser le consul, monsieur de Laubry dont la femme est mourante. Un soir elle rencontre Martin Roumagnac, qui tient une petite entreprise de maçonnerie. Ils deviennent amants, mais si Martin risque tout ce qu'il a par amour pour elle, Blanche semble toujours vouloir entreprendre le consul, surtout quand ce dernier devient enfin veuf. Malgré les avertissements de ses proches au vu de la mauvaise réputation de Blanche au sein de la ville, Martin croit à son bonheur...
Le rôle titre est logiquement incarné par le monstre sacré Jean Gabin qui était au sommet à la fin des années 30 avec des chefs d'oeuvres comme "La Bandera" (1935) de Julien Duvivier ou "La Grande Illusion" (1937) de Jean Renoir, il retrouvera le réalisateur Georges Lacombe dans "La Nuit est mon Royaume" (1951) et "Leur Dernière Nuit" (1953), puis il retrouve pour ce film sa conjointe d'alors avec qui pourtant il n'a encore jamais tourné, Marlene Dietrich qui a également connu une apogée dans les années 30 grâce aux nombreux chefs d'oeuvres de son pygmalion Josef Von Sternberg dont "L'Ange Bleu" (1930) et "L'Impératrice Rouge" (1936), et qui a également des difficultés à relancer sa carrière après 1945, la poussant même à accepter le film "La Scandaleuse de Berlin" (1948) de Billy Wilder, alors qu'elle était tenter de refuser pour les mêmes raisons que pour "Les Portes de la Nuit". Le casting est riches de quelques uns des grands seconds rôles du cinéma français des années 30 à 50. Citons la soeur Roumagnac interprété par Margo Lion vue dans "L'Opéra de Quat'Sous" (1930) et "Jeunes Filles en Détresse" (1939) tous deux de G.W. Pabst, qui retrouve Gabin après "La Bandera", et qui retrouve Dietrich qui est une amie proche depuis l'époque où Margo Lion était meneuse de revue dans les années 20, puis l'oncle de Blanche joué par Jean d'Yd vu dans "Napoléon" (1925) de Abel Gance et "La Passion de Jeanne d'Arc" (1928) de Carl Theodor Dreyer, et qui a la particularité d'avoir joué dans les deux versions "Les Misérables" (1934) de Raymond Bernard et (1958) de Jean-Paul Le Chanois avec un certain Gabin en Jean Valjean. Citons encore le jeune premier d'alors Daniel Gélin vu dans "Les Inconnus dans la Maison" (1942) de Henri Decoin, qui deviendra une star jusqu'à un caméo savoureux dans "La Cité de la Peur" (1994) de Alain Berberian en passant par quelques chefs d'oeuvres retrouvant aussi Gabin de temps à autre comme dans "Miroir" (1947) de Raymond Lamy et, sans avoir de scène ensemble, "Le Plaisir" (1952) de Max Ophüls, puis ensuite Marcel Herrand vu dans "Les Visiteurs du Soir" (1942) et "Les Enfants du Paradis" (1945) tous deux de Marcel Carné, Lucien Nat qui retrouve Gabin après "Les Gaietés de l'Escadron" (1932) de Maurice Tourneur et qu'il retrouvera à de nombreuses reprises, Odette Barencey actrice récurrente chez Lacombe qui retrouvera une partie de ses partenaires dans "Miroir" (1947) et vue dans "Casque d'Or" (1952) de Jacques Becker, Marcel Perès vu de "Mollenard" (1938) de Robert Siodmak à "Le Fantôme de la Liberté" (1974) de Luis Bunuel en passant par "Les Enfants du Paradis" et "Le Plaisir", puis pêle-mêle citons encore Charles Lemontier, Paul Faivre, Marcelle Hainia, Colette Régis, Camille Guérini, Paul Hamiot, Jean Heuzé, Palmyre Levasseur, René Marjace ou Marguerite de Morlaye, tous des acteurs prolifiques qui pour la plupart se retrouveront sur de nombreux films et notamment avec Jean Gabin...
Le film a pour sujet un thème répandu à une époque, soit un homme mené par le bout du (bip) par une femme plus ou moins ambitieuse. Gabin lui-même avec par exemple "Gueule d'Amour" (1937) de Jean Grémillon, "La Bête Humaine" (1938) de Jean Renoir, "Fille Dangereuse" (1952) de Guido Brignone ou encore "En Cas de Malheur" (1958) de Claude Autant-Lara. La trame a fait ses preuves dans le mélo, où comment un homme installé tombe amoureux d'une femme à la réputation douteuse, qui le trahit malgré des sentiments qui évoluent. Evidemment ce film est porté par un couple unique, un des couples les plus mythiques du 7ème Art alors que leur relation a pourtant été assez courte, et que certain diront même qu'il n'était pas forcément bien assorti entre l'Ange Bleu et Pépé le Moko. Ce couple est ainsi à la fois la force et la faiblesse du film tant les deux acteurs impriment la pellicule de façon si différente. Jean Gabin incarne une nouvelle fois l'homme du peuple, un travailleur honnête, travailleur et viril, un rôle que l'âge venant il délaissera pour la bourgeoisie et la criminalité de haut vol. Marlene Dietrich retrouve un rôle d'aventurière au passé trouble, mais cette fois elle paraît trop peu à sa place car comment allier sa classe, sa prestance, et ses robes de soirées sublissimes et son personnage d'aventurière de bas étage qui tient un petit commerce où elle vend des oiseaux ?! La crédibilité de la star n'est pas très probante en un tel rôle. Toute la problématique du film est là, un romantisme machiste en filigrane en prime signe d'une autre époque. Un décalage entre les deux acteurs vis à vis de leur personnage, plus le fait que les deux amoureux se quitteront peu de temps après ont donné au film un statut de film étant un échec commercial ce qui est en réalité faux. En effet, le film amasse tout de même 2,5 millions d'entrées France, ce qui reste un joli succès. Jean Grémillon signe un drame social et amoureux classique mais prenant, avec des rebondissements qui ne laissent pas insensibles.
Note :